A 37 kilomètres de Téhéran (info # 011611/11) [Analyse]
Par Jean Tsadik © Metula News Agency
L’article de Stéph Juffa de dimanche dernier Explosion en Iran : merci le hasard participe de ce que l’on peut faire de mieux en matière de recoupement d’informations et de synthèse ; d’heure en heure, les détails additionnels sont venus confirmer les projections livrées dans ce papier. Ce matin (mercredi) un responsable iranien reconnaissait qu’il s’était agi d’une opération de sabotage et non d’un accident.
En fait, nous avons été gratifiés d’une analyse exceptionnelle de précision, qui devrait être enseignée dans toutes les écoles de stratégie et de journalisme. L’avenir fait un peu moins peur quand on sait qu’il existe des analystes de cette qualité pour le décortiquer et pour nous ouvrir les yeux.
Et pour nous inspirer, aussi. Après avoir pris connaissance des lignes de mon rédac-chef, il m’est venu quelques réflexions supplémentaires, qui ne vont pas manquer de faire couler encore un peu d’encre. Je débute en affirmant que l’on n’a pas fini de commenter l’explosion de Modarres ; en fait, je crois qu’on ne fait que commencer.
Car, sur cette base de missiles balistiques, il s’est assurément passé plus d’un événement. Je m’explique : l’un des objectifs du commando qui est intervenu était certainement la neutralisation du général Tehrani-Moqadam. Cet officier supérieur des Pasdaran fut l’un des créateurs de l’unité chargée du maniement et du tir des missiles iraniens ; à ce titre, dans cette branche d’activité naissante dans son pays, sa contribution demeurait probablement importante, et son élimination a porté, à n’en pas douter, un coup notoire à la capacité opérationnelle de cette unité.
Cela posé, on ne neutralise pas quelqu’un à l’aide d’une déflagration de milliers de kilos d’explosifs. Ca n’est non seulement pas très économique, mais c’est, de plus, à déconseiller en tant que mode opératoire pour une élimination ciblée !
On neutralise un individu à l’aide d’une voiture piégée, d’une embuscade, d’un petit missile air-sol tiré par un drone ou un hélicoptère, mais jamais en ayant recours à une méga-explosion ou à un bombardement massif.
Car l’histoire de la guerre a démontré que toute attaque qui ne cible pas spécifiquement un hominidé à abattre a fort peu de chance de l’atteindre. Lors, le Mossad, et/ou d’autres organisations ayant hypothétiquement participé à l’élimination de Tehrani-Moqadam ont évidemment connaissance de cette "statistique". Ils n’auraient pas pris le risque de manquer leur cible à un moment aussi critique, et au cœur du dispositif ennemi. Une partie des "assaillants" de Modarres avait donc pour première mission de se débarrasser du chef du Strategic office de la "République" Islamique, ou de son pendant local.
Cette conclusion en impose une autre : il y avait, sur place, au moins un autre groupe du même commando qui poursuivait un objectif différent du premier, générer la formidable déflagration qui a fait trembler le centre de Téhéran, à 50 km de Modarres.
Et puisque nous en sommes à ce point de notre analyse dynamique, faisons encore un pas logique dans la compréhension de l’incident : ça n’est sans doute pas la mystérieuse explosion qui a provoqué la mort et les blessures d’une cinquantaine de Gardiens de la Révolution, selon les chiffres du régime, probablement beaucoup plus, en réalité.
Pourquoi ? Parce que l’on n’utilise pas une troupe d’élite pour monter la garde autour d’un objet explosif, à raison d’autant d’individus. Cinquante militaires partant en fumée à l’occasion d’une déflagration et d’un incendie, cela me paraît plus que douteux.
Et si cinquante d’entre eux sont morts ou blessés, combien ont survécu ? Combien de Pasdaran supplémentaires se trouvaient-ils précisément, à cet instant, sur un site aussi dangereux ? Et pour quoi faire, à part s’exposer inutilement à un danger, en faisant courir à la junte des ayatollahs le risque de perdre, d’un coup, ses lanceurs de missiles ? Son unique contre-menace à une attaque israélienne.
Cette hypothèse ne tient pas l’eau non plus. Et il faut lui ajouter un considérant opérationnel : afin de neutraliser Tehrani-Moqadam, et de faire sauter ce qui a sauté, il était impératif d’éliminer les soldats qui se trouvaient sur la base ; probablement dans leur cantonnements, n’imaginant pas un instant qu’on viendrait les débusquer à 37 kilomètres de leur capitale.
Sauf si l’art de la guerre a fondamentalement changé ces dernières semaines, j’avance que les dizaines de Pasdaran qui ont perdu la vie samedi ont subi un assaut en règle de la part d’une autre partie du commando. Un assaut, dont ils étaient l’objectif désigné.
Reste l’explosion. Qu’est-ce qui a sauté ? Qu’est-ce qui peut exploser et brûler aussi longtemps ? Vraisemblablement pas le carburant solide des Shihab : il aurait pu détonner, mais sûrement pas brûler aussi longtemps. Je ne vais pas me perdre en conjectures dont je n’ai aucun moyen de retrouver la clé ; je constate donc que le commando a fait sauter des objets extrêmement explosifs, pouvant, de surcroît, servir de combustible des heures durant.
Et que les imaginatifs qui songent à une explosion atomique se rasseyent immédiatement. On ne déclenche pas d’explosion atomique de cette manière – ce serait trop simple ! – et une explosion de ce type aurait eu des conséquences encore autrement dévastatrices. Des effets qu’il aurait été possible de mesurer sans avoir à poser le pied en Perse. Des effets qui auraient également anéanti le commando.
Plutôt que de digresser indéfiniment sur la source de la déflagration, je me contenterai de poser les deux seules hypothèses plausibles : a) Les assaillants avaient connaissance d’objets hautement inflammables à caractère stratégique et l’un des objectifs de leur mission consistait à les éliminer ; b) Ils ont provoqué la détonation dans le dessein de faire diversion, pendant qu’ils annihilaient le général et le plus clair de sa troupe d’élite.
Quelle que soit le postulat correct, nous pouvons déduire, avec un risque minime de nous tromper, qu’un commando étranger à l’Iran a temporairement, samedi dernier, pris le contrôle de l’une des bases les plus stratégiques de la théocratie chiite, dans la banlieue de sa capitale, et qu’il y a mené au moins deux ou trois opérations, peut-être plus.
Ce scénario a, en outre, l’avantage de fournir une raison supplémentaire à celle avancée par Juffa, afin d’expliquer pourquoi les Perses n’ont pas noyé la base de secouristes pendant que l’incendie faisait rage. Ils avaient, en effet, de bonnes raisons de craindre que des troupes ennemies se trouvassent encore sur les lieux, et, plus pragmatiquement encore, qu’elles eussent piégé le camp, pour y déclencher des explosions supplémentaires, dans le but d’étendre l’effet de panique pour mieux protéger leur retraite.
Car retraite en bon ordre il y a bien eu ! Dans toute autre éventualité, les khomeynistes auraient eu tôt fait d’exhiber les commandos, morts ou vivant, d’ailleurs, sur leurs chaînes de télévision. Vous imaginez l’effet compensateur, consistant à montrer des Israéliens, des Américains ou des Britanniques prisonniers sur les écrans ?
Le groupe d’intervention a pu fuir par la mer Caspienne, dont la côte n’est distante que d’une centaine de kilomètres de Modarres, et de là, être récupéré par un navire, qui l’aura évacué en territoire ami, à Bakou, en Azerbaïdjan, par exemple. Ou, dans le même pays, distant de 400 km par la voie terrestre, à l’instar du Kurdistan iraquien. Quant au Turkménistan, il n’est éloigné que de 300 kilomètres de la base de missiles.
Une autre hypothèse permet d’imaginer que le commando est resté en Iran, et qu’il se prépare à d’autres actions, en vue de l’intervention militaire qui se dessine. Et si c’est le cas, il y aurait peut-être d’autres groupes d’actions spéciales disséminés ailleurs en Iran, à pied d’œuvre, n’attendant que les instructions pour agir.
Impossible de lever l’énigme à ce sujet non plus, mais, quand bien même ce serait faisable, le voudrions-nous vraiment ?
A ce qu’il me semble, le groupe d’intervention ne s’est pas fait aider par des opposants iraniens, car le risque de fuite était trop grand, en considération d’une opération aussi éloignée de ses bases de départ, et aussi osée.
Dans plusieurs années, on connaîtra quelques détails sur l’opération de samedi, quand les conditions le permettront. Ce que nous pouvons d’ores et déjà affirmer, est que ces commandos ont fait preuve d’un professionnalisme et d’un courage hors du commun. Ils ont mené à terme une action complexe ; une action, en comparaison de laquelle les fictions hollywoodiennes qui se veulent les plus hardies peuvent passer pour des contes d’Andersen.