La négociation s’est déroulée durant la visite du Président Obama à Jérusalem(info # 013007/13) [Analyse]
Par Stéphane Juffa©Metula News Agency
L’un, le président des Etats-Unis, Barack Obama, est convaincu que le différend israélo-palestinien constitue la mère de tous les conflits mondiaux. Son secrétaire d’Etat, John Kerry, l’a répété il y a quelques jours lors d’une allocution.
L’autre, le 1er ministre israélien Binyamin Netanyahu, n’y croit pas du tout, qui explique que ce qui se déroule ces jours en Syrie, en Egypte et en Tunisie n’a rien à voir avec l’Etat hébreu. Il peut aussi démontrer sans trop de peine que la dispute entre son pays et les Etats arabes a longtemps servi de cache-pot aux dictatures voisines afin de dissimuler à leurs populations la vaste étendue des problèmes irrésolus qui les frappent.
Pour le chef du gouvernement de Jérusalem, la menace réelle et urgente qui hypothèque l’avenir de la planète en général, de l’Occident et d’Israël, en particulier, c’est la course de la "République" Islamique d’Iran à la bombe atomique.
Mais à ce propos, le pensionnaire de la Maison Blanche est toujours d’avis que la crise avec les ayatollahs peut être résolue de manière diplomatique et qu’une confrontation armée peut être évitée. Il n’a, de plus, aucune envie d’engager ses GIs dans une nouvelle aventure, assurément pas contre une puissance régionale bien organisée de 73 millions d’habitants, alors qu’il a eu tant de mal à les ramener d’Irak et d’Afghanistan.
Reste que les deux hommes, bien que campant sur leur vision du monde, ne nient pas – sur ce que l’on a le loisir de définir comme leur plus petit dénominateur commun – que les deux dossiers sont sérieux et qu’il est nécessaire de les traiter vigoureusement.
Ils reconnaissent également la primauté de l’alliance qui unit leurs deux Etats. D’une part, parce que la politique menée par Obama au Proche-Orient, consistant à partout soutenir les Frères Musulmans, se solde par un cuisant échec, probablement le plus grave pour Washington au cours de son histoire moderne. Chassés de toutes parts, les Yankees sont chanceux de disposer d’un dernier allié dans la région, un partenaire, qui plus est, avec lequel ils partagent l’essentiel de leurs valeurs fondamentales, à commencer par la stabilité politique et la démocratie.
D’autre part, ils trouvent de gros avantages dans leur association : Israël est devenue le principal incubateur technologique des USA. Elle regorge de savants et d’idées, elle est énergique et flexible, comme peut l’être un petit pays et, cela étant, fournit à moindre coût aux Américains des réalisations que leur industrie surpuissante s’emploie ensuite à produire en quantité ; contentons-nous à cet effet de citer trois exemples : les drones que l’US Army utilise sur ses terrains de bataille, la robotique militaire et la technologie des missiles antimissiles.
Quant à Israël, faute de bénéficier des financements étasuniens, les effets high-tech dont elle a tant besoin afin d’assurer sa sécurité se trouveraient encore sur la planche à dessin.
Dans ces conditions, tout porte à s’entendre même si l’on ne partage pas les mêmes priorités. C’est ainsi la seule manière rationnelle de comprendre le soudain revirement de M. Netanyahu à propos des négociations avec les Palestiniens. Observer l’aisance avec laquelle il a fait avaler à ses partenaires politiques de droite la libération des 104 assassins-terroristes emprisonnés dans ses geôles laisse pantois. Surtout en se rappelant que ce 1er ministre avait, à des dizaines de reprises, expliqué à son public qu’il ne se fendrait pas de la moindre concession pour faire revenir Mahmoud Abbas à la table de discussion.
Or cette décision est passée comme une lettre à la poste ; c’est à peine si Bennett a exprimé un inconfort de principe, lui qui exclut de l’univers l’éventualité de l’établissement d’un Etat palestinien en Cisjordanie. On s’attendait à des manifestations terribles des partisans du Grand Israël, comme ils savent si bien les organiser, mais il n’y en a pas eu.
A cela, deux explications : la première, l’excellente initiative de Bibi de faire passer une loi prévoyant un référendum sur le texte d’un possible accord de paix ainsi que sur tout projet prévoyant de se retirer de territoires.
Pour la droite edenniste, qui articule son action sur la sympathie qu’elle pense détenir dans la population, il devrait suffire de quelques semaines de campagne électorale bien pensée avant un hypothétique scrutin pour faire capoter un traité de paix avec Abbas. Peu lui chaut que les sondages montrent que plus de deux Israéliens sur trois sont favorables à des concessions en échange d’un accord de paix durable. Cette mouvance possède des sources d’information inaccessibles au commun des mortels que nous sommes.
Et cette assurance eschatologique des edennistes va permettre aux négociateurs israéliens que sont Tsipi Livni et Isaac Molho de progresser avec Saëb Erekat et l’entremetteur US Martin Indyk sans être traités de traitres à abattre tous les shabbat, et sans que Netanyahu n’apparaisse sur les murs d’Israël coiffé du keffieh de Yasser Arafat.
Cette idée géniale de référendum, adoptée avant même la première rencontre avec les Palestiniens, satisfait tous les partis politiques représentés à Jérusalem, chacun étant persuadé qu’il a le peuple derrière ses idées.
L’autre analgésique que Netanyahu a administré à ses partenaires de coalition pendant qu’il leur expliquait l’intérêt qu’il voyait à couronner de succès la mission de Kerry, consistant à réunir à nouveau Palestiniens et Israéliens autour d’une table, réside, au-delà de tout doute sensé, dans la contrepartie secrète que Washington a concédée à Jérusalem en guise d’encouragement.
Et c’est du lourd. Même si nous ne sommes pas en mesure (pour l’instant) de vous communiquer les détails de cet entendement, je me risque à affirmer qu’il participe de l’une des trois options suivantes : 1. Les Etats-Unis vont adresser un ultimatum à Khamenei l’informant qu’ils auront recours à la force s’il ne cesse pas d’enrichir de l’uranium à 20 pour cent ; 2. Les Etats-Unis interviendront aux côtés d’Israël si Jérusalem décide de passer à l’action, ou 3. Washington s’est engagé à ne pas mettre des bâtons dans les roues des avions de la He’l Avir si les Hébreux décident d’anéantir seuls l’infrastructure nucléaire perse.
Quelle que soit l’option choisie, on en entendra parler très prochainement, vu que si personne n’intervient, la théocratie chiite aura atteint le point de non-retour avant la fin de l’été ; et que Jérusalem ne la laissera pas faire.
C’est une très bonne affaire pour Binyamin Netanyahu. D’abord, car ce n’est pas parce qu’il a décidé de s’asseoir avec Abou Mazen (Abbas) qu’il s’est engagé à transgresser ses principes durant la discussion. S’agissant d’un processus qui va durer "neuf mois au minimum", Fodow aura sans doute été réduit en cendres bien avant que l’on se mette à parler du statut définitif de Jérusalem avec l’AP.
D’autre part, il vient, à l’international, de se départir d’un coup de son image négative d’intransigeant inflexible, et c’est une excellente chose pour Israël. Cela lui donne les coudées franches pour intervenir à sa guise afin de sauvegarder ses intérêts en Syrie et au Liban, personne ne désirant indisposer un gouvernement israélien en train de négocier la paix avec les Palestiniens. Au risque de froisser qui ? Béchar al Assad ou les miliciens désormais terroristes du Hezbollah ?
Même en cas d’intervention israélienne en Iran, l’énigmatique "communauté internationale" se montrera bien moins critique à l’endroit d’un Etat qui "avance vers une solution avec les Arabes", qu’avec un dirigeant qui passe son temps à leur fermer la porte au nez.
A noter que Netanyahu a dû, tout de même, prendre le risque politique de s’éloigner de la droite radicale, notamment au sein du Likoud, qui n’apprécie guère les finasseries tactiques du 1er ministre. En fait, il n’a pas perdu grand-chose, puisque cette aile droite l’avait déjà abandonné à l’occasion du récent congrès du parti.
Le salut politique à terme, pour le successeur d’Ehud Olmert et d’Arik Sharon à la tête de l’Etat, réside désormais – et dans tous les cas – dans un rapprochement vers le centre et non en sens inverse. Cela justifiait de casser une ligne de conduite de quatre ans d’âge, consacrée à "gagner du temps", en rejetant sur Mahmoud Abbas la responsabilité de l’enlisement de la situation.
Durant les négociations, qui vont probablement revenir prochainement se tenir dans la région, Israël est représentée par Tsipi Livni, la ministre de la Justice, flanquée d’Isaac Molho, un avocat, négociateur chevronné, pragmatique, fin, cultivé, qui n’en demeure pas moins l’œil de Bibi sur la table de dialogue et le garde-fou de Livni.
C’est la deuxième fois que cette végétarienne militante – c’est elle qui a fait interdire le gavage des oies et des canards en Israël, alors que cette industrie était la plus florissante et prometteuse de notre agro-alimentaire -, parlant très bien français, dirige la délégation de son pays face aux Palestiniens.
Ancien agent du Mossad, elle a fait partie de l’unité kidon (baïonnette), dans la première moitié des années 80, l’unité chargée de l’exécution des hautes œuvres, la plus "physique" des services. Payant de sa personne, elle fut en outre responsable d’un havre sécurisé de l’organisation secrète à Paris, chargé de recueillir les 007 hébreux une fois leur mission menée à bien.
Elle retrouve une vieille connaissance, en la personne de Saëb Erekat, le plus expérimenté des diplomates de l’AP, et l’un des plus hypocrites. Ce tandem, auquel s’associait à l’époque Ahmed Qreï, fut celui qui mena les négociations les plus sérieuses et qui s’approcha le plus près, à ce jour, d’un accord entre les deux entités.
Ce processus dura en gros deux ans, de 2007 à fin février 2009. Tsipi Livni était alors ministre des Affaires Etrangères ; de septembre 2008 à février 2009, également vice-premier ministre, elle occupa les fonctions d’Ehud Olmert, placé dans l’impossibilité de gouverner du fait de ses démêlés avec la justice.
Juste avant les élections de février 2009, qui aboutirent au second cabinet Netanyahu, les dirigeants de l’AP considérèrent la possibilité de signer un accord avec les Israéliens sur la proposition de ces derniers, et alors que 93 à 95% des clauses avaient été entendues.
Question de curiosité : Livni et Erekat vont-ils rediscuter ce qu’ils ont déjà passé des jours et des semaines à négocier ? C’est en tout cas le vœu de Binyamin Netanyahu, qui désire tout reprendre ab initio et sans conditions préalables. Mais est-ce bien raisonnable ? Comment imaginer, en effet, que l’un des camps se satisfasse de moins que ce qu’il avait alors obtenu sur un sujet donné ? Un sujet dont les caractéristiques n’ont pas évolué depuis quatre ans.
Pour cette raison, je les vois mal rouvrir tous les tiroirs du différend ; la logique et l’efficacité voudraient que l’on garde les armoires fermées, à l’exception de quelques points de détails, et que l’on passe directement aux problèmes laissés en suspens.
Livni est une pragmatique qui procède avec l’ordre d’un avocat [qu’elle est d’ailleurs aussi], c’est pour cela qu’elle est généralement appréciée par les politiciens européens et américains. On lui doit cette formule courageuse, dans le débat ayant conduit à la définition du terrorisme : "Quelqu'un qui combat des soldats israéliens est un ennemi et nous nous battrons avec lui, mais je crois que cela ne correspond pas à la définition du terrorisme si la cible est un soldat".
Elle avait raison : la définition-Ména du terrorisme est "un individu armé s’en prenant systématiquement à des civils". S’il se bat contre d’autres personnes armées, ce n’est pas un terroriste, même si cela ne justifie rien et n’en fait pas pour autant quelqu’un de sympathique.
Aujourd’hui, ce n’est pas l’essentiel ; Madame Livni croit vraiment à la paix avec les Palestiniens et à la solution des deux Etats. Qu’importe, pour elle, le deal Obama-Netanyahu, l’essentiel étant qu’il lui procure une deuxième chance de mettre fin au conflit interminable.
En mars 2008, à Annapolis, elle avait proposé à Mahmoud Abbas la paix, en échange de la reconnaissance par Israël de la partie orientale de Jérusalem comme capitale de l’Etat palestinien, en plus du retour dans ledit Etat d’un million de "réfugiés de 48".
Nul doute que dans l’esprit de Naftali Bennett et de ses amis, ce genre de démarche est estampillé "pas même dans le pire de nos cauchemars". Le jour viendra, et il n’est pas si éloigné, où la coalition volera en éclat sur ces questions et où les électeurs israéliens seront invités à trancher. Mais pour le moment, ce n’est pas la préoccupation de Bibi Netanyahu ; il a ménagé à Israël l’opportunité de la délivrer de ce qu’il considère être son plus grand danger existentiel depuis la Guerre d’Indépendance.
D’ailleurs, à en croire l’activité inhabituellement vive (même pour les habitués que nous sommes) des appareils arborant l’étoile de David, la nuit dernière et aujourd’hui, tant sur nos têtes que sur celles des voisins, l’actualité chaude se déroule près d’ici et non dans les salons feutrés du Département d’Etat, sur la berge du Potomac.
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