Halal et Casher dans la cuisine électorale
L’élection du nouveau président de la république s’est achevée et nos écrans de télévision appréhendent avec angoisse le vide qui s’en suivra.
Grâce à l’hospitalité de nos espaces cathodiques, les candidats, presque grandeur nature, ont passé de longues heures dans les salons ou les chambres à coucher des français pour leur proposer des lendemains chantants ou des crépuscules incertains. Mais un des thèmes des plus marquants par son originalité aura sans doute été celui de l’abattage rituel, halal d’abord puis casher par ricochet.
Nous aurons au moins appris, comme Monsieur Jourdain qui écrivait en prose sans le savoir, que nous avons consommé régulièrement de la viande halal ou casher, dont les bouchers (presque tous) se gardaient bien de nous dire qu’elle était rituellement bénie en arabe ou en hébreu.
Or selon des théories à la mode, « Nous sommes ce que nous mangeons », ou « Dis-moi ce que tu manges je te dirais qui tu es », nous serions déjà nombreux à être, sans le vouloir, un peu juifs, assez musulmans, mâtinés de Nippon par les sushis ou d’italien par la pizza.
Partant de là, le couscous garni mouton-merguez, halal, consommé régulièrement papilles en fête, comme plat du jour et par mixité délibérément choisie, serait un avant-goût de mariage mixte, un appel du subconscient à la conversion.
Pour ajouter à notre désarroi, des extrémistes n’hésiteront pas à avancer qu’à l’instar du prion de la vache folle, « le prions » Allah ou Jéhovah se serait déjà insinué en nous, qu’il peut à tout moment se réveiller, qu’un beau matin, on se retrouve de blanc vêtu, à l’écart de l’ostentation régnante égrenant un chapelet de sagesses soufistes ou en barbu intraitable, exigeant une seconde épouse. De même pourrait-on se réveiller en rabbi Jacob dansant extatique ou en chapeau noir et papillotes, abîmé dans les profondeurs d’un texte sacré.
En fait les candidats à l’élection ont mis les pieds dans le plat, si je puis dire, n’ayant mesuré ni le poids des mots ni leur capacité à modifier les comportements.
Ainsi au Maroc où je suis né et où nous vivions en bonne entente entre juifs et musulmans, l’abattage rituel juif convenait parfaitement aux musulmans de toutes les classes sociales qui appréciaient particulièrement le saucisson casher. Seulement voilà, le mot de « Saucisson », ne se prêtant pas bien à la prononciation de l’arabe dialectal, les musulmans préféraient dire « Casher » pour signifier saucisson.
Les presque 300.000 juifs qui vivaient au Maroc sont partis depuis longtemps mais aujourd’hui encore, le saucisson continue de s’appeler « Casher ». Il y a peu de temps, sur la télévision marocaine, la publicité d’un fabricant de charcuterie vantait les qualités de son « casher », autrement dit de son saucisson.
Voilà ! C’est trop souvent qu’on préfère les choses aux mots, alors que les mots peuvent beaucoup changer les choses.
L’exemple de la brillante et pacifique carrière accomplie par le mot « casher » au Maroc, permet de penser qu’en France le terme de « Halal » n’a pas de souci à se faire.
En effet, au même titre que casher « chevaline » ou « asiatique », Halal fait partie intégrante du paysage alimentaire français. Alors pourquoi soudain craindre le mot quand on a depuis des années toléré la chose ?
De l’avis de beaucoup de gens, ce thème qui s’était voulu propos de fermeté dans le débat a fini en eau de boudin.
Certes il y aura toujours quelqu’un pour proclamer qu’il y a danger pour la patrie de Voltaire, qu’avec le temps on entendra des ménagères françaises parler de « halal » ou de « casher » pour dire « Boucherie » comme on dit déjà hamburger pour dire steak haché.
Zadig et j’ajoute que si nous ne sommes pas à des années lumière de ces oracles, il faudra tout de même compter quelques années de vaches maigres et tout autant de moutons gras avant les métamorphoses annoncées. En attendant, ni candidats ni intéressés ne voient vraiment clair dans tout ça et le siècle des lumières est si désespérément derrière nous.
Pol-Serge Kakon – mai 2012
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