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Coup de froid sur le printemps arabe

 

Ecrit par Yves Bourdillon

 

Les dictatures arabes sont censées vivre leurs dernières heures depuis déjà plus d'un trimestre. Sans aller jusqu'à évoquer un « automne » supplantant précocement le printemps arabe, force est de constater que ce grand mouvement de démocratisation du Maghreb et du Proche-Orient stagne depuis quelque temps.

Les dictateurs ne sont pas tombés comme des dominos après le renversement de Ben Ali en Tunisie et de Hosni Moubarak en Egypte, à l'inverse de ce qui s'était passé lors de la chute du mur de Berlin, en 1989, auquel on a pu comparer les événements actuels. Les dirigeants syriens, libyens et yéménites s'accrochent toujours au pouvoir, au risque d'une guerre civile. Bachar-al Assad a, certes, levé l'état d'urgence en vigueur depuis 1963 en Syrie. Mais il n'en fait pas moins massacrer les manifestants à la mitrailleuse. Ses promesses récentes d'amnistie restent à vérifier dans les faits, et l'armée ne semble pas encore prête à l'abandonner, ce qui a été le facteur clef des révolutions arabes jusqu'ici.

L'intervention de l'Otan en Libye ne parvient pas à faire reculer substantiellement les forces loyalistes. Quant à Ali Saleh, au pouvoir au Yémen depuis trente-deux ans, il a refusé de parapher l'accord de transition négocié par les médiateurs des pays du Golfe, et a lancé ses troupes contre les forces passées à l'opposition à Sanaa.

Ailleurs, les manifestations massives n'ont pas déstabilisé les régimes en place, et n'ont pas abouti à des réformes, hormis la promesse de révision constitutionnelle du roi du Maroc. Un calme peut-être trompeur est revenu en Jordanie. A Bahrein, les contestations ont été écrasées par une Arabie saoudite qui, malgré les timides remontrances occidentales, n'entendait pas laisser se développer chez son petit voisin une révolte essentiellement chiite qu'elle soupçonne l'Iran de manipuler. Et le régime saoudien a douché les revendications politiques domestiques sous un déluge de près de 100 milliards de dollars de mesures sociales...

Quant aux pionniers tunisiens et égyptiens, qui ont focalisé en janvier et février l'attention et les espoirs du monde entier, ils sont aujourd'hui empêtrés dans les affres ordinaires d'une transition. L'euphorie et le consensus ont laissé la place aux débats acrimonieux sur le calendrier électoral, les alliances politiques (quelle place pour les islamistes et pour les partis jadis au pouvoir ?), la timidité des poursuites contre les profiteurs de l'ancien régime, ou les atteintes aux libertés publiques toutes neuves.

Dans ces deux pays les tortures policières n'ont pas disparu. La junte militaire égyptienne, portée aux nues en février par les contestataires de la place Tahrir au Caire, s'avère être un cercle d'une dizaine de généraux âgés et désarçonnés par les désordres d'une démocratie naissante. Elle a imposé de conserver la forte peu libérale Constitution en vigueur sous Hosni Moubarak, au prix de quelques amendements mineurs. Un blogueur a été condamné à trois ans de prison et les organisations de jeunes qui avaient déclenché la révolution ont boycotté avant-hier une réunion avec la junte pour protester contre « les lois incriminant les grèves, les rassemblements pacifiques et la liberté d'expression ». La lenteur des changements a poussé vendredi dernier des dizaines de milliers d'Egyptiens dans les rues pour une nouvelle « journée de la colère ». Ils réclament le retour rapide à un pouvoir civil, le renvoi des responsables de l'ancien régime toujours en place et l'arrestation des personnalités coupables de corruption ou de violences.

La révolution patine aussi en Tunisie, comme l'illustre le débat confus sur le calendrier électoral. Le pouvoir proposait l'élection d'une assemblée constituante le 24 juillet mais la commission électorale jugeait ce délai trop court, et proposait plutôt mi-octobre.

Pour autant, il serait excessif d'en conclure que le printemps arabe va retomber comme un soufflé, et qu'aucun autre dictateur ne sera renversé. Personne ne table plus sur la survie politique d'Ali Saleh. Les défections au sein du régime libyen, et les attaques répétées des troupes loyalistes par les forces de l'Otan laissent présager une chute de Kadhafi. Parmi les régimes arabes terrorisant leur population, il n'est pas impensable que d'ici un mois ou deux, le Syrien soit le seul encore en place...

Parallèlement, en Egypte et en Tunisie, les frustrations et les cahots de la transition s'avèrent relativement normaux. Les révolutions ne sont jamais fluides. S'il a dissous le RCD, le « parti -Etat » de Ben Ali, le nouveau régime tunisien ne peut pas limoger les millions de cadres qui en étaient issus, tout comme en Egypte un « nettoyage » intégral de l'appareil d'Etat des membres du parti national démocrate d'Hosni Moubarak créerait un vide dangereux.

Dans ces deux pays, où l'Etat de droit s'améliore peu à peu, s'instaure en outre un apprentissage du jeu politique proto-démocratique. Les juntes ne sont pas sourdes aux revendications de la rue ou des cyber-militants. A Tunis, le régime semble ouvert à un report de l'élection constituante. Au Caire, où il a aussi repoussé les élections à la fin de l'année pour permettre aux nouveaux partis de s'organiser, il a accepté d'instaurer une dose de proportionnelle aux prochaines législatives, une mesure favorable aux petits partis. Et Hosni Moubarak a été mis en examen pour corruption et violences, un fait sans précédent dans la région.

Le printemps arabe semble donc plutôt à la recherche d'un second souffle. Et pourrait repartir de plus belle dans quelques semaines. Prochain rendez-vous... à Riyad, où des femmes comptent défier les autorités le 17 juin en prenant le volant. L'Arabie saoudite est le seul pays au monde où les femmes n'ont pas le droit de voter ni de conduire une voiture.

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