Pour faire suite aux photos du Sanatorium Ben Smin mises page 6.
Un article très interessant écrit par le chercheur M.hamed Alaoui Yazidi, du journal Al Bayane.
Histoire du sanatorium (Ben Smin) en décomposition
Connaissez-vous le Sanatorium antituberculeux de Ben-Smim ?
En avez-vous entendu parlé ? Qu'évoque pour vous cet édifice ? S'agit-il d'un monument, d'un site historique? En quoi l'imbrication d'éléments naturels, culturels et architecturaux milite-t-elle en faveur de la réhabilitation du patrimoine historique ? Outre son aspect basique, matériel, portant sur le bâti, la revalorisation d'un site n'a-t-elle pas également une dimension morale, citoyenne? On oublie souvent que le réconciliation de l'homme avec son histoire est une manière aussi de réhabiliter sa mémoire, de conjurer la tentation auto-amnésique.
La citoyennete en verre opaque...
Le complot qui perdure
C'est au coeur du moyen atlas, à dix (10) kilomètres d'Azrou, que fut décidée en 1945, la construction du sanatorium d'altitude de Ben-Smim. D'une capacité hospitalière de quatre cents lits (400). Le bâtiment est d'une longueur de cent quatre vingt cinq mètres (185 m). Les travaux de construction commencèrent en 1946. Pièce maîtresse de l'arsenal antituberculeux de l'époque, son site offrait des conditions climatiques exceptionnelles aux malades. C'est un vaste cirque bien exposé au midi, à l'altitude de 1650 mètres. Les bâtiments sont construits sur la pente à la cote 1520 mètres, dans une petite forêt de chênes verts dominant une vaste prairie. C'est en 1954, que les premiers malades furent reçus à l'hôpital. L'inauguration officielle eut lieu le 18 avril 1955. Comment se présente le polymorphisme du fonctionnement de ce sanatorium ? Au point de vue médical: examens cliniques et radiologiques, laboratoires de chimie et de bactériologie, les antibiotiques, la collapsothérapie et la chirurgie thoracique. Sur le plan social et culturel; les pensionnaires en dehors des heures de cure, pouvaient s'adonner à certaines activités: expositions d'objets et de travaux divers, la lecture, l'audition des disques classiques ou variés, les cours ménagers, les travaux de reliure, organisation des spectacles. Pour les trois religions révélées, on a prévu une synagogue, une chapelle catholique et une mosquée. Ce Sanatorium a été également doté de services généraux et techniques très développés. «Les installations électriques sont celles d'une usine, la chaufferie celle d'un paquebot, la cuisine est un laboratoire». Propos cités par le médecin directeur du sanatorium, Mr. Jacques Cotta. En outre, cette formation hospitalière fonctionnait selon les normes de l'hôtellerie: chambres individuelles par exemple équipées de téléphones.
D'après le procès verbal d'affectation signé au mois de novembre 1947 entre le service affectataire (la direction de la santé publique et de la famille) et le service des domaines de Meknès, le terrain servant d'assise foncière à l'aménagement du Sanatorium est d'une contenance de 34 hectares, 73 ares, soit à peu près 35 ha.
Après avoir rendu d'éminents services et sur le plan des cures sanatoriales et sur celui de la chirurgie thoracique, cette belle réalisation ferma ses portes en 1975.
Le déclin de la mortalité par tuberculose suite au développement des nouvelles thérapeutiques et des soins ambulatoires, le coût du fonctionnement sont généralement les raisons invoquées pour justifier cette fermeture.
Dans son allocution prononcée lors de l'inauguration, Mr. Aujaleu, directeur de l'hygiène sociale au ministère français de la santé publique et de la population a dit sur un ton prémonitoire et non moins testamentaire «... et si un jour, le nombre des tuberculeux pulmonaires baissait au Maroc au point de ne plus justifier l'existence d'un Sanatorium d'altitude nous ne pourrons que nous en réjouir, car cela témoignerait d'une des plus grandes victoires de la santé publique. Le sanatorium pouvait devenir alors l'un des fleurons de la chaîne touristique hôtelière marocaine...» . A l'époque déjà on envisageait sa reconversion.
Dans les années qui ont suivi la fermeture du sanatorium, les logements du personnel (villas, dépendances, pavillons doubles, pavillons des infirmiers) ont servi de colonies de vacances au profit des oeuvres sociales du ministère de la santé.
Pillé, saccagé comme si c'était un butin de guerre, ce bel édifice que le ministère des affaires culturelles aurait du inscrire ou classer comme patrimoine éminemment historique a été transféré au milieu des années quatre vingt et d'une manière informelle au ministère de l'intérieur. Il est gardé actuellement par un détachement des forces auxiliaires.
Cherchons elite regionale... «sesame ouvre-toi»
Un quart de siècle après sa désaffectation, la reconversion se fait lamentablement et désespérément attendre. Si le complot du silence perdure, le sanatorium risque à terme de subir le sort macabre de l'hôtel Abraham Lincoln de Casablanca, patrimoine architectural qui a rendu l'âme. Il est entrain de s'effriter, de se décomposer sous nos yeux récemment - ironie du sort - il a servi au tournage d'un grand film américain sur la guerre civile en Somalie.
Matériellement, la réhabilitation du sanatorium pour en faire un hôpital régional est possible. Et c'est la région Meknès-Tafilalet qui en profitera. L'aménagement hospitalier ne fait-il pas partie de l'aménagement du territoire ?
Actuellement, l'encadrement médical est qualitativement déficitaire. Pour bon nombre de spécialités, la population de la région se déplace à Rabat et à Casablanca pour suivre les soins. Le déséquilibre affecte également la répartition des équipements sanitaires entre la métropole régionale (Meknès) et les autres provinces. Une étude d'impact serait toutefois nécessaire pour ce scénario.
Sur le plan touristique, la reconversion contribuerait grandement au développement de l'écotourisme. Produit prisé mondialement. Compte tenu des opportunités naturelles de la province d'Ifrane (les forêts de cèdre, les sources d'eaux, les paysages montagneux, les sports d'hiver, la neige, les randonnées, les sites archéologiques, le parc naturel en cours d'aménagement) . L'impact économique d'une telle reconversion est indéniable. Son effet d'entraînement toucherait non seulement les villes avoisinantes (Ifrane, Azrou) mais aussi la partie méridionale de la région, connue par ses oasis, ses dunes, ses moussems et ses ksours.
De nos jours, le tourisme dans la région demeure un tourisme de passage avec un nombre de nuités insignifiant. 2,8% des nuités nationales en 1997 et faible taux d'occupation. Un tourisme désarticulé aussi parce que la région est dépourvue d'un circuit touristique intégré, propre à elle.
Quelle stratégie touristique doit-on mettre en place pour atteindre dix millions de touristes en 2010 ? Peut-on concrétiser cette aspiration royale, cet objectif sans penser à la reconversion de certains bâtiments ? On peut donner pour exemple, I'ex-hôpital militaire Marie Feuilly. Peut-il être reconverti ? L'Agence de logements et d'équipements militaires n'est elle pas en mesure d'aider à la formulation d'une stratégie de reconversion ? En procédant par exemple au recensement des immeubles bâtis qui peuvent être reconvertis en hôtels. Le décret-loi du 23 septembre 1994 habilite d'ailleurs cet organisme à «donner en location ou vendre, la cas échéant, les immeubles bâtis ou non bâtis qui ne peuvent plus servir à l'accomplissement de sa mission». Autrement dit, les immeubles qui ne sont plus affectés au service public de l'administration de la défense nationale. A contrario ceci n'empêche pas juridiquement l'agence en tant que gestionnaire du foncier militaire de faire des propositions dans ce sens. Le vœux royal interpelle tous les acteurs.
La reconversion du sanatorium en centre international de concentration pour les athlètes de haut niveau est une proposition à méditer. C'est un levier au moyen duquel on peut développer le tourisme sportif. Le seul centre dont dispose le ministère de la jeunesse et des sports est celui d'Ifrane et dont la capacité d'accueil ne dépasse pas - paraît-il - cent places.
Quelle autorité faut-il interpeller pour redonner vie au sanatorium de Ben Smim ?
- Le 1er ministre ?
- Le ministre de la santé ?
- Le ministre du tourisme ?
- Le ministre de l'intérieur ?
- Le wali de la région Meknès - Tafilalet ? Constitutionnelleme nt représentant de l'Etat et responsable de la gestion des services publics locaux ?
- Le Conseil régional ?
- Les députés régionaux au parlement ?
- Les chambres de commerce, d'industrie et de services de la région ?
- Le Directeur du centre régional d'investissement nouvellement désigné ?
La société civile locale ? Ou bien tous ces acteurs à la fois? Quelle structure faut-il responsabiliser pour amorcer la discussion sur cette question ? Faut-il créer une structure ad-hoc qui aurait pour mission de procéder dans un premier temps au diagnostic du site et de proposer ensuite les scénarios possibles de la sauvegarde. Il ne fait aucun doute que le devenir de ce fleuron du moyen Atlas est une affaire autrement nationale, une responsabilité collective et citoyenne qui interpellent notre conscience, notre civisme. Vouloir éluder cette question, c'est reconnaître notre autoamnésie, c'est perpétuer le complot collectif du silence.
En attendant que notre gouvernement décide de la faisabilité des scénarios de réhabilitation, il est urgent que le Ministère de la Culture et de la Communication entame conformément à la loi n° 22-80 relative à la conservation des monuments et des sites, la procédure du classement du sanatorium même si elle intervient tardivement. Cette décision aurait le mérite de ressusciter ce fleuron Moyen Atlasique et par la même de mobiliser les acteurs institutionnels sur son devenir.
par M'hamed Alaoui Yazidi
Chercheur in Al Bayane