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Les juifs du Maroc seront ils indemnisés par l’Allemagne ?

 

Les juifs du Maroc seront ils indemnisés par l’Allemagne ?

 

 

 

Toutes les tentatives de la part des intéressés d’avoir des nouvelles concernant leur revendication à l’indemnisation sont restées sans réponses. Á ce jour il semble que personne n’ait été dédommagé. Un an et demi est passé depuis que la Claims Conference annonça  la décision d’indemniser les Juifs du Maroc qui furent limités  dans leur droit à la libre circulation. La Claims Conference  est une fédération d’organismes juifs fondée en 1951 pour défendre les revendications de dédommagement des victimes juives  et des survivants de l'Holocauste. Son siège se trouve à New York. Une requête fut adressée dernièrement au bureau israélien de cette institution lui demandant de fournir des détails sur le sort de milliers de dossiers déposés par des sexagénaires.

Le bureau israélien de la Claims Conference avait promis la somme de 2556 Euros aux Juifs marocains nés jusqu’en aout 1943 et qui furent discriminés dans leurs « droits à la circulation ». Des milliers d’intéressés avaient  rempli des formulaires officiels du gouvernement allemand qui devait décider du sort de chaque demande.

Dès la publication dans la presse de ce projet d’indemnisation,  trois historiens israéliens Michael Laskier de l’Université de Bar Ilan et  Yaron Tsur de l’Université de Tel Aviv, et moi même, tous les trois spécialistes de l’histoire du Maroc contemporain et de sa communauté juive s’étaient adressés, le 15 septembre 2011, à Hen Yurista, directeur du bureau israélien de la Claims Conference pour lui demander de réviser l'accord avec le gouvernement allemand concernant l’indemnisation des Juifs marocains persécutés pendant la guerre ou de l’annuler. Dans un courrier qui lui fut envoyé, nous avons développé les raisons précises pour lesquels cet accord était à nos connaissances incompatible avec la réalité historique et négligeait les personnes qui avaient été véritablement discriminées, sans pour autant appartenir  aux critères d’indemnisation.

 STATUT DES JUIFS ET DAHIRS

En effet la réalité historique semble incompatible avec les critères de la Claims Conference. Voici quelques détails sur cette triste histoire : Un dahir  daté du 31 octobre 1940 publié par le Résident Général Charles Noguès devait imposer aux Juifs marocains le « Statut des Juifs »  instauré par le gouvernement de Pierre Laval qui définit les Juifs comme une race et non pas comme une religion. Ce statut exclut les Juifs de toute profession libérale (enseignants avocats, médecins, artistes, journalistes, fonctionnaires etc...) et écarte aussi tous les Juifs de la fonction publique. Ce dahir que le sultan Mohammed ben Youssef a du signer sous pression de la Résidence et après plusieurs atermoiements, s’applique aussi bien aux Juifs du Maroc, sujets du sultan, qu’aux Juifs nés aux Maroc ou en dehors du Maroc de nationalités étrangères. Ces derniers furent particulièrement  touchés  professionnellement et leurs enfants renvoyés des écoles françaises.

Un autre dahir daté du 8 aout 1941 prévoyait de procéder à un recensement général pour obliger les Juifs à faire une déclaration détaillée  de leurs biens qui mènerait à des confiscations et spoliations. Seul le débarquement américain (Opération Torch) du 8 novembre 1942 mit fin à ce recensement. Les listes de biens furent souvent brulées par les pachas locaux. Dès le début de la guerre, le Maroc servit de refuge à de nombreux Juifs fuyant principalement l’Europe centrale et qui furent accueillis par des volontaires juifs locaux, avant de rejoindre les Etats Unis.

En outre, un dahir publié par la Résidence Française,  relevant du pouvoir de Vichy allié de l’Allemagne nazie a été publié en ce sens. Ce dahir publié par Xavier Vallat, ancien député de l’extrême droite et Commissaire aux Affaires Juives, datant du 22 août 1941, déclare que les Juifs du Maroc habitant en ville dans les quartier européens depuis le 1 septembre 1939 devront quitter ces quartier et retourner vivre au quartier juif – au mellah. Selon nos sources très peu de personnes rentrent dans cette catégorie qui n’était pas la plus discriminatrice envers les Juifs du Maroc.

Le Résident général Noguès cherchant à faire du zèle à cause de l’origine juive de sa femme, décida d'interner dans des camps de travail tous les « étrangers indésirables » y compris quelques 2000 Juifs étrangers, certains d’entre eux engagés dans la Légion étrangère pour combattre l'Allemagne nazie. Le camp de Bou‘arfa au Sahara oriental où étaient internés Juifs et non Juifs était l’un des sinistres camps  où les conditions de vie étaient des plus dures. Dans un autre camp, celui  de Aïn Béni Matar (Berguent), près de Jerrada, furent internés 400 Juifs qui subirent des traitements cruels. Même à Boudnib dans le Tafilalt, berceau de la dynastie royale alaouite, et ville natale du général Mohammed Oufkir, trois bâtisses de l’armée française servirent de camp de travail où furent internés des centaines d’Européens parmi eux des Juifs.

Signalons enfin qu’entre 1940 et 1942, le sultan Mohammed ben Youssef fut contraint de signer à contre cœur les dahir anti-juifs comme il a du signer même des dahir portant atteinte à son pouvoir (comme le dahir berbère du 16 mai 1930 qui le démunissait de son pouvoir sur la campagne amazigh), afin de ne pas mettre son trône en danger. Par contre, la  multitude de gestes publics ou discrets qu’il fit en faveur de ses sujets juifs montre son rejet de l’antisémitisme si répandu chez les résidents français au Maroc. Les témoignages rapportés par l’historien américain Robert Satloff soulignent dans son livre Parmi les justes, histoires perdues dans le long prolongement de l'holocauste dans les pays arabes« qu'il n'y avait aucune crainte de ces gardes arabes mais plutôt des militaires encadreurs français ». L’auteur cite « un rapport rendant compte de nombreux cas de tortures sadiques sur les malheureux prisonniers juifs et non-juifs, où les seuls étincelles d'humanité venaient des gardes arabes ».

« Il est important de noter, affirmèrent les trois historiens dans leur requête au bureau israélien de la Claims Conference, que ce critère est incompatible avec la réalité historique des Juifs du Maroc pendant la guerre. Nous voulons en préciser les éléments essentiels :Ignorant toutes ces informations, le directeur de la Claims Conference affirme qu’il n’existe aucun accord particulier avec le gouvernement allemand concernant  « la shoah des juifs du Maroc ». Son bureau israélien a juste demandé d’inclure le Maroc dans les accords existants relatifs aux Juifs d'Europe qui n’ont pas été déportés. En outre il précise que le seul critère valide pour  le droit à l’indemnisation ne repose que sur celui de la "restriction au droit de circulation" pour les Juifs nés au Maroc nés jusqu’au  31/08/1943

  " LA SHOAH DES JUIFS DU MAROC"

- Le terme « Shoah des Juifs du Maroc » est inexact et trompeur. En aucun cas il n’y a eu de Shoah au Maroc. Au contraire le Maroc a servi de refuge à de nombreux Juifs fuyant l'Europe. En outre quelques centaines de Juifs de nationalités étrangères ont été envoyées dans les camps de travail par les Français vichystes à Bou Arfa mais de là à parler d’extermination la différence est grande. De toute façon aucun Juif marocain n’a été déporté du Maroc vers les camps de la mort. L’utilisation de ce terme porte atteinte au terme de Shoah et risque d’encourager des attitudes négationnistes.

- Il y a eu des persécutions contre les Juifs du Maroc pendant la guerre mais la restriction au droit de circulation n’était pas la discrimination la plus importante mais plutôt la plus marginale. Ce n’est pas l’occasion d’énumérer ici les décrets (dahir) discriminatoires dont ont souffert plusieurs Juifs du Maroc, signés par le roi Mohamed Ben Youssef sous la pression du résident général Charles Noguès, représentant du gouvernement de Vichy au Maroc. Mais il est évident que de nombreux  Juifs du Maroc ont été discriminés et ont perdu leur emploi et leur statut professionnel, surtout dans les professions libérales : médecins, avocats, experts comptables, artistes et fonctionnaires. Cette discrimination était douloureuse et blessante mais le gouvernement allemand et la Claims Conference ont préféré totalement l’ignorer.

- Cette décision est pour le moins surprenante et soulève plusieurs questions : pourquoi le gouvernement allemand a-t-il décidé d’adopter ce critère et non pas ceux qui reflètent la situation réelle au Maroc ? Pourquoi tant de publications de la part de la Claims Conference incitant les Juifs originaires du Maroc à remplir des formulaires de requête bien qu’il soit évident que selon le critère en question n’est concernée qu’une infime quantité de Juifs? Est-ce de cette manière que l’Allemagne et ses anciens alliés pendant la guerre pensent calmer leur conscience, après si longtemps, tout en dédaignant les faits historiques ?- Le gouvernement allemand a accepté la requête de la Claims Conference d’indemniser, après si longtemps et par des sommes dérisoires, les Juifs du Maroc nés jusqu’au 31/8/1943 considérés comme discriminés dans leur droit à la circulation suite à un dahir (décret) qui n’a pratiquement pas été appliqué. Cette atteinte au droit à la circulation est bien moins cruciale par rapport aux nombreux Juifs qui ont perdu  leur emploi ou de jeunes élèves juifs chassés des écoles françaises conformément au décret du numerus clausus.

- Tenant compte de ces arguments, nous pensons que la décision du bureau israélien de la Claims Conference est une décision erronée et insoutenable, bien que décidée de bonne foi. Etant donné qu’à votre avis il n’est pas possible d’exiger un dédommagement collectif en faveur d’oeuvres humanitaires il est souhaitable que vous révisiez votre décision. Une indemnisation, même très tardive, pourrait être positive, mais elle nécessite de revoir ses critères et de les adapter à la réalité des faits et actes subits par les Juifs du Maroc pendant la guerre ».

Avec mes collègues historiens du Maroc moderne  et de sa communauté juive, les Professeurs Laskier et Tsur nous estimons que l’accord signé entre le bureau israélien de la Claims Conference et le gouvernement allemand ne reflète en rien la réalité au Maroc durant la guerre et va  à l’encontre des faits historiques. L’unique critère de la restriction au droit à la circulation sur lequel est basé cet accord n’a presque pas été appliqué. Par contre l’éviction de nombreux Juifs de leur profession, de l’administration et des écoles qui était bien plus cruelle n’a pas été prise en compte. En outre plusieurs Juifs marocains atteints par ces dahir anti juifs pensent que la décision du gouvernement allemand arrive trop tard et le montant si dérisoire qu’il vaut mieux rejeter tout accord d’indemnisation individuel. Pour plusieurs c’est un accord humiliant pour la communauté juive marocaine à travers le monde.

Les Juifs marocains seront ils indemnisés ou ce ne fut qu’une fausse alerte de la part de la Claims Conference ?

Par Yigal Bin-Nun

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