Les drapeaux étrangers brandis à la Bastille le soir du 6 mai créent la polémique
Le 6 mai, nombre de drapeaux étrangers ont salué la victoire de François Hollande, provoquant une vive polémique. Sont-ils les signes d'une communautarisation de la société française ou l'illustration de sa diversité ? Les avis divergent.
"J’ai eu un drôle de sentiment en voyant la place de la Bastille avec très peu de drapeaux bleu, blanc, rouge, beaucoup de drapeaux rouges, et puis également beaucoup de drapeaux étrangers", s’est indignée sur les ondes d’Europe 1 Nadine Morano, ministre de l’Apprentissage, au lendemain de la victoire de François Hollande.
"Quand je vois ça, ça ne me rassure pas beaucoup et je me dis [...] : Quelle est la France qu'on va nous construire avec le droit de vote des étrangers ?", a poursuivi cette fidèle de Nicolas Sarkozy. Il n'en fallait pas plus pour que la polémique soit lancée.
Un peu plus tôt, Louis Alliot, vice-président du Front national (FN) faisait déjà la même remarque : "J'ai été hier assez surpris de voir autant de drapeaux étrangers saluer la victoire de M. Hollande ", a-t-il déclaré lundi sur France Inter. Pour le numéro 2 du FN cela "prouve bien que la communautarisation de la société française n'est pas une vue de l'esprit mais une réalité".
Les réseaux sociaux s'enflamment
Tous ceux qui étaient présents sur place ou qui ont suivi à la télévision les festivités de la victoire de François Hollande place de la Bastille, le soir du 6 mai, l’ont en effet certainement remarqué : au-dessus de la foule en liesse flottait une multitude drapeaux, pas tous français. On distinguait notamment le drapeau rouge, celui du Front de gauche, mais aussi des drapeaux algériens, marocains, tunisiens, égyptiens ou palestiniens. Est-ce, comme le soutiennent notamment Louis Aliot et Nadine Morano, le signe d’une communautarisation de la société ?
"Non", ont répondu en cœur les responsables politiques de gauche. "Ce n'est pas à Nadine Morano d'expliquer qui est français et qui ne l'est pas", a notamment lancé Manuel Valls interrogé par Europe 1. Né à Barcelone, ce lieutenant de François Hollande a rappelé qu’il "y avait beaucoup de drapeaux, comme en 1995 ou en 2002". En entendant la Marseillaise, entonnée ce soir-là par les dizaines de milliers de personnes, il dit avoir "ressenti chez eux la fierté d'être français". "Je n'avais jamais vu ça sauf dans les stades de foot, et encore ", a-t-il encore relevé.
Cette image, si elle peut sembler familière, a pourtant enflammé la Toile. Sur les réseaux sociaux notamment les débats sont houleux. Certains se disent choqués, d'autres ne voient dans ces bannières que l'illustration de la diversité de la société française. " Comment peut-on parler de l'intégration si chacun hisse son propre drapeau? Le multiculturalisme ne s'exprime pas par les drapeaux ", s’interroge par exemple @JacquesFelix sur Twitter.
Pour Patrick Weil, tout se résume à une histoire de diversité. Le sociologue spécialiste de l’immigration et directeur de recherche au CNRS, contacté par FRANCE 24, s’est indigné de la teneur de la polémique. Selon lui, la présence de certains drapeaux, comme celui choisi par les révolutionnaires syrien qui flottait également sur la place de la Bastille, symbolise l'attachement aux valeurs de la République. "La France a toujours eu une tradition d’accueil des réfugiés politiques, cela a du sens de voir ce genre de drapeau flotter à la Bastille ", estime-t-il.
Rien d’étonnant non plus pour Pierre Haski, journaliste co-fondateur du site Rue89, qui signe, au lendemain du second tour, un édito intitulé : " Des drapeaux algériens place de la Bastille : Choquant ? Pas vraiment". Dans le panel de drapeaux brandis place de la Bastille le soir du 6 mai, le journaliste ne voit que "la France désireuse de vivre positivement sa diversité ".
Beaucoup de bruit pour rien ?
Or, cette image qui fait couler tant d’encre n’est pas vraiment inédite. Lors de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007, il y avait également assez peu de drapeaux français, au milieu d’autres étendards étrangers ou aux couleurs de l’UMP. Même phénomène lors de la victoire de Jacques Chirac en 2002.
Pour Pascal Blanchard, historien et chercheur associé au CNRS, c’est "un sujet purement polémique". "C’est exactement la même chose que le soir de la victoire de Jacques Chirac en 2002 : des drapeaux algériens et marocains flottaient et Jacques Chirac les saluait. À l’époque la droite trouvait cela très bien : elle avait gagné", a-t-il ironisé.