Jean Soler et Michel Onfray en guerre contre La Bible
Michaël de Saint Cheron
Jean Soler, qui fut Conseiller culturel auprès de l’ambassade de France en Israël sur deux périodes entre 1969 et 1993, collabora à L’Histoire universelle des Juifs dirigée par Elie Barnavi. Après une trilogie Aux origines de Dieu unique (éditions de Fallois), suivie de La violence monothéiste en 2009, il publie aujourd’hui un brûlot Qui est Dieu ?[1] chez le même éditeur. Livre hautement problématique et polémique qui a fait la délectation dans les colonnes du Point (cf. lePoint.fr du 07/06/2012) de Michel Onfray, entré de plain-pied dans la destruction du mythe juif, sémitique, judaïque, du Dieu unique, de la Torah, de la Bible et pire encore si possible.
Jean Soler est un structuraliste renommé mais son livre a les allures d’un pamphlet aux accents malheureusement antijudaïques, le tout renforcé par la détestation d’Onfray pour les religions dites « révélées » autant que par l’outrecuidance de certains fidèles sûrs de détenir la vérité, qui peut parfois encore exaspèrer les athées mais aussi les croyants à la foi modeste. Si Soler a une préférence – et il est tout à fait libre de s’en prévaloir –pour le modèle grec comme d’autres pour le « modèle indou » (cf. Guy Deleury) ou le modèle chinois (Etiemble hier, François Jullien aujourd’hui), ou le modèle arabe (cf. Massignon par exemple), lui n’a de cesse de démolir le modèle hébraïque et d’abord la figure de Moïse qui le dérange dans son intimité…
On pourrait presque s’en tenir à la page 77 de son livre :
« Moïse ne croit pas en un Dieu unique.
Il ignore qu’il a une âme immortelle.
Il ne sait pas que son corps ressuscitera à la fin des temps.
Ni qu’il y aura une fin des temps, avec ou sans Messie.
Pour lui, la vie humaine prend fin avec la mort.<
Le Moïse des Livres Saints ne peut cautionner les trois religions qui se réclament de lui ! »
Cette dernière affirmation serait sans nul doute la plus acceptable et nous pouvons la reprendre telle qu’elle. Mais Socrate s’y reconnaîtrait-il en lisant les philosophies qui depuis plus de deux mille ans se réclament de lui ? Et Platon ? Et le Buddha lui-même sans parler de Jésus se reconnaîtraient-ils dans leurs myriades de croyants ?
Nous n’allons pas entamer une disputation théologique ni biblique avec l’auteur de ces affirmations péremptoires, pas davantage qu’avec son thuriféraire Michel Onfray, qui semble dans un état de jouissance, voire de masturbation mentale rarement égalée, pour mieux dire sa détestation du juif, du sémite, du mythe du Dieu unique comme du chrétien… Mais le plus gros reste à venir. Quelle raison supérieure anime l’ancien conseiller culturel quand il considère Moïse comme un « personnage de fiction » (p. 85) ?
Réfute-t-on Socrate, Platon, Homère, voire la plus célèbre héroïne de la Grèce antique, Antigone ? Et l’on réfute très calmement la Bible et Moïse mais aussi la judéïté du commandement portant à aimer son prochain non-juif ! Jean Soler n’a pas voulu lire le verset du Lévitique (19, 34) : « Tu aimeras l’étranger comme toi-même car tu as été étranger en terre d’Egypte ». Serait-il encore juif, l’étranger ? Mais Job, la reine de Saba, Ruth et Balaam et beaucoup d’autres personnages de la Bible à commencer par Adam et Ève, Abel, Noé, Saraï avant qu’elle ne devienne Sarah, étaient-ils juifs ?
Puis dans son commentaire de Soler, Onfray se délecte à apporter de l’eau au moulin du structuraliste sur le fait que les hébreux seraient les premiers exterminateurs de l’histoire – ce qui reste à démontrer. Dire cela n’est-ce pas penser qu’ils n’auraient eu que ce qu’ils méritaient alors entre 1939 et 1945 ? Pour le démolisseur des grandes idéologies occidentales qui ont conquis le monde comme le monothéisme, la Bible, le judaïsme puis le christianisme sans oublier l’islam sans doute, valent tellement moins que les Grecs et leur mythologie fascinante qui rendrait Ulysse plus important que Moïse, puisqu’il s’agirait de deux mythes. La gratitude d’Onfray pour Soler est immense car c’est un savant et il affirme tout ce qu’il aimerait pouvoir dire, lui, en grand pourfendeur de notre monde judéo-chrétien.
Au final, que nous apportent ces démonstrations sans doute savantes de Jean Soler, mais dénuées de toute trace de mise en perspective, d’empathie, de conscience tout simplement ?
Ce ne sont ni Jean Soler ni Michel Onfray qui vont nous révéler tout à coup que ni la Bible ni Moïse, ni le Nouveau Testament ni Jésus, n’ont plus droit de cité, parce qu’il faut relativiser leurs révélations du monothéisme, ne pas oublier les complots et les crimes commis au nom de celui qui est appelé tantôt Adonaï, tantôt Elohim, tantôt Dieu, tantôt le Père… Nous ne les avons pas attendus pour le savoir.
Il y a un génie grec qui a façonné l’Europe puis l’Occident. Qui serait assez fou pour le contester ? Mais comment peut-on faire le sot au point de proclamer tout à coup qu’il n’y a ni génie juif ni génie chrétien et que la Torah, les Prophètes, les Psaumes mais aussi le Nouveau Testament, ne sont que des balivernes et des supercheries ?
Jean Soler, Qui est Dieu?, Editions de Fallois, 11 avril 2012, 124 pages, ISBN 2877067920, 17 euros.
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