Iran : l’Occident prend la main (info # 012501/12) [Analyse]
Par Stéphane Juffa ©Metula News Agency
L’Union Européenne a donc décidé avant-hier la mise en application de son embargo sur l’achat de brut iranien, et les Etats-Unis ont envoyé le porte-avions Abraham Lincoln dans le Golfe arabo-persique, et la République Islamique n’a pas exécuté sa menace de fermer le détroit d’Hormuz.
Au contraire, le numéro deux des Pasdaran, Hossein Salami, s’est fendu d’une déclaration qui peut paraître surprenante, annonçant que l’envoi d’un nouveau navire de guerre américain dans le Golfe "ne constituait pas un élément inédit, et qu’il ne fallait pas interpréter cette manœuvre comme le signe d’une présence permanente". Il a qualifié le passage du détroit par le porte-avions d’ "activité de routine".
On se situe en pleine contradiction avec les proclamations précédentes du chef de l’Armée iranienne, l’ayatollah Salehi, qui brandissait des menaces de confrontation, après le retrait d’un autre porte-avions, l’USS Stennis, recommandant au Pentagone de ne pas envoyer d’autre unité de ce type dans le Golfe, et précisant qu’ "il n’est pas dans nos habitudes de lancer un avertissement plus d’une seule fois".
Un autre ayatollah, proche de Khamenei, avait promis, pour sa part, que son pays réagirait à la décision de l’UE d’instaurer son embargo par la fermeture de la voie d’eau stratégique.
Certes, après la publication de la décision européenne, deux responsables perses, dont l’ancien ministre du Renseignement, Ali Fallahian, ont renouvelé leurs paroles d’intimidation, mais, et il est impossible de s’y méprendre, la théocratie chiite met de l’eau dans son thé.
Ces derniers événements démontrent, ce que nous savions déjà, à savoir que la junte islamiste au pouvoir à Téhéran n’entretient pas de projet suicidaire. Ses membres connaissent mieux que quiconque la réalité des rapports de force, à la fois économiques et militaires, et ils s’abstiennent de tout acte téméraire.
C’est encourageant pour la suite, et les contradictions s’entrechoquant, en public, au sommet de la théocratie, font apparaître la fragilité de ce régime, ainsi que le doute et les difficultés dans lesquels il s’est lui-même enferré avec la poursuite de son programme nucléaire.
D’autre part, les experts de Métula sont persuadés que, contrairement à ce qu’ils avaient claironné, les ayatollahs n’ont toujours pas enclenché la production industrielle d’uranium supérieurement enrichi dans l’usine enterrée de Fodow. Ils ont, au contraire, laissé entendre qu’ils accepteraient la visite sur les lieux des inspecteurs de l’Agence Internationale pour l’Energie Nucléaire, ce qui aurait pour effet de persuader les Occidentaux et Israël de ne pas entreprendre d’opération militaire intempestive.
Reste que, plus clairement que jamais auparavant, les Européens ont signifié aux dictateurs persans qu’ils étaient capables et décidés à activer des sanctions dissuasives pour convaincre les mollahs d’abandonner leur idée de se doter de la bombe atomique.
Avec la décision tombée avant-hier, l’UE établit fermement, que même si des sanctions, tel l‘embargo sur le brut, sont de nature à lui causer des soucis, les efforts destinés à empêcher Téhéran de se doter de l’arme suprême revêtent une importance plus élevée, justifiant que l’on se serre la ceinture pour y parvenir.
Les Etats qui tirent le plus la langue sont ceux déjà en butte à de grosses difficultés économiques, je pense à l’Italie, à l’Espagne, dont 12% de la consommation de pétrole est d’origine iranienne, et, principalement, à la Grèce (30%). Sur la base de l’accord passé avant-hier, ces pays auront le droit d’exploiter leurs contrats existants avec l’Iran jusqu’au mois de juillet ; de plus, les autres membres de l’UE se sont engagés à leur prêter main forte afin, notamment, de fournir des garanties financières à des producteurs qui pourraient en réclamer pour remplacer les Perses. A compter de juillet prochain, l’Europe ne devrait plus importer de pétrole perse.
Les sanctions décidées avant-hier par l’Union englobent des domaines supplémentaires, comprenant le gel des avoirs de la banque centrale iranienne, et l’interdiction de mener des transactions avec icelle. Toujours dans l’intention d’assécher les sources de financement du programme nucléaire, il est désormais prohibé de vendre de l’or ou des métaux précieux aux Perses, qui pourraient s’en servir en remplacement des devises qui leur font de plus en plus défaut.
Les sanctions comprennent également l’interdiction, admise par les Européens, d’investir ou de livrer des équipements utiles aux activités pétrochimiques de la théocratie.
Washington s’est félicité de la décision prise par les représentants du Vieux Continent. Les USA, désireux d’accentuer la pression, ont décrété un nouveau train de sanctions, économiques et financières, visant, elles aussi, à tarir les filières alimentant Téhéran en devises.
De plus, les Occidentaux vont décupler leurs efforts auprès des clients asiatiques du brut perse, à l’instar de la Chine et de l’Inde, pour qu’ils réduisent, ils aussi, leurs achats auprès des ayatollahs.
Nous nous trouvons soudain, au cours de cette crise de la bombe chiite, dans une phase relativement favorable aux Occidentaux. Ces derniers ont clairement repris la main ; tant que deux dynamiques prévalent, le temps travaille pour eux, et non plus pour les théocrates persans. Il s’agit de la non mise en activité des installations souterraines d’enrichissement, conjuguée à l’efficacité croissante des sanctions.
Tant que cette conjonction existe, Khamenei et sa clique perdent en puissance et se voient poussés vers la table de négociations. C’est précisément là qu’entendent les conduire les Américains et les Européens, qui sont accompagnés dans cette tentative, et c’est remarquable, par les Chinois et les Russes, au sein du groupe connu sous l’appellation P5+1, qui inclut, outre les deux Etats cités, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis.
Les choses sont désormais énoncées sans fausses notes et à l’unisson. Catherine Ashton décrit l’objectif poursuivi par les sanctions, comme celui "de faire prendre au sérieux par l’Iran notre requête de s’asseoir à la table des négociations pour s’entretenir de son programme nucléaire".
Ce à quoi fait écho Jay Carney, un porte-parole de la Maison Blanche, en exigeant des Perses qu’ils répondent officiellement à l’invitation à négocier que leur a envoyée le P5+1 en octobre dernier.
Le Président Obama, de préciser ses intentions, affirmant que les USA "continueraient à imposer de nouvelles sanctions pour augmenter la pression sur l’Iran".
Sûr, les Iraniens ne demeureront coincés dans cette position inconfortable que tant que les activités diplomatiques seront doublées d’une menace militaire constante et crédible. A cet effet, une force de dissuasion internationale se concentre, chaque jour davantage, dans la région du Golfe et dans ses abords. Et en Israël, on vient d’effectuer avec succès le premier test du Khetz-3 (Arrow, Flèche), le missile antimissiles balistiques, troisième génération. Une fusée qui, lorsqu’elle sera au point, devancera les lanceurs au service des Perses d’au moins cinq ans.
D’autre part, les Américains et les Européens instrumentent clairement Israël, la faisant passer pour le chien fou de la coalition. C’est ce qui permet, par exemple, à Nicolas Sarkozy d’en rajouter une couche, vendredi dernier, lorsqu’il explique que "le temps restant avant une intervention militaire en Iran était en train de s’épuiser". Les Américains pianotent sur le même registre, quand ils prétendent qu’Israël est un Etat indépendant, et qu’ils font miroiter de soi-disant difficultés pour l’empêcher d’agir seul.
C’est en grande partie exagéré. A Jérusalem, on souhaite, avec les autres alliés, et pas moins qu’eux, que les Mollahs abandonnent leur aventure nucléaire sans avoir à recourir à la force. Tant que les Iraniens ne lancent pas leur programme d’enrichissement de l’uranium à 20 pourcent dans des sites protégés contre les frappes aériennes, les Hébreux conservent tout leur calme et ne surprendront personne.
Et c’est d’entente avec les Etasuniens qu’ils ont renoncé à conduire, pour l’heure, le plus grand exercice conjoint jamais envisagé sur le sol israélien. Un exercice figurant un conflit de missiles, intitulé "Défi austère", qui avait pour autre particularité de mobiliser des milliers de soldats Yankees et Hébreux et tout leur matériel. Dans les faits, "Défi austère" s’apparentait plus à une déclaration de guerre informelle à l’Iran qu’à des manœuvres, et il était difficile de s’en convaincre autrement. Tout était en place, et il aurait suffi d’appuyer sur quelques boutons pour déclencher l’enfer sur les infrastructures militaro-nucléaires de la "République" Islamique, et sur les retraites de ses dirigeants.
Ceci posé, les deux alliés ont fait savoir que le report de cet exercice poursuivait un but d’apaisement, qu’il était simplement retardé, et qu’il pourrait être reconvoqué très rapidement. Au cas où ils n’entendent pas renoncer à l’atome autour de la table de négociations, Khamenei et Ahmadinejad n’ont aucune raison de se montrer satisfaits.
D’autant plus, qu’au milieu de la semaine dernière, le général Martin Dempsey, le commandant en chef de toutes les armées US, est venu à Jérusalem s’entretenir avec le ministre de la Défense Ehud Barak, le chef d’état-major Benny Gantz, ainsi qu’avec des chefs militaires hébreux et des experts du renseignement.
Ensemble, dans un climat particulièrement cordial, ils se sont accordés sur les procédures à suivre dans le cadre du mano a mano avec Téhéran. Ils ont ainsi défini les conditions et les degrés d’une escalade comme d’une désescalade militaire. Ils ont définitivement entériné – ce qui n’était pas évident il y a quelques semaines encore -, que les deux pays ne permettraient pas à la "République" Islamique de devenir une puissance nucléaire, et qu’ils emploieraient conjointement la force pour l’en empêcher, si nécessaire. Ils ont enfin convenu, qu’Israël n’interviendrait pas en solo, tant que Washington respecterait les principes de l’accord intervenu entre les establishments de la défense des deux Etats.
Et Dempsey et Barak n’ont probablement pas pu s’empêcher de sourire, lorsqu’ils ont décidé qu’Israël continuerait à interpréter le rôle du feu follet incontrôlable. Parce qu’il faut bien que quelqu’un conserve le feu allumé si l’on veut que la pression sur les Perses s’intensifie, que cela fonctionne aussi, de la même façon, sur les alliés européens, puisque la contre-menace israélienne est crédible pour tous.
Car, en fait, Jérusalem ne peut que se montrer satisfaite de la qualité des sanctions décidées par les Occidentaux, et par le recul iranien. Mais de cela, pour que ça fonctionne, s’il vous plaît, n’en parlez à personne…