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La monarchie marocaine d’Idris 1er à Mohammed VI

 

Par Mouna Hachim, écrivain-chercheur

 

Mouna Hachim est universitaire, titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Faculté des lettres de Ben M’Sick Sidi Othmane. Depuis 1992, elle a éprouvé sa plume dans les métiers de la communication (en tant que concepteur-rédacteur) et dans la presse écrite, comme journaliste et secrétaire générale de rédaction dans de nombreuses publications nationales. Passionnée d’histoire, captivée par notre richesse patrimoniale, elle a décidé de se vouer à la recherche et à l’écriture, avec à la clef, un roman, «Les Enfants de la Chaouia», paru en janvier 2004. Une saga familiale couvrant un siècle de l’histoire de Casablanca et de son arrière-pays. En février 2007, elle récidive avec un travail d’érudition, le «Dictionnaire des noms de famille du Maroc» qui donne à lire des pans essentiels à la compréhension de l’histoire du Maroc sous le prisme de la patronymie.

 

Nous sommes en l’an 170 de l’hégire, soit en 787 de l’ère grégorienne: l’Oriental Idris ben Abd-Allah El-Kamil vient d’accoster à Tanger, avant de s’installer dans le Zerhoun, en compagnie de son affranchi Rachid, échappant à la persécution abbasside contre les descendants de Ali ben Abi Talib à la bataille d’El-Fakh, près de La Mecque.
Deux ans plus tard, le 5 février 789, ses hôtes Awraba lui font allégeance et le proclament Imam. Ils sont suivis dans cette Beï’a par les autres tribus berbères Maghila, Seddina, Zouagha, Sedrata, Meknassa, Ghomara…
Commencent alors les campagnes d’islamisation, la prise de Tlemcen, la frappe d’une monnaie et la constitution d’un embryon d’Etat. Mais mesurant la menace, le poursuivant de sa vindicte, le calife abbasside Haroun Rachid le fait empoisonner par un émissaire après juste trois ans de règne. 
De son union avec Kenza l’Awrabienne, il a un fils, de naissance posthume, Idris ben Idris, exemple même de la personnalité marocaine, illustrant à merveille cette osmose arabo-berbère. Proclamé Imam en 803, il organise l’armée et l’administration et fonde en 808, la ville de Fès, première capitale du Maroc musulman.
L’idée ingénieuse de célébration des 1.200 ans de la fondation de Fès a le mérite de faire converger la date de la fondation de la cité avec l’émergence du Royaume du Maroc musulman. C’est ce deuxième point fort que nous avons décidé de mettre ici en lumière, à travers une rétrospective de l’histoire de la monarchie marocaine, la plus ancienne du monde, après celle du Japon. 
Avant l’Islam, l’institution de l’Agellid (roi en amazigh) existait déjà dans tout le monde berbère avec des organisations de type monarchique. Souvenons-nous de la dynastie volubilitaine, de celle des Bocchus, des Massyles, des Baquates…

· Première dynastie du Maroc musulman 

Le nationalisme des Berbères est une évidence, symbolisée notamment par sa lutte contre Rome ou contre Byzance et plus tard, contre le népotisme omeyyade. Le processus d’émergence d’un Etat-nation marocain reste toutefois rattaché aux Idrissides, fondateurs en tous les cas de la première dynastie du Maroc musulman. 
Avec l’aide des tribus berbères et des contingents arabes, Idris II organise, en effet, l’armée et l’administration et poursuit les conquêtes de son père. A sa mort en 828, ses huit fils sont désignés par le frère aîné au pouvoir, à la tête d’une vaste province qu’ils administrent en son nom, à la demande de la grand-mère Kenza.
Cette partition du royaume contribue peu à peu à la division des Idrissides, en butte à des rivalités internes et aux visées expansionnistes des Fatimides chiites d’Ifriqiya d’un côté; et des Omeyyades d’Andalousie de l’autre.
Aidés par les velléités de domination du chef zénète Moussa El-Afiya, les Fatimides font expulser les Idrissides de Fès en 927. Ces derniers se retranchent alors dans le nid d’aigle de Hajar Nesr dans le Rif, avant de créer un petit Etat à Basra dans le Gharb, suzerain au gré des alliances, des Fatimides ou des Omeyyades, avant d’être expulsés par les califes de Cordoue.
Malgré les tentatives de Hassan ben Guennoun de reprendre le pouvoir, il est vaincu et assassiné en 985 et tous les représentants idrissides éparpillés. Il a fallu attendre le règne des Mérinides, favorables aux chorfas (pour des raisons dit-on de recherche de légitimité religieuse), coïncidant avec la découverte du tombeau d’Idris II, pour assister au retour des Idrissides à Fès, faisant même une brève tentative de prise du pouvoir à la fin de ce règne, en la personne de Mohamed ben Amrane Jouti. 
La persécution de Moussa El-Afiya marque les annales idrissides et symbolise leur exil et leur dispersion. Chef des Meknassa, ce prince s’est rendu célèbre et détestable pour avoir expulsé les Idrissides, avant d’être à son tour vaincu par les Fatimides dont il avait désavoué la cause en faveur des Omeyyades. Ses descendants, maîtres de Guerçif sont à leur tour vaincus et décimés par les Berbères sahariens Almoravides. 
La chute des Idrissides avait provoqué la montée en puissance de principautés indépendantes menées par de grandes tribus zénètes. L’année 972, dite de Loqman El-Maghraoui, marque en effet l’entrée des Maghraoua au Maroc, fondateurs de plusieurs émirats, vassaux des Omeyyades. 
Parmi eux: les Beni Atiyya, du nom de Ziri ben Atiyya, premier roi zénète du Maroc, vassal de la dynastie Amiriyya en Andalousie, maître de Fès, de Tlemcen, fondateur d’Oujda, capitale de sa principauté. A la fin de leur règne, les Beni Atiyya succombent à de féroces luttes intestines, principalement celle livrée par les deux frères ennemis Fetouh et Ajissa qui règnent chacun sur une rive de Oued Fès et laissent chacun son nom à une porte de la ville.
Les Beni Khazroun, quant à eux, se font les maîtres de Sijilmassa de 976 jusqu’à leur expulsion par les Almoravides à l’appel des théologiens de Sijilmassa et du Draâ. Les Maghraoua d’Aghmat fondent, de leur côté, dans le Haouz, un petit royaume dont le dernier chef, vaincu par les Almoravides, était Leqqout ben Youssef Maghraoui, mari de la belle Zayneb Nafzaouiya…
Les principautés Maghraoua ne résistent pas en effet à la fulgurante percée des Almoravides. Berbères Sanhaja, nomadisant dans le Sahara, ils sont réunis au XIe siècle sous l’impulsion du chef malékite Abd-Allah ben Yacine. Issu de Tamanart dans le Souss, celui-ci était d’abord chargé d’enseigner aux Goudala, à la demande du chef de la tribu saharienne Yahya ben Brahim. Tout avait commencé lors du voyage du retour de La Mecque de ce chef des Goudala, lequel s’arrêtant à Kairouan y devint disciple du théologien Abou Imrane El-Fassi. 
Prenant conscience des lacunes de sa tribu en matière d’application des préceptes religieux, il réclame des théologiens pour faire partie du voyage. Abou Imrane, devant la réticence de ses élèves, lui recommande Wajjaj ben Zellou, ancien disciple installé au Nfis qui lui conseille lui-même un Imam de la tribu Gzoula, Abd-Allah ben Yacine. 
Celui-ci entame avec beaucoup de zèle sa nouvelle mission et ne tarde pas à avoir des démêlés avec les populations, excédées par son autoritarisme qui le destituent de son imamat et l’expulsent de leur tribu. De là, Abd-Allah ben Yacine, accompagné d’une poignée de fidèles, se retire dans un Ribat, sorte de monastère militaire où ses disciples sont appelés El-Mourabitoun.
Fondant la confédération des tribus Béni Warith, Goudala et Lamtouna, ils s’imposent aux tribus alentours, collectent des impôts servant à l’armement, nomment un chef de guerre, se lancent dans l’islamisation des populations sahariennes et la formation peu à peu d’un empire qui s’étendit du fleuve Sénégal à l’Espagne et de l’Atlantique à Alger avec Marrakech pour capitale et pour devise: «Défendre le droit, supprimer les impôts illégaux et implanter les prescriptions coraniques». 
Combattant sous la bannière malékite, les groupes schismatiques, Abd-Allah ben Yacine meurt au combat vers 1059 contre les hérétiques Berghouata, tandis qu’Abou Bakr Omar se lance dans la conquête et l’islamisation en direction de l’Empire du Ghana, avant d’être tué au Sénégal en 1087, touché par une flèche empoisonnée.
Chef militaire et religieux, Abou Bakr Omar serait le premier souverain almoravide, fondateur des premières bases de Marrakech vers 1070. Retournant au Sahara l’année suivante pour calmer des querelles entre tribus, il confie le pouvoir à son cousin Youssef ben Tachfine et s’engage davantage vers le Sud, menant campagne vers l’empire du Ghana, avant de trouver la mort au combat.
Pendant ce temps-là, Youssef ben Tachfine bâtit Marrakech et en fait sa capitale. Il poursuit les conquêtes almoravides au nord, avec les prises successives de Fès qu’il réunifie et de Tlemcen... Son règne est également marqué par la victorieuse bataille de Zallaqa contre Alphonse VI, le démantèlement des roitelets des Taifas et la conquête d’El-Andalus.

· Youssef ben Tachfine, Mehdi ben Toumert, Abd-el-Moumen

Après la mort de Youssef ben Tachfine en 1106, son fils Ali consolide l’empire mais ne tarde pas à affronter à la fois les chrétiens et les Almohades. Admirés pour leur souffle vivifiant et pour leur apport civilisationnel, critiqués pour leur excès de rationalisme, les Almoravides sont supplantés à la tête de l’empire par les Almohades.
Ibn Khaldoun, considéré comme l’un des premiers théoriciens de l’histoire des civilisations et fondateurs de la sociologie politique, a formulé une fameuse théorie expliquant ces splendeurs et décadences, confrontant civilisations rurales (‘umran badawi) et civilisations urbaines (‘umran hadari), subissant toutes une loi cyclique, à l’échelle humaine.
Alors que les Amoravides étaient à l’apogée de leur civilisation, voit le jour dans les montagnes du Haut-Atlas, à Tinmel, le mouvement Mouahiddi (proclamant Tawhid, l’Unité divine) marqué par son rigorisme, opposé au malékisme. 
Il est inspiré par le chef spirituel masmoudien, Mehdi ben Toumert, organisateur d’une communauté religieuse et militaire, proclamé Mehdi. Il impose l’achaârisme, à la suite de ses rencontres en Orient avec de grands Imams et en fait le fondement de son mouvement Unitarien.
Son lieutenant Abd-el-Moumen devient le premier chef de la dynastie almohade et règne sur le Maghreb et l’Andalousie avec le titre de calife et prince des Croyants, détaché du califat d’Orient. Les Almohades produisent une brillante civilisation et marquent des victoires retentissantes contre les royaumes chrétiens notamment à Alarcos. Mais la perte de Valence puis de Séville et surtout, la poussée des Berbères Zénètes Mérinides sonnent le glas pour les Almohades.
Cavaliers et chasseurs guerriers, les Béni Marine avaient l’habitude au XIIe siècle, de transhumer à la fin du printemps dans les steppes marocaines sud-orientales et se regroupaient à Guercif pendant l’automne, avant de rejoindre leurs zones méridionales d’hivernage. En 1213, rentrés pour leur transhumance habituelle, ils profitent de la faiblesse du pouvoir almohade et de la déficience du peuplement causée par une grave épidémie qui ravageait le Maroc et l’Andalousie pour appeler les leurs, venus en masse les rejoindre. 
Etablis au sud du Rif et au Maroc central, ils essuient une grande défaite dans le Rif, se retranchent dans la région de Taza, puis de là, la vallée de la Moulouya et les confins du Sud, avant de revenir en force en 1245. Supplantant les Almohades, ils forment leur propre dynastie qui règne sur le Maroc, sur une partie de l’Algérie et sur l’Andalousie, avec Fès pour capitale jusqu’en 1465.
Grands bâtisseurs, mécènes, amis des arts, les Mérinides s’essoufflent à la fin de leur règne et ne résistent pas aux luttes intestines internes, à la crise économique qui secouait le pays et surtout, aux menaces chrétiennes qui finirent par précipiter leur chute.
Au début du XVIe siècle, dans un contexte marqué par l’occupation chrétienne, teintée d’esprit de croisade et par la déliquescence du pouvoir wattasside, cousins et successeurs des Mérinides, les Saâdiens, de souche arabe, installés dans la vallée du Drâa, accèdent au pouvoir au nom de la guerre sainte.
En 1508, avec l’occupation portugaise d’Agadir, les tribus du Souss et du Draâ nomment en effet un Saâdien comme chef de guerre, dans le village de Tidsi, près de Taroudant avec la bénédiction du mystique Mohamed ben Moubarak.
Il s’agit du Saâdien El-Qaïm Billah, lequel s’est illustré contre les Portugais à Agadir, à Agouz et à Safi. A sa mort, il laisse le pouvoir à ses deux fils, Mohamed Cheikh et Ahmed El-Arej, fondateur de la dynastie saâdienne en 1520. Appuyés par le mouvement jazoulite et son vaste réseau de zaouïas, ainsi que par les grandes tribus sahariennes guerrières, les Saâdiens bénéficient de leur aura de chorfas. Leur règne est caractérisé par la libération des côtes de la présence portugaise, le contrôle des routes sahariennes, la conquête de Blad-Soudane, la résistance aux velléités conquérantes ottomanes et quelques règnes glorieux dont celui d’El-Mansour Dahbi, victorieux à la Bataille des Trois Rois.
Mais les luttes intestines entre les derniers princes favorise la dislocation du pays en plusieurs principautés: la Zaouïa de Dila au Moyen-Atlas, Lakhdar Ghylan dans le Gharb, Illigh dans le Tazerwalt menaçant le Tafilalet…
C’est dans ce contexte qu’est proclamé chef politique par les Filaliens en 1631, un membre de la famille chérifienne alaouite, Moulay Cherif, dont les ancêtres, reliés directement à la lignée du Prophète par la Chajara, se sont établis à Sijilmassa vers 1266, au début du règne mérinide, à partir de l’Oasis de Yanbou’ en Péninsule arabique. 
Réputé pour sa bravoure et pour sa hardiesse au combat, le fils aîné, Moulay Mhammed est nommé successeur de son père et chef de guerre en 1635-6 dans le Tafilalet, avant d’être proclamé en 1640. A sa mort au combat en 1664, son frère cadet et héritier, Moulay Rachid, ne tarde pas à imposer son autorité, à rétablir l’ordre et à restaurer l’unité nationale. Il est considéré comme le premier sultan de la dynastie alaouite, laquelle règne au Maroc depuis 1666 jusqu’à nos jours en la personne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
Des ouvrages et des travaux autrement plus approfondis ont décortiqué les différentes dynasties marocaines, les règnes successifs, les œuvres de libérateurs et de bâtisseurs. Ils ont analysé le système monarchique marocain, son double aspect spirituel et temporel, la personne du Roi, Amir El-Mouminin, considérée sacrée et inviolable, le système Makhzen jugé souvent archaïque, l’apparition de l’Islam politique, les aspirations vers une réforme constitutionnelle marquant une séparation des pouvoirs, si ce n’est à l’instar des monarchies européennes, du moins dans le cadre d’une évolution en harmonie avec nos spécificités propres et notre authenticité…
A travers cette esquisse de l’histoire de l’une des plus anciennes monarchies du monde, il s’agissait ici, comme d’habitude, de tenter de lier le passé, au présent et à l’avenir; ainsi que de saisir la portée de l’anniversaire de la fondation de la ville de Fès. Selon le message royal, à l’occasion des premières festivités, «Sa création a été assurément un événement majeur qui a marqué une étape décisive dans le long processus de gestation et d’émergence d’un Etat-nation marocain (…) un Etat issu du brassage fécond et harmonieux de ses composantes amazighe et arabo-islamique». 

 

La monarchie marocaine d’Idris 1er à Mohammed VI

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