Intenses confrontations en Syrie : israël impliqué au premier chef (011906/18) [Analyse]
Par Jean Tsadik © Metula News Agency
Il se passe des choses graves en Syrie, que peu de media relayent, faute d’intérêt, au vu des risques encourus par les reporters sur le terrain, par calcul politique de leurs gouvernements, ou, le plus souvent, parce qu’ils ne comprennent rien à ce qui se déroule.
Avant d’entrer dans les détails des derniers évènements, nous avons observé que l’Iran et le Hezbollah sont très probablement en train de quitter le sol syrien, abandonnant les bases qu’ils occupaient et une partie de leur matériel.
Nous sommes par ailleurs convaincus que ce retrait se déroule suivant un accord secret passé avec les Israéliens, très vraisemblablement à Amman. Preuve en est qu’aucune position iranienne n’a été prise pour cible par le Khe’l Avir (l’Aviation israélienne) durant les trois dernières semaines, et qu’auparavant, il réalisait au moins deux raids par semaine, et leur nombre ainsi que leur intensité allaient croissant.
Il nous apparaît que Téhéran entend limiter le désastre causé par l’oblitération de ses bases principales en Syrie et la perte de milliers de soldats et d’officiers. L’Armée perse a correctement déchiffré qu’elle ne dispose pas des moyens de s’opposer à Tsahal et qu’il est préférable de rapatrier son contingent plutôt que de le voir anéanti.
Nous notons également avec intérêt que la Russie a décidé de cesser de soutenir les Pasdaran iraniens, notamment par les airs, ce qui a sans doute accéléré la prise de décision de Téhéran. Les forces aériennes et terrestres de Poutine se sont aussi totalement retirées de l’est de la Syrie, à savoir de la région de Deïr ez Zor et de la frontière irakienne.
Dans cette zone on ne trouve plus de militaires russes et leurs avions ont cessé leurs missions de bombardements. Les Iraniens et leurs supplétifs du Hezbollah ont fait venir des milices, principalement chiites irakiennes, qu’ils ont formées et armées, afin de défendre leurs acquis stratégiques, prioritairement la fameuse "autoroute iranienne". Ces combattants sont désormais encadrés par des officiers de l’Armée du régime et agissent directement sous leurs ordres.
On assiste dans tout l’est syrien à une tentative occidentale et israélienne de "purger" toutes les positions Assad-forces chiites à proximité de la frontière iraquienne, afin d’accélérer la "désiranisation" de la Syrie.
Ainsi, dans la nuit de dimanche à lundi, plusieurs opérations aériennes ont eu lieu le long de l’Euphrate et de la frontière syro-irakienne, entre la ville d’Abou Kamal et le point de passage d’al Tanf à 230km au Sud-Ouest [voir carte].
Le gouvernement de Damas a ainsi annoncé qu’une importante attaque aérienne s’était produite sur la localité d’al Hiri, causant des douzaines de morts parmi les forces gouvernementales et les combattants chiites. [Voir la vidéo montrant le cratère géant causé par le bombardement].
D’autres attaques ont été enregistrées sur plusieurs points d’appuis le long de la frontière. L’un de ces raids a oblitéré un contingent de chars et d’artillerie gouvernemental [photos] à quelques kilomètres de la frontière en territoire syrien, sur l’artère routière que nous avons intitulée sur la carte "Autoroute iranienne option 3". Il s’agit en fait d’une tentative convenue entre Téhéran et Damas afin de construire un nouvel axe de communication et d’approvisionnement terrestre, ce qui a nécessité l’aménagement d’une piste de 20km en territoire irakien, qui rejoint une route syrienne conduisant directement à Palmyre, puis dans le reste du secteur peuplé de Syrie. Nous avons appelé ce nouveau tronçon de 20km : "Nouvelle route de liaison".
Les stratèges de Damas et de Téhéran, constatant que la circulation le long de l’Euphrate sur "l’Autoroute iranienne, option préférentielle" n’était plus assurée, et que les Américains tenaient solidement la zone du poste frontière d’al Tanf (Autoroute iranienne option 2), il leur fallait impérativement établir un nouvel axe d’approvisionnement terrestre pour acheminer des armes, des munitions et des renforts au régime de Damas.
La dictature alaouite syrienne a d’abord accusé les Etats-Unis d’être à l’origine de ces bombardements aériens, mais Washington a fait savoir, en fuitant des informations sur CNN et à l’AFP, qu’il n’était pour rien dans ces raids et que ce sont les Israéliens qui les ont réalisés. Nous rappelons à ce propos que le Pentagone ne ment pas concernant les opérations militaires qu’il réalise et celles auxquelles il ne prend pas part, suivant en cela une doctrine de communication qui veut que la première puissance mondiale n’éprouve pas le besoin de désinformer au sujet de ses activités militaires.
L’imputation du Pentagone impliquant le Khe’l Avir est ainsi absolument plausible, même si le porte-parole de Tsahal, comme à son habitude, s’est refusé à confirmer ou à infirmer les affirmations de CNN.
A notre avis, c’est au moins la seconde fois que l’Aviation des Hébreux frappe "l’Autoroute iranienne, option préférentielle", appelée ainsi car elle est de loin la voie la plus carrossable des trois alternatives. La fois précédente, le 24 mai dernier, c’est également une position gouvernementale proche d’Abou Kamal qui fut visée et détruite. A en croire notre correspondant Perwer Emmal, la première attaque aurait fait 66 morts, et celles d’hier, au moins 150, principalement des membres des Kataëb Hezbollah, les supplétifs chiites iraniens du Hezbollah libanais.
Au moins 25 militaires du régime, parmi lesquels un major-général, deux colonels et deux majors ont perdu la vie lors de ces interventions aériennes, de même qu’un nombre indéfini de miliciens libanais.
Au plus clair de l’opération "Tempête de Jazeera" menée conjointement par les forces de la Coalition américaine et les Peshmerga kurdes des Forces Démocratiques Syriennes, nous nous étions posé la question de savoir pourquoi les USA ne prenaient pas le contrôle de l’autoroute préférentielle iranienne, alors que c’était largement dans leurs cordes. L’une des réponses à cette interrogation est, qu’officiellement, l’U.S. Army n’est censée faire la guerre qu’à DAESH et ne pas franchir l’Euphrate. L’ordre de marche n’ayant pas été modifié à ce jour, malgré le départ des Russes, c’est sans doute la raison pour laquelle Washington laisse les Israéliens "faire le ménage", ce pour quoi ils ne se font pas prier, puisqu’ils y trouvent matière à compléter le K.O qu’ils ont infligé à l’élite de l’Armée iranienne. De plus, pour Washington, c’est sans doute aussi l’opportunité de laisser les pilotes israéliens rendre le F-35 furtif opérationnel et de lui fonder une réputation de winner, spécialement après les nombreuses critiques qui ont émaillé son développement.
Parlant de DAESH, la lutte n’est pas totalement terminée, non plus que la participation des Occidentaux. Tout près du théâtre des opérations que je viens de mentionner, les Kurdes sont en train de réduire la dernière poche importante de résistance de l’Etat islamique au sud-est de la ville de Hasaké et à l’est de la rivière Khabour [carte], entre celle-ci et la frontière irakienne.
Pour les aider dans leur tâche, les Peshmerga ont reçu l’appui de diverses forces occidentales, parmi lesquelles, outre les boys américains, l’on compte entre autres des Français, des Italiens, des Britanniques et des Allemands.
Officiellement, il s’agit de commandos se montant à quelques dizaines d’hommes et eux aussi, entièrement consacrés à la lutte contre DAESH. C’est pourquoi le correspondant sur place de la Ména, l’incontournable Perwer Emmal, a été presque étonné lorsqu’il a identifié des artilleurs français en route pour Akashat [carte], en Irak, sur une zone où on ne rencontre aucun milicien de DAESH, mais des supplétifs chiites irakiens de l’Iran en nombre, ainsi que des militaires gouvernementaux irakiens et syriens.
Preuve de cette présence, la photo d’un CAESAR de l’Armée française, un Camion Equipé d’un Système d’Artillerie, sur une route, à proximité immédiate de l’endroit où la "nouvelle route de liaison" a été construite, et tout aussi près de l’escouade alaouito-chiite qui s’est fait décimer par les F-35 sans doute israéliens.
Le CAESAR est une pièce d'artillerie polyvalente de 155 mm, d’une portée de 5 à 38 km. Il est aérotransportable en Hercules C-130 et son équipage comprend 5 hommes. Sa vitesse en configuration tout-terrain peut atteindre 50 km/h et son autonomie est de 600 km. Et ce n’est évidemment pas une arme de commando, mais un canon (très) lourd au service d’une armée régulière. Les CAESAR faisaient mouvement en compagnie de canons autoportés de l’Armée américaine, dont nous possédons aussi les photographies.
Des artilleurs franco-américains en face d’artilleurs syro-irakiens, c’est une recherche d’équilibre que l’on peut comprendre. Une participation de Paris à l’effort consistant à terminer la démolition des déclinaisons de l’Autoroute iranienne, c’est quelque chose qui ne doit pas manquer de faire plaisir à M. Netanyahu et à Gadi Eizenkot (le commandant en chef de Tsahal). Et qui explique peut-être pourquoi la "Flottille du Hamas" s’est vue interdire d’accoster à Paris. Il existe sans doute des raisons suffisantes pour ne pas répliquer violemment aux actes anti-israéliens à répétition du gouvernement français. Y a-t-il un double discours entre Jérusalem et Paris ? Cela ne nous étonnerait pas plus que cela. D’autant plus que si la communication à l’échelon diplomatique est franchement détestable, la compréhension entre les deux armées et entre les services de renseignement n’est pas que correcte, elle est franchement fraternelle.
Au nord-ouest de la Syrie, la situation est des plus tendues entre les forces du Satrape Erdogan, d’une part, et les contingents occidentaux et les Peshmerga kurdes, de l’autre. Le despote multiplie les menaces et les provocations militaires sur le terrain contre la ville de Manbij dans le Rojava, à l’ouest de l’Euphrate. Ce weekend il a en outre menacé l’Occident de rien de moins qu’une guerre entre musulmans et chrétiens. Il a prévenu que si l’Europe mettait à exécution son intention d’exiler des imams appelant au Djihad et de fermer les mosquées intégristes, il y aura des représailles. Mais il s’agit sans doute d’une information que vous n’avez pas le droit de lire.
Et ce n’est pas le pire. Le pire, c’est que, débarrassée des menaces existentielles de la rébellion grâce aux frappes aériennes de Vladimir Poutine, le régime des al Assad a regroupé presque tout ce qu’il lui reste de combattants et de matériel dans le Golan en préparation d’une offensive majeure visant le Front du Sud à Deraa et à Kuneitra.
On a observé des centaines de chars de combat T-72 de fabrication russe [photo] à quelques kilomètres de la frontière israélienne et les officiers n’ont de cesse de nous scruter à la jumelle. Face à eux, le Front du Sud ne dispose pas d’un seul tank, et il a beau mobiliser toutes ses réserves, il ne peut pas s’opposer validement à cette armada.
J’ai également compté des dizaines de canons lourds, et il en arrive sans cesse davantage.
Israël est sur le qui-vive et n’a pas fait part de ses intentions. Il pourrait, grâce à son aviation, ses missiles Tamouz et ses Merkava, transformer cette quincaillerie en un amas de ferraille en l’espace de quelques minutes. Mais on risque tout de même, si Tsahal intervient, une brève guerre conventionnelle ; ce, d’autant plus que cette armée est encadrée par des officiers russes, et que ce n’est pas dans l’intérêt de Jérusalem de croiser le fer avec Poutine sur un champ de bataille.
Vu sous un autre angle, à quoi rime d’aller pourfendre le danger iranien à 500km de notre territoire si l’on n’est pas capable d’empêcher un tyran sanguinaire de se réinstaller sur notre frontière ?
La situation est explosive, même si le gouvernement n’en fait pas tout un plat afin de ne pas exciter la population de Galilée. Le département d’Etat américain a émis un communiqué le 25 mai dernier, menaçant Assad de "prendre des mesures fermes et appropriées" en cas de déclenchement de l’offensive.
C’est sans doute la dernière chose qui empêche Poutine de donner le feu vert à son poulain afin qu’il massacre tout sur son passage jusqu’à la frontière jordanienne. Hier, Bashar al Assad a lancé des tracts à la population du Golan syrien, lui proposant de "se rendre ou de mourir". Son artillerie a ouvert le feu sur un village, tuant trois enfants, le dictateur s’en est félicité.
A la Ména, nous espérons qu’il n’y a pas de deal sous-jacent avec le Tsarévitch, du genre : on vous aide à mettre les Iraniens dehors, mais vous laissez Assad récupérer sa partie du Golan. Nous n’y croyons pas, car le remède serait pire que le mal.
L’idée de Poutine, qui l’a amené à lâcher les Iraniens et Assad à l’Est et au Nord est la suivante : le président russe comprend parfaitement qu’avec 1.5 millions d’Alaouites, même dans des conditions optimales – et on en est très loin –, et même avec son soutien militaire, le despote-oculiste ne saurait contrôler un pays de la dimension de la Syrie. Dans ces conditions, le Tsarévitch entend forcer son protégé à abandonner les vastes territoires qu’il ne peut pas tenir pour ne conserver que les grandes villes de l’Ouest et l’autoroute qui les relie entre elles, ainsi que la province de Lattaquié et… le Golan.
Cette offensive est un peu son cadeau de départ aux Alaouites. Il n’y a plus d’ennemis à combattre sur les territoires qu’il réserve à son protégé, il va bientôt partir lui aussi, d’ailleurs, quelques milliers de ses soldats russes ont déjà plié bagage.
Pour faciliter la tâche d’Assad, il a demandé amicalement à Binyamin Netanyahu de ne pas déclencher d’opération importante en Syrie pendant le Mondial. A Jérusalem, on observe la situation sans répit. On redoute particulièrement un début d’offensive graduel. A peine le temps de réagir au risque de se retrouver en pleine guerre. L’idéal, militairement parlant, serait une opération préventive : un feu d’artifice sur les colonnes de T-72 à la queue leu-leu sur les routes étroites du Golan. On l’envisage sérieusement.