Sarkozy, Hollande et les autres : tous Place du Capitole
Bernard-Henri Lévy
Ainsi donc la France est un pays où l’on peut, en 2012, dans la quatrième métropole du pays, tirer sur une école juive et y tuer, à bout portant, des enfants.
L’enquête éclaircira, il faut l’espérer, les circonstances de cette tragédie, l’identité du tueur, ses mobiles.
Mais, quels que soient ces mobiles, quoi que l’on puisse nous apprendre sur le déroulement de la fusillade survenue devant les grilles, puis à l’intérieur du lycée-collège d’Ozar Hatorah, quelque lien que l’on vienne établir avec les mystérieux assassinats de militaires, la semaine dernière, à Toulouse et Montauban, le fait est là – et il est monstrueux : des enfants français, juifs et français ou, si l’on préfère, souverainement français mais coupables d’être nés juifs, ont été froidement abattus, en plein jour, sur le territoire de la République.
Et corollaire, presque aussi insupportable : voici revenus les temps sombres où il faut « donner consigne aux préfets de renforcer la surveillance autour de tous les lieux confessionnels en France, et particulièrement aux abords des écoles israélites »… Ce sont les termes du communiqué du ministère de l’Intérieur rendu public par Claude Guéant quelques minutes après le drame. Il était inévitable, ce communiqué. C’était le moins que pouvaient faire les autorités désemparées, comme nous tous, par l’horreur de la situation et prenant les mesures d’urgence appropriées. Mais ces mots, en même temps, glacent les sangs. Et l’on tremble de honte et de colère à l’idée que l’on en soit là, de nouveau là, comme après les attentats de la rue Copernic et de la rue des Rosiers, puis comme après la flambée d’actes antisémites du début des années 2000 : prier, se recueillir, mourir ou, simplement, étudier sous « haute protection policière » et à l’abri de « périmètres de sécurité » reconstitués – quelle misère…
Alors, face à cette abomination, et compte tenu du moment très particulier où survient cette catastrophe, il n’y a qu’une réaction possible.
Je veux dire : il n’y a qu’une riposte qui, alors que la campagne pour l’élection présidentielle bat son plein et entre même, apparemment, dans sa phase ultime, soit à la hauteur de l’événement.
Bien sûr, l’indignation et la peur.
Bien sûr, les condamnations verbales, les mots forts, les déplacements symboliques, que l’on nous annonce, ce lundi matin, alors que j’écris ces lignes.
Bien sûr, le beau geste du candidat Hollande décidant, en hommage aux victimes, de suspendre unilatéralement sa campagne et de faire des heures à venir un grand moment de recueillement collectif et de deuil.
Bien sûr, le non moins beau réflexe du candidat Sarkozy parlant de « tragédie nationale » et décrétant, lui, de son côté, une minute de silence, dans toutes les écoles de France, en mémoire de ces trois enfants de 3, 6 et 8 ans ainsi que de ce professeur massacrés, de sang-froid, par un tueur professionnel.
Et, bien sûr, si l’on y tient, les spéculations d’usage sur le type de climat politique, de levée des tabous, de libération de la parole infâme, qui valent, moyennant des médiations que l’émotion du moment ne doit surtout pas faire négliger, comme une sorte de permis de tuer – ici pour un assassin d’enfants, là pour un serial killer de militaires.
Mais aussi une démarche commune, que dis-je ? un acte de communion qui verrait tous les candidats républicains, je dis bien républicains, oublier un instant ce qui les oppose et crier d’une seule voix et, si possible, sans arrière-pensées politiciennes leur refus catégorique de l’antisémitisme et de ses conséquences toujours criminelles.
La classe politique, après Carpentras, il y a un peu plus de vingt ans, sut, François Mitterrand en tête, défiler, toutes familles confondues à l’exception du Front national, contre la profanation de trente-quatre sépultures juives.
Il faudrait aujourd’hui, Nicolas Sarkozy et François Hollande en tête, l’équivalent de cette manifestation dans Toulouse endeuillée : place du Capitole, ce haut lieu de notre mémoire nationale où le général de Gaulle vint, le 16 septembre 1945, prêcher l’unité du pays face à un peuple de maquisards FFI, FTP et de rescapés des Brigades internationales en Espagne, un grand rassemblement solennel où toutes les forces politiques viendraient dire, sans nuances, que c’est la France entière qui est attaquée, et qui doit donc faire front, quand ses enfants, quels qu’ils soient, et quels que soient, je le répète, le profil du tueur ou ses raisons, sont ainsi massacrés.
Avis aux pyromanes de la défense d’une « identité nationale » perçue comme une entité fermée, frileuse, nourrie au ressentiment et à la haine : c’est le contrat social que l’on assassine dans une tuerie de cette sorte ; c’est la base même du vivre-ensemble qui, quand se déchaîne pareille folie, et si la réponse collective n’est pas unanime et foudroyante, vacille et se dérobe ; il n’y a pas pire atteinte à notre culture, à l’âme de notre pays, à son Histoire et, au fond, à sa grandeur que le racisme et, ce matin, l’antisémitisme.