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Les Juifs, peuple ou religion ?

Les Juifs, peuple ou religion ?

 

On dit souvent que là où il y a deux Juifs, il y a trois partis politiques, trois synagogues et trois façons de se sentir juif. Ce n’est pas vraiment de l’humour, ou alors de l’humour juif.

Mais c’est d’abord une constatation qui explique que le fait juif soit largement incompréhensible. Notamment à cause de la confusion entre religion et peuple, qui dans le cas des Juifs, portent le même nom.

Alors, les juifs sont-ils adeptes d’une religion au même titre que les catholiques ou les hindouistes, ou bien sont-ils un peuple, comme les Français, les Espagnols ou les Arméniens ? Autrement dit, leur met-on une majuscule ou pas ? L’enjeu orthographique est de taille !

Ce qui se conçoit bien s’énonce...

Le seigneur des dictionnaires, le Larousse définit ainsi le peuple : « Ensemble de personnes vivant en société sur un même territoire et unies par des liens culturels, des institutions politiques : le peuple français. Communauté de gens unis par leur origine, leur mode de vie, leur langue ou leur culture. Exemple : La dispersion du peuple juif ».

Une autre définition, tirée du « dictionnaire de l’internaute » s’intéresse autant au groupe qu’aux individus qui le constituent : « un peuple désigne une population entière, la somme des individus qui forment à un moment donné une communauté historique partageant majoritairement un sentiment d'appartenance durable. Ce sentiment d'appartenance peut venir de l'une au moins de ces caractéristiques : un passé commun (réel ou supposé), un territoire commun, une langue commune, une religion commune. »

On voit là une dimension individuelle qui fait que les membres du groupe se reconnaissent comme tels à travers l’adhésion à un passé commun. Peu importe que celui-ci soit fait d’Histoire ou de légendes : ce qui compte c’est l’adhésion.

Peuple + adhésion = identité nationale ?

Le débat sur l’identité nationale française tourne au pugilat médiatique quotidien : en débattre serait déjà, en soi, un crime. Or, même si les motivations du gouvernement à entamer ce débat sont malhonnêtes, même si la question donne lieu à des déclarations fétides, il n’est pas inutile d’en examiner le fond.

Retour au Larousse pour la définition de nation : « Ensemble des êtres humains vivant dans un même territoire, ayant une communauté d'origine, d'histoire, de culture, de traditions, parfois de langue et constituant une communauté politique. »

La nation se distingue donc du peuple par la dimension politique. Une nation est une communauté humaine ayant conscience d'être unie par une identité historique, culturelle, linguistique ou religieuse et disposant de sa souveraineté.

En tant qu'entité politique, la nation est un concept né de la construction des grands Etats européens. C’est une communauté caractérisée par un territoire propre et organisée en Etat. Elle a une existence légale : c’est la personne juridique constituée des personnes régies par une même Constitution.

Mais ces critères ou une partie d'entre eux (identité historique, culturelle, linguistique, religieuse, géographique) ne peuvent à eux seuls caractériser une nation.

Il faut les compléter avec un système de valeurs, souvent résumé en une devise et qui repose sur un contrat social implicite entre les membres de la nation.

De la même façon que le peuple est constitué des personnes qui ont envers lui un sentiment d’appartenance, certains sociologues considèrent que le seul critère déterminant de la nation est subjectif : il faut que les membres d'une communauté soient convaincus qu'ils relèvent d'une même appartenance nationale.

L’identité nationale est un truisme

C’est une banalité, une évidence, la française comme les autres.

Depuis 1789, la devise de la France est Liberté-Egalité-Fraternité, trois valeurs absolues auxquelles s’est ajoutée, en 1905, la laïcité.

Pendant la parenthèse de Vichy, la devise a été remplacée par Travail-Famille-Patrie, pour traduire la redéfinition du contrat social, la fin des droits, auxquels se substituent des devoirs. Finies la liberté, l’égalité et la fraternité, mais le travail est exalté, le citoyen recentré sur sa famille définie comme un microcosme de la nation et sur la patrie, qui exige des sacrifices.

Les réactions passionnelles au débat sur l’identité française occultent totalement le fond, qui est pourtant facile à résumer : le contrat social français se définit par Liberté-égalité-fraternité-laïcité. Tous les citoyens y adhèrent-ils ? Si ce n’est pas le cas, quels moyens à court, moyen et long terme, mettre en œuvre pour le faire respecter ?

En lieu et place de quoi, les « élites » monopolisent l’espace public en affirmant que cette seule évocation relève du fascisme.

Il n’en a pas toujours été ainsi : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation » (Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen). « National » n’est pas forcément un gros mot comme dans « Front national ». Cela peut aussi être une brillante aspiration : « éducation nationale ».

Le peuple est, avec le territoire et l'organisation politique, l'un des trois éléments constitutifs de l'État.

Dans quel état est l’Etat !

Etymologiquement, « état » vient du latin status, être debout.

Avec une majuscule, il désigne la personne morale de droit public qui, sur le plan juridique, représente une collectivité, un peuple ou une nation, à l'intérieur ou à l'extérieur d'un territoire déterminé sur lequel elle exerce la souveraineté.

L'Etat est la forme la plus élaborée de la vie commune d'une société humaine.

Il exerce son pouvoir par le biais du gouvernement et dispose d'un certain nombre de monopoles comme l’utilisation légitime de la force (police pour faire respecter la loi, armée pour se défendre contre les autres nations), la frappe de la monnaie et la collecte des impôts...

L'Union européenne est une organisation supranationale constituée d'Etats membres, mais elle-même n'est pas un Etat car elle ne possède que certains de ses attributs.

Le lien qui unit les Juifs définit-il un peuple ou une religion ?

Lorsque Hitler a mis en place la « solution finale », il s’agissait d’exterminer toute personne ayant « du sang juif », quel que soit son âge, son sexe, ses opinions ou sa religion : les athées étaient déportés, les Juifs convertis depuis 2 générations également puisqu’il suffisait d’avoir un grand-parent sur 4 identifié comme « juif ».

Hitler et les nazis considéraient les Juifs comme un peuple, qu’ils nommaient « race ».

Etrangement, c’est eux qui ont inspiré, a contrario, le Larousse pour la définition de race : « 1) Catégorie de classement biologique et de hiérarchisation des divers groupes humains, scientifiquement aberrante, dont l'emploi est au fondement des divers racismes et de leurs pratiques. 2) Subdivision de l'espèce humaine en Jaunes, Noirs et Blancs selon le critère apparent de la couleur de la peau. 3) Population animale résultant, soit par isolement géographique, soit par sélection, de la subdivision d'une même espèce, et possédant un certain nombre de caractères communs transmissibles d'une génération à la suivante. »

Dans la classification générale du vivant, on parle d’espèces pour regrouper toutes les populations interfécondes et dont la descendance peut elle-même se reproduire. La notion de race se base, elle, sur la notion de « gènes communs et exclusifs à un groupe d’individus ».

Des races humaines ?

Aucune population humaine ne possède exclusivement des gènes propres. Les Homo sapiens forment une seule et même espèce. Les différences anatomiques que l’on perçoit, par exemple entre un Asiatique et un Européen, ne sont que l’expression plus ou moins forte de gènes communs.

Cette mixité génétique dans l’espèce humaine est si forte que si un Parisien doit recevoir un don d’organe, il a autant de chance de trouver un donneur compatible dans sa rue qu’en Afrique, parce que les populations humaines forment un seul et même groupe taxinomique, une seule espèce.

Les gènes n’ont donc aucune utilité dans une démarche « de haut en bas » qui isolerait des groupes au sein de l’espèce.

En revanche, ils présentent un intérêt certain dans le sens inverse, « de bas en haut », de l’individu vers le groupe : ils permettent de retrouver des caractères communs à des individus, d’identifier les liens parentaux, notamment dans les recherches en paternité.

Vu du zoo, un gouffre sépare l'homme du chimpanzé.

Vu du labo, l'écart est infime : leur patrimoine génétique ne diffère que par quelques détails répartis sur un fil d'ADN. Des détails qui font que l'homme marche sur deux pattes, que son cerveau lui donne accès au langage articulé, alors que le chimpanzé fait le singe et résiste mieux au cancer que son cousin humain.

Alors quel est le propre de l’homme ?

Vercors, dans son roman « Les animaux dénaturés » a proposé une définition : des anthropologues à la recherche du chaînon manquant (l’hypothétique créature intermédiaire entre l'homme et le singe) le découvrent à l’état de population primitive encore vivante qu’ils surnomment « Tropi ».

Un homme d'affaires, qui considère les Tropis comme des animaux, les fait travailler dans son usine. Du coup les anthropologues interviennent car ils y voient un esclavage. Mais les Tropis sont-ils des hommes ? Question insoluble puisque la définition de l’humain n’est pas écrite dans la loi.

Ce qui définit une race étant l’interfécondité de ses membres, les anthropologues décident de tester si les tropis sont interféconds avec les singes ou avec les hommes.

Mais les Tropis étant par définition l'intermédiaire entre l'homme et le singe, les inséminations artificielles se révèlent fécondes dans les deux cas. Il est difficile de définir leur statut et donc leurs droits.

Pour forcer les autorités à prendre position, le découvreur des Tropis tue le rejeton de la femelle fécondée avec son sperme et qui est, techniquement, son fils biologique. Le procès est l’occasion de définir ce qui fait la spécificité humaine.

L’auteur, Vercors, choisit de tracer la frontière entre le non-humain et l'humain sur la préoccupation d'un au-delà. L’humain, c’est celui qui a accès à la transcendance.
 

 

Liliane Messika

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