Pourquoi l'EI menace désormais l'Iran
L'Etat islamique a menacé l'Iran pour son rôle dans les conflits en Irak et en Syrie, dans une rare vidéo de propagande publiée lundi. Pourquoi ? Decryptage du spécialiste Mohammad-Reza Djalili.
L'Etat islamique (EI) a menacé l'Iran et son guide suprême Ali Khamenei pour son rôle dans les conflits régionaux actuels, dans une rare vidéo de propagande en langue farsi, publiée lundi 27 mars. L'EI, qui considère les chiites comme des hérétiques, accuse dans la vidéo l'Iran de persécuter les sunnites depuis des siècles. Décryptage de Mohammad-Reza Djalili, professeur émérite à l'Institut des Hautes études internationales et du développement à Genève, spécialiste de l'Iran et du Moyen-Orient.
C'est la première fois qu'un document de propagande de l'Etat islamique s'en prend directement à l'Iran et en persan...
Comme on pouvait s'y attendre, ce que raconte l'EI sur l'histoire de l'Iran est déformée et schématique. Ils pensent que l'empire perse dans le passé n'a pas été musulman alors que l'islam n'existe pas aux périodes évoquées dans la vidéo. L'EI est par définition anti-chiite. Il juge que l'Iran, qui pratique le chiisme, est dans une forme de rejet de l'islam, que les Iraniens sont des faux musulmans et qu'il faut éliminer ce régime. Le mouvement anti-chiite n'existe pas seulement en Irak et en Syrie. Au Pakistan, tous les mois, des mosquées chiites sont les cibles d'attentats terroristes. Dans le Golfe persique, des mosquées chiites ont été attaquées. Tous les mouvements extrémistes sunnites, les salafistes, les djihadistes ou encore les wahhabites pensent par essence que les chiites sont des apostats qu'il faut éliminer. L'EI reprend simplement ce discours anti-chiite.
L'EI a pris le contrôle de Mossoul en 2014, justement parce que le nouveau pouvoir en Irak était à l'époque majoritairement chiite et opposé aux sunnites. Ils ont bâti leur argumentaire là-dessus.
Pourquoi maintenant, alors que Téhéran est engagé en Syrie et en Irak contre les djihadistes depuis plusieurs années ?
L'EI est plus agressif à l'égard de l'Iran car Téhéran aide l'armée irakienne et les milices chiites irakiennes autour de Mossoul où il perd du terrain. En Syrie, l'Iran se bat aussi contre les djihadistes. Or l'EI est aujourd'hui en position de faiblesse et estime que les Iraniens jouent un rôle important et se trouvent en position de force dans la région où le groupe a accru, il est vrai, son influence.
En Syrie, en 2015, les Gardiens de la révolution, qui soutenaient Bachar al-Assad, ont fait, semble-t-il, appel aux Russes pour intervenir et aider le régime de Damas affaibli. Les Russes, en collaboration avec les Iraniens, ont organisé plusieurs opérations militaires dont celle d'Alep qui a fini par tomber. D'un certain point de vue, on peut même penser que la chute d'Alep est une victoire pour les Iraniens. Ils ont mené le combat avec la présence des Gardiens de la révolution, des milices chiites originaires d'Afghanistan et du Pakistan qu'ils ont envoyées. Il y a une avancée notable de la position iranienne en Syrie.
En Irak, les Iraniens sont présent depuis 2003 et la chute de Saddam Hussein. Ils ont renforcé leur présence dès 2011, après que les Américains ont quitté le pays, à la demande du gouvernement irakien. Mais depuis la prise de la partie est de Mossoul, où l'EI recule, les djihadistesaccusent les Iraniens d'avoir joué un rôle important dans cette avancée de l'armée irakienne et des milices chiites irakiennes. L'Iran a en effet envoyé des soldats et des conseillers.
En raison de cette présence forte à la fois en Syrie et en Irak, l'EI accuse l'Iran d'avoir contribué à son affaiblissement.
L'EI est-il une menace pour la sécurité en Iran ?
Oui. Dès la prise de Mossoul en 2014, les Iraniens ont vu l'EI se rapprocher de ses frontières. Ils ont vu l'apparition et le développement d'un discours idéologique par rapport aux minorités sunnites d'Iran, les Kurdes et les Baloutches, qui représentent environ 10% de la population. Au Baloutchistan, il existe aussi des soutiens de mouvements islamistes originaires d'Afghanistan et du Pakistan. Pour Téhéran, il y a une réelle menace qui peut venir de l'extérieur mais aussi de l'intérieur. Même si l'Iran reste l'un des pays les plus stables du Moyen-Orient.
Propos recueillis par Sarah Diffalah