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Les enfants, cibles historiques des ennemis du peuple juif

Les enfants, cibles historiques des ennemis du peuple juif

 

Par Elie Wiesel, écrivain et Prix Nobel de la paix en 1986

 

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Immense et impardonnable, la tragédie de Toulouse nous bouleverse comme rarement auparavant, et doit être envisagée et retenue dans son contexte historique.

Depuis que la mort cruelle a frappé le rabbin et les enfants, je n'arrive pas à chasser ma tristesse. Le deuil de la communauté juive toulousaine nous enveloppe tous, juifs et leurs alliés, en France et par-delà les frontières lointaines, partout où le coeur juif vibre et chante la beauté grave de l'étude biblique.

Cela a toujours été ainsi dans l'histoire. Depuis le roi pharaon d'Egypte et Nabuchodonosor de Babylone jusqu'à Hitler, tous les ennemis d'Israël virent dans ses enfants leur cible première à châtier, à éliminer. C'est comme s'ils comprenaient leur rôle dans notre mémoire collective aussi bien que dans notre survie dans le quotidien : ils resteront toujours au centre de notre quête, et de nos rêves. Pour nous, les enfants incarnent notre espoir et notre fierté ; notre foi et notre attachement à ce qui est sacré et transcendant dans notre éternelle démarche en tant que communauté.

Les enfants, c'est nos souvenirs à nous. Pour moi, c'est le heder("école primaire"), la yeshiva ("école talmudique"). Mes maîtres et mes amis, plongés dans le Livre, puis dans leurs commentaires. Le Talmud et ses lois, les contes et leurs chants émouvants. Parfois, le danger nous guettait, dans la rue, à la fenêtre. Et après ? Il s'agissait de continuer.

Dans un ouvrage du Moyen Age, l'on découvre une histoire aux résonances contemporaines. Dans la yeshiva, des élèves suivent leur maître avec une concentration telle qu'ils ne se rendent pas compte des paravents du monde extérieur. Les discussions orageuses entre les disciples de Shammaï (partisan de l'application stricte de la loi religieuse), et ceux de Hillel (partisan d'une interprétation douce de la loi) accaparant toute leur attention. Soudain, la porte s'ouvre et un homme surgit en criant : "Attention frères et amis ! Les pogromistes sont tout près ; on les voit qui aiguisent leurs couteaux !" Et un élève les rabroue : "Tu ne vois pas qu'ici l'on étudie ? Cesse donc de nous déranger !" Une heure plus tard, maîtres et disciples se noient dans leur sang.

Se souvient-on que, même dans le ghetto, il y avait des écoles clandestines ? Et que, comme jadis, au temps de l'occupation romaine de Jérusalem, les voix de nos vieux Sages sur le bûcher, et de leurs jeunes élèves répétant telle parole de Rabbi Akiba et telle histoire de Rabbi Hananya (grandes autorités du Talmud), n'étaient jamais rendues muettes ? Pareil pour Toulouse. L'école ensanglantée ne fermera pas ses portes. Et les cours reprendront. Et les malfaiteurs paieront pour leurs crimes. Toulouse, que je connais, et que j'aime, restera comme une blessure. Et comme un appel.

Quant à moi, je me fais un voeu : la prochaine fois, en France, je viendrai visiter Toulouse. Et j'irai à l'école orpheline. Je rencontrerai les enfants. Je les embrasserai comme un frère aîné venu de loin. Et, assis au milieu d'eux, j'étudierai avec eux, en reprenant le texte que les assassins avaient interrompu, pensant que c'était pour toujours. Et, comme toujours, ils se sont trompés.

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