Existe-t-il un réel risque de guerre avec la Turquie ?
Par Richard Darmon
De jour en jour, le Premier ministre turc, Tayep Recep Erdogan fait monter la tension entre Jérusalem et Ankara en multipliant les déclarations belliqueuses. Ainsi après avoir menacé de faire escorter les prochaines flottilles « humanitaires » vers Gaza par des navires de guerre turcs, il a affirmé en début de semaine que « l'attaque du Marmara par les commandos marins israéliens était pour Ankara un causus belli". À l’heure où Erdogan s’affiche au Caire, à Tripoli et à Tunis, comme le leader du « printemps arabe », faut-il s’inquiéter de potentiels risques de guerre entre les deux alliés d’autrefois ?
« La prochaine fois que des bateaux humanitaires feront route vers Gaza, a déclaré Erdogan le 8 septembre, nous les ferons escorter par nos navires de guerre ! » « La Turquie prendra toutes les mesures militaires nécessaires pour assurer la sécurité de la navigation maritime en Méditerranée orientale » avait dit la veille le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davotoglu.
Or, même si un communiqué ensuite publié par Ankara devait quelque peu atténuer l’impact de ces deux déclarations ouvertement bellicistes en précisant que la communauté internationale les avait « mal comprises », le fait est que le ciel continue de s’assombrir de semaine en semaine à l’horizon bouché des relations Israël-Turquie…
Car si les Turcs s’avisaient de mettre ces menaces à exécution en voulant forcer avec leurs vedettes de guerre le blocus de Gaza imposé par Israël pour empêcher l’acheminement de stocks d’armes dans les arsenaux déjà bien remplis du Hamas, cela consisterait à n’en pas douter un véritable « casus belli », la marine de l’État hébreu étant pour sa part tout à fait fondée - au niveau du droit international - à vouloir défendre ce blocus…
En termes militaires stricts, tout affrontement de ce genre serait a priori fort délicat pour Israël : rappelons que la marine de guerre turque dispose d’une vingtaine de frégates - dont plusieurs de type Barbaros équipées de missiles Harpoon, de torpilles et de missiles mer/air -, 7 corvettes, 14 sous-marins et quelque 50 000 marins ; alors qu’Israël n’a que 10 vedettes, 3 corvettes et 3 sous-marins pour 20 000 marins. Encore qu’au plan qualitatif, les Turcs aient beaucoup à redouter de la grande maniabilité des navires israéliens et surtout de l’efficacité déjà bien connue de la force d’appui indispensable que constituerait l’aviation de Tsahal en cas de conflit même limité sur mer.
Des risques de conflit ouvert a priori assez réduits…
Toutefois, l’establishment militaire israélien estime qu’il est peu probable - du moins d’après les données actuelles… elles-mêmes en pleine évolution - que le pire survienne un jour entre les deux pays, essentiellement parce que la Turquie tient à rester un membre à part entière de l’OTAN, l’organisation de défense occidentale menée par les États-Unis et l’Union européenne. À tel point, arguent encore les stratèges israéliens, que les Turcs ont accepté voilà quelques jours de déployer sur leur territoire un important radar américain censé protéger l’Europe contre les missiles iraniens, et ce, dans le cadre du bouclier US. de défense antimissile du Vieux Continent.
Or toute confrontation armée avec Israël, pays allié à l’OTAN mettrait en péril l’appartenance de la Turquie à ce Pacte atlantique, dont les forces maritimes - menées par les imposants porte-avions américains - pourraient d’ailleurs s’interposer avant le premier coup de canon.
Cependant, l’establishment sécuritaire israélien n’ignore pas les dangers de la situation actuelle, surtout à l’heure où les dirigeants turcs fourbissent des plans contre Israël, assortis d’une panoplie de mesures et de menaces concrètes, dans le but d’asseoir leur domination régionale sur une partie du monde musulman : « Il s’agit d’un défi et de menaces directes contre notre souveraineté qui ne sauraient être prises à la légère », devait préciser un haut responsable du cabinet Nétanyaou.
Le nouvel axe Ankara-le Caire-Hamas
Alors qu’Erdogan n’hésitait pas, voilà à peine trois mois, à s’afficher aux côtés de Bachar Assad, voilà que cet été, il a subitement abandonné l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah-Ankara afin d’apparaître - grâce à sa virulente campagne anti-israélienne - comme le nouveau leader intransigeant du monde musulman proche-oriental. Ce faisant , Erdogan, veut , en surfant sur la vague du "printemps arabe", supplanter le rôle traditionnel joué jusque-là par l’Égypte en tant que leader traditionnel du monde sunnite. « Comme l’Égypte n’est plus capable en ce moment d’assumer son rôle, Erdogan tente d’en tirer avantage », explique ainsi Adel Soliman, président du Centre international d’Études et de Projections stratégiques basé au Caire: « Ce que fait Erdogan constitue un grand soutien pour le peuple de Palestine et la cause palestinienne », devait quant à lui déclarer Ismaïl Haniyeh, le chef du gouvernement Hamas à Gaza, et ce même si le leader turc ne s’est pas cette fois-ci rendu dans la Bande, comme il l’avait pourtant laissé entendre.
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