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La bibliothèque juive de Schneersohn, le nouveau désaccord entre la Russie et les Etats-Unis

 

 

 

La bibliothèque juive de Schneersohn, le nouveau désaccord entre la Russie et les Etats-Unis

 

 

Les relations russo-américaines se trouvent de nouveau mises à mal. La pomme de discorde, cette fois, est une collection de livres et manuscrits hébreux antiques, plus connue sous le nom de « bibliothèque Schneersohn ». Ayant appartenu à Yossef Schneersohn, sixième rebbe (chef spirituel) de la dynastie hassidique Habad-Loubavitch, la collection contiendrait près de douze mille ouvrages et cinquante mille documents, dont trois cent quatre-vingt-un manuscrits.

 

La bibliothèque a été formée et longtemps conservée à Loubavitchi, petit village de la région de Smolensk et centre religieux du mouvement Habad. Avec le début de la Première Guerre mondiale, le rebbe Schneersohn avait fait transporter sa bibliothèque à Moscou pour la confier à la fondation littéraire Persitz-Polyakov.

En 1917, la collection Schneersohn a été nationalisée par le pouvoir bolchévique, mais le rebbe a pu en envoyer une partie en Pologne (partie qui fut transférée ensuite, sous l’occupation allemande, en Allemagne). L’ensemble de la collection a finalement été rapatrié à Moscou au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Depuis leur immigration à l’étranger (aux États-Unis pour la plupart), les disciples de Schneersohn ont entamé, dès le démembrement de l’URSS, des procédures de demande de restitution de ce patrimoine à leur mouvement Habad. Toutes ces démarches se sont avérées vaines. Du moins jusqu’au 16 janvier 2013 et à la décision de la cour fédérale du district américain de Columbia condamnant la Russie à verser au mouvement hassidique une compensation financière de cinquante mille dollars par jour. L’arrêté de justice n’a été que très moyennement apprécié du côté russe, le ministre de la culture Vladimir Medinskiï ayant notamment qualifié les événements d’« étrange spectacle russophobe ».

Héritage moral contre héritage culturel

Mais qui a raison dans cette affaire très délicate ? D’un côté, on ne peut nier aux hassidim de Loubavitchi leur plein droit moral et historique sur cette collection, rassemblée au fil de plusieurs générations. Chaque tome et manuscrit de cette bibliothèque retrace les grandes lignes de l’évolution de leur courant religieux. Sans oublier que la communauté orthodoxe de Russie milite elle aussi pour qu’on lui restitue son patrimoine et ses objets de culte. Comment donc interdire aux représentants des communautés juives (ou musulmanes, ou bouddhistes) d’en faire autant ?
Dans le même temps, la collection Schneersohn constitue une part inaliénable de l’héritage culturel russe. C’est bien la Russie qui a évité à cette collection d’être anéantie : lorsque l’URSS a écrasé l’Allemagne nazie – et sauvé non seulement la bibliothèque Schneersohn, mais toute la communauté juive d’Europe.

L’argument se révèle pourtant difficile à tenir face à une communauté religieuse étonnamment puissante. Peu connu, le Hassidisme est néanmoins un courant religieux très important et très influent, dont l’autorité au sein de la communauté juive pourrait être comparée à celle du pape dans l’Église catholique. Et cette communauté considère la vie et les biens de Yossef Schneersohn comme sacrés. Le beau-fils de Schneersohn, le septième – et dernier  – rebbe Menachem Mendel Schneerson est même, pour beaucoup de hassidim, le Mashiah en personne (ce messie attendu par les Juifs). Il ne fait aucun doute que la communauté n’abandonnera pas la bataille avant d’avoir récupéré ses reliques – et les hassidim semblent avoir plus d’une corde à leur arc.

« Une touche de piment antisémite »

L’affaire éclate en effet alors que les relations entre les États-Unis et la Russie sont dans une passe tumultueuse : après l’adoption par les Américains de « l’acte Magnitski » et la réponse que leur ont faite les Russes, désormais connue comme la « loi Dima Iakovlev ». Comme si les choses n’étaient pas assez compliquées, la décision du tribunal de Columbia ajoute une touche de « piment » antisémite dans le conflit entre Washington et Moscou en présentant la Russie comme un pays hostile au monde juif. Mauvaise réputation dont la Russie avait déjà fait les frais au début du XXème siècle – l’Empire russe était alors qualifié de « pays des pogromes » – puis dans les années 1970, lors du vote de l’amendement américain Jackson-Vanik qui se prétendait une réponse aux mesures restrictives à l’émigration des Juifs soviétiques.

Sommes-nous véritablement contraints d’en arriver là ? Il serait par exemple envisageable de léguer la collection Schneersohn au fonds littéraire de la synagogue moscovite hasside (située rue Bolchaïa Bronnaïa) en octroyant à celle-ci le statut de filiale de la Bibliothèque nationale russe. Toute cette affaire pourrait se résoudre par le biais du compromis – l’essentiel étant que la collection demeure en Russie et que ni les Etats-Unis ni tout autre pays tiers ne se placent en position d’entremetteurs. Comme l’a si bien fait remarquer le rabbin Zinoviï Kogan, un des leaders de la communauté juive de Russie : « Ce sont plutôt les Américains qui devraient verser cinquante mille dollars à la Russie plus un dollar par jour. En guise de remerciement aux soldats soviétiques qui ont sauvé ces livres de la menace fasciste et les ont rapatriés en Russie puis transmis à la Bibliothèque nationale, où ils sont depuis consciencieusement préservés et mis à la disposition de tous ceux qui le souhaitent. »

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