NOUS AVONS PERDU UN GRAND AMI QUI SE DISTINGUAIT DE TOUS CES POLITICARDS
PAR SA CULTURE ET PAR L'ABSENCE DE LANGUE DE BOIS .
IL NOUS MANQUERA POUR SON COURAGE ET POUR SA HAINE DES COMPROMISSIONS.
PAIX à SON ÂME !!!
Frêche : le PS perd sa dernière amarre (info # 012610/10) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Je ne l’avais croisé qu’à deux reprises et n’ai eu qu’une seule fois une discussion sérieuse avec lui, pour autant qu’il ait été possible d’entretenir avec Georges Frêche un échange se situant ailleurs qu’au second degré.
Mais cet homme politique, son approche de la vie, sa carrière et ses provocations permanentes m’ont toujours sensibilisé, au point que sa perte m’attriste sincèrement.
Provocation ? Il détestait la stagnation par-dessus tout et ne reculait devant aucun recours – aucun – pour faire se lever ceux qui sont trop bien assis. Car pour lui, le statut quo et la redondance recelaient les éléments conduisant forcément aux erreurs, aux fautes et à la corruption.
Et ça n’est certainement pas par hasard s’il avait intitulé l’un de ses ouvrages clés "Les éléphants se trompent énormément" (Balland éditeurs). Une critique éclairée des dirigeants du Parti socialiste français, que ce dernier n’a toujours pas intériorisée.
Second degré ? Frêche venait de recevoir le prix spécial du jury du Prix de l'humour politique ; il avait déclaré, devant un parterre d'étudiants : "Des gens intelligents, il y en a 5 à 6% ; moi je fais campagne auprès des cons".
Marrant ? Il aurait aussi bien pu recevoir le prix spécial de la lucidité, sauf que, pour ne pas paraître une fois encore excessif, il avait volontairement gonflé les statistiques.
Depuis dimanche, on ne s’embête plus au ciel !
Je le revois, alors que j’avais l’honneur de partager l’estrade avec lui durant la Journée de Jérusalem, en 2009. Une manifestation organisée chaque année dans sa ville de Montpellier.
J’avais alors été agréablement surpris de participer, dans le plus grand parc de la cité languedocienne, à un grand rassemblement en faveur d’Israël, pratiquement sans policiers, sans service d’ordre, et dans lequel l’amitié entre les peuples remplissait tous les volumes disponibles.
Eclatant exemple de ce que devrait normalement être la relation entre deux pays partageant autant de patrimoine, de valeurs et d’histoire en commun.
Voilà Frêche, escaladant la scène, la main gauche sur une canne et le bras droit arrimé à l’épaule d’un collaborateur. Il avait mille ans, cet homme, et je me demandai comment il tenait encore debout. Mais lorsqu’il prit la parole, le silence se fit instantanément au timbre de sa voix. La chenille s’était changée en lion, si bien que, même les piqueniqueurs agenouillés et bruyants sur le gazon se mirent à retenir leur souffle.
On l’écoutait aussi pour son érudition, il vous citait par cœur et (le plus souvent) sans se tromper, la date de l’exil à Babylone et celui du sac de Jérusalem par Titus. Il possédait parfaitement ce qui fait défaut à tant de personnages publics – et pas uniquement en France, loin s’en faut -, la profondeur culturelle.
Un autre de ses avantages était qu’il ne pratiquait pas la langue de bois. N’importe quel autre homme politique français, en semblable occasion, en connaissance des réalités démographiques de sa ville et de la région qu’il présidait, se serait contenté d’une harangue passe-partout pour dimanche après-midi. Pas lui. Il n’avait plus de temps d’exprimer des généralités.
Il dit attendre avec impatience le matin où il entendrait aux nouvelles qu’Israël venait de détruire les installations nucléaires en Iran, de la même manière dont il s’était réjoui de l’opération de libération des otages du Boeing d’Air France en Ouganda.
En grand tribun qu’il était, il interpella Nicolas Sarkozy, du haut de la tribune, afin d’exiger de lui qu’il transfère son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem.
Puis il surpassa le discours de tous les leaders politiques hébreux fréquentables, en leur interdisant, à n’importe quel prix, d’abandonner la Judée et la Samarie. Je n’avais jusqu’alors jamais entendu de personnalité française de premier plan ne pas employer le terme "Cisjordanie".
Beaucoup de politiciens de l’Hexagone se prétendent les amis d’Israël, mais c’est le plus souvent pour mieux lui adresser leçons et reproches. Rien de cela chez Frêche : il ne suivait pas les préoccupations d’Israël, il les devançait.
On aurait juré qu’il parlait de son pays ; il s’identifiait à lui sans le moindre "mais", la moindre esquisse de rééquilibrage par une affirmation proarabe, exercice devenu domaine d’expertise chez ses confrères tricolores.
Georges Frêche a longtemps clamé qu’il n’était pas juif et qu’il "regrettait ne pas avoir cet honneur". Ces dernières années, il avouait n’en être plus très sûr. Pour des dirigeants de la communauté israélite montpelliéraine, l’ascendance juive de Frêche ne fait cependant aucun doute, ne serait-ce que par l’origine de son nom.
Cela n’a bien sûr aucune espèce d’importance, on n’est pas meilleur ou moins bon lorsque du sang juif coule dans ses veines et on ne modifie pas la statistique des cons. La curiosité réside dans le fait de savoir avec quels yeux il regardait le monde ; si le destin du peuple hébreu le passionnait simplement parce qu’il est passionnant, ou parce qu’il sentait qu’il y était lié ?
Lors de mon intervention, j’avais évoqué la centralité du temple de Jérusalem dans la tentative des hommes de se rapprocher du métaphysique. C’est une sensation qui m’envahit dès que je m’approche des ruines de cet édifice, ce que je fais le plus souvent possible. Pas du côté du Mur occidental, mais de celui des fouilles, de l’autre côté de la rampe qui mène aux mosquées.
J’étais persuadé que Frêche ne m’écoutait pas, dont les yeux scrutaient dans toutes les directions, et qui échangeait quelques mots avec tous ses voisins. Mais lorsque j’en eus terminé et que j’allai, par politesse, lui serrer la main qu’il me tendait, il m’approcha de lui avec force et me confia que, chaque fois qu’il s’était rendu dans la capitale d’Israël, il avait exigé qu’on le conduise au mur, et il s’était précisément senti habité par le même dérangement que moi.
Politiquement, la mort du président de la région Languedoc-Roussillon constitue une grande perte, à la fois pour les Hébreux et pour le parti socialiste français. Avec lui disparait la dernière figure nationale adepte de l’amitié historique qui liait ces deux pôles.
Frêche nous abandonne avec ces génies politiques que sont Martine Aubry et Ségolène Royal ; avec une formation politique qui menace déjà, au cas où elle récupérerait l’Elysée, de se montrer beaucoup plus exigeante à l’égard des dirigeants israéliens.
Ce qui signifierait, entre autre, que les télévisions françaises – déjà outrageusement biaisées en faveur des Arabes - ne seraient plus du tout regardables. Et, partant, que le conditionnement des téléspectateurs de l’Hexagone contre l’Etat hébreu et les Israélites deviendrait irréversible.
Ce que je viens d’exprimer n’est pas une vue de l’esprit, ni une exagération de l’importance qu’occupait Georges Frêche dans la gauche pragmatique en France. Bien qu’il fût injustement banni du PS en 2007, le défunt ne cessa jamais d’y jouer un rôle primordial. Et je doute fort que l’on pût, tout le temps qu’il respirait, devenir premier secrétaire du parti et candidat à la présidentielle contre la volonté de l’homme de l’Héraut. Ca n’est pas la "brillantissime" Ségolène qui me démentira.
Il est évident que Frêche et sa grande gueule dérangeaient tout le monde. Il est vraisemblable qu’il était hyperactif, et que sa parole, courant encore plus vite que ses idées, lui faisait dire des choses qui l’ont marginalisé, le privant, par exemple, d’un quelconque poste ministériel.
Il détestait Mitterrand pour ses rapports avec René Bousquet et sa période pas propre durant l’occupation, ce qui lui a certainement valu son écartement des affaires nationales. Mais au reste, les critiques qui lui ont été adressées et qui ont justifié son éloignement de Paris sont totalement infondées. L’ex-maire de Montpellier a toujours affirmé être la cible d’une manipulation médiatique durable.
A Métula, familiers avec ces dossiers, nous sommes enclins à le croire.
L’Agrif, la très droitière "Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne" avait touché le ridicule du plat de la main, en 2007, en assignant Frêche au prétexte de provocation antisémite.
Feu notre ami s’était flatté d’ "avoir fait de Montpellier une zone libérée d’Eretz-Israël". L’Agrif, à son habitude, n’avait rien compris : il entendait "une ville libre de la terre d’Israël", une cité qu’il avait soustraite (libérée) de l’anti-israélisme dominant dans son pays. Et non, comme l’avaient entendu les catholiques extrémistes : que Frêche aurait libéré la capitale du Languedoc-Roussillon d’une quelconque emprise des Juifs !
Cette dernière interprétation est d’autant plus discutable, que, dans la même exhortation, il s’était félicité de l’élection, au suffrage universel direct, "d’un Juif président de la République"...
Sur ce point également, Frêche, désinhibé, disait publiquement ce qu’à Paris on n’a de cesse de murmurer en privé, et fréquemment dans une déclinaison péjorative.
Même soupçon ahurissant d’antisémitisme, lorsque le disparu avait trouvé à Laurent Fabius "une tronche pas catholique". D’après les précisions qu’il avait lui-même fournies, cette expression était sans connotation religieuse et signifiait que l’ex-1er ministre avait une allure qui n’inspirait pas confiance, rejoignant ainsi la définition des encyclopédies.
Quitte pour le plan formel, mais nous ne serions pas autrement surpris si le taquin Méditerranéen n’avait pas voulu enfoncer une banderille au flanc d’un Fabius, d’origine juive, qui fait justement partie du clan des donneurs de leçons à Israël, et des responsables socialistes, qui laissent, sans piper mot, glisser le parti vers la détestation systématique de la nation des Hébreux.
Frêche a également commis le crime de lèse-majesté (jusqu’au Mondial d’Afrique du Sud, ensuite, cela ressemble à l’ouverture d’une chasse à l’homme) de poser des questions sur le nombre d’Africains sélectionnés dans l’équipe de France de football. Il est vrai qu’on en compta jusqu’à neuf et même dix.
Cette controverse m’interpelle, parce qu’elle m’amena à une violente rixe verbale, m’opposant à l’un de mes meilleurs amis, journaliste chevronné à la TV suisse romande, dans un bistro à fondue de la cité de Calvin. Ce soir-là, nous hurlâmes si fort notre différend intellectuel, que les patrons du troquet bourré de clients, au bord des larmes, tentèrent de nous offrir tout ce qu’ils avaient à boire pour tenter, mais en vain, d’apaiser notre conflit.
Sur la question, je partageais, sans le savoir, le parti du Montpelliérain, jugeant qu’il était légitime et même souhaitable, sans que cela ne s’apparente le moins du monde à du racisme, de se demander pourquoi il n’y avait pratiquement pas d’Européens dans une sélection nationale européenne. Et parce que la réponse : parce que ce sont les meilleurs, ne me satisfait pas, et que c’est elle que j’assimile à du racisme.
Il y eut d’autres accusations de dérapage contre Frêche, mais la plus douloureuse, la plus inique et aussi la plus coûteuse politiquement pour l’intéressé, fut celle qui concerna une bande de harkis. En 2006, à l’occasion d’un dépôt de gerbe, le président de région eut maille à partir avec un groupe de harkis qui avaient rejoint les rangs du parti gaulliste.
Or ce ralliement était, pour des causes historiques, absolument inconcevable pour Georges Frêche, qui ne se fit pas prier pour le leur dire :
Vous êtes vraiment d’une incurie incroyable. Vous ne connaissez pas l’histoire ! Ah, vous êtes allés avec les gaullistes… Vous faites partie des harkis qui ont vocation à être cocus toute leur vie…
Faut-il vous rappeler que 80 000 harkis se sont fait égorger comme des porcs parce que l'armée française (aux ordres de de Gaulle. Ndlr.) les a laissés ?
(...) Allez avec les gaullistes ! (...) Vous y serez très bien ! Ils ont massacré les vôtres en Algérie et vous allez leur lécher les bottes ! (...). Vous êtes des sous-hommes ! Rien du tout ! Il faut que quelqu’un vous le dise : vous êtes sans honneur, vous n’êtes pas capables de défendre les vôtres ! (...).
C’était l’ire du professeur d’histoire.
Mis en examen pour "injures à caractère racial", il est relaxé par la Cour d’appel en 2007, qui a estimé, très justement, "que les propos ne s'adressaient d'aucune manière à la communauté harkie mais à deux individus".
On doit à la postérité de préciser, comme dans l’incident d’ "Eretz Israël", que Georges Frêche avait pris le parti inverse de ce qui lui fut reproché, en l’espèce, celui de l’honneur des harkis, contre des harkis incultes, qui venaient d’adhérer au parti fondé par celui qui avait conduit au massacre de 80 000 de leurs aïeux.
Le vice-président communiste du conseil régional, Jean-Claude Gayssot, qui avait initialement présenté sa démission, l’a ensuite retirée en saisissant ce qui s’était passé.
Ce fut également le cas des chroniqueurs de Laurent Ruquier, à On n’est pas couché, Eric Naulleau et Eric Zemmour, qui stigmatisèrent une manipulation médiatique, arguant que les images de l’incident montraient, à l’évidence, que notre ami s’était lâché sur des individus particuliers, et sûrement pas contre les harkis ou des représentants d’iceux.
Au PS, on n’eut ni cette intelligence ni cette probité, probablement trop satisfait de pouvoir saisir l’occasion qui se présentait, d’éloigner définitivement l’auteur d’ Il faut saborder le PS (Seuil).
D’abord François Hollande, alors 1er secrétaire, suspendit Frêche des instances nationales à titre provisoire, avant que la "commission nationale des conflits" du parti ne l’exclue, jugeant ses paroles "non compatibles avec les valeurs d'égalité et de respect des droits humains".
Le PSF a ensuite tenté de présenter des candidats à lui face aux listes Frêche, lors d’élections locales et régionales. Chaque fois, les socialistes institutionnels mordirent, piteusement, cela est à préciser, la poussière.
Au lendemain de sa mort, l’UMP, décidément rancunière, n’avait toujours pas admis que Georges Frêche ait rappelé à des harkis l’un des actes de "bravoure" de son fondateur. La direction de ce parti a cru nécessaire de s’affirmer "convaincue que ses nombreux dérapages auront du mal à s'effacer de nos souvenirs". Nous, ce sont des innombrables dérapages de Charles Gaulles dont nous nous rappelons très distinctement.
Cohn-Bendit, qui s’est fort bien fait à l’habitude de parler pour ne rien dire, pourrait, sans que personne n’ait rien a y perdre, nous épargner ses remarques d’homme assis, à l’image de celle qu’il consacre au Montpelliérain : "un politique qui avait une manière d’agir et de faire qui était exécrable".
Nous, de notre rocher guettant les premiers signes de l’hiver, de rendre, en revanche, un hommage appuyé à quelqu’un avec lequel nous partagions des valeurs fondamentales. Quelqu’un qui était persuadé, à l’instar de Dante Alighieri dans sa Divine Comédie, et du romancier Milan Kundera, que Jérusalem est le centre du monde. L’endroit où se trouve la porte d’où, en se penchant sur la pointe des pieds, l’on voit plus loin que l’horizon.
Un professeur d’histoire de droit romain, une civilisation qu’il portait en lui et que nous admirons tant, qui avait reconnu que la politique n’était rien de plus qu’un jeu, sans jamais la prendre au sérieux et sans jamais oublier d’exercer toutes les activités ludiques que cela implique.
Et si la mort non plus n’était pas sérieuse ?