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Vous avez dit normalisation ?

 

 

Cette histoire commence par un conte de fées et se termine en cauchemar. Je vous la raconte : il était une fois à Tinghir, petite ville berbère du centre-est marocain, dans la vallée du Draâ… Kamal, un jeune homme du terroir, parti tôt dans les valises de son père qui a migré en France, est aujourd’hui un chercheur passionné d’histoire et de cinéma. Quoi de plus simple, pour lui, que de revenir au bled, pour filmer et enquêter sur l’histoire oubliée de Tinghir. Histoire oubliée ? Oui, Tinghir a longtemps été l’un des hauts fiefs de la communauté juive marocaine. Des milliers de juifs berbères l’ont désertée au fil des exodes massifs des années 1950-60, abandonnant tout sur place. Un pan entier du patrimoine de Tinghir, des berbères et du Maroc, a ainsi été progressivement oublié, puisque les manuels scolaires ont déchiré cette page. Kamal, héritier de cette histoire, de ces histoires, a établi des ponts entre Tinghir et Jérusalem, où il est parti filmer ses anciens voisins aujourd’hui citoyens israéliens. Il a pu voir que si, à Tinghir, tout le monde a oublié (“Quoi, des juifs, ici ?” s’exclament, incrédules, les jeunes du village), de l’autre côté, à Jérusalem ou Haïfa, personne n’a oublié.

 

Il y a deux manières de considérer cette histoire de réconciliation et de retrouvailles. La première est de la trouver belle et émouvante. Humainement, et artistiquement, l’intention de réécrire ce qui a été effacé (la mémoire) est louable. Elle ressemble un peu à une chirurgie réparatrice qui ouvre les blessures pour effacer les bleus et retaper le corps malade. C’est la lecture la plus universelle et la plus juste.

 

La deuxième lecture possible, concédée sous le double prisme de la démagogie et du conflit israélo-arabe, consiste à rejeter cette histoire sous le prétexte qu’elle œuvre pour la normalisation-dédiabolisation de l’Etat d’Israël, laquelle normalisation, comme vous le savez, est un sujet tabou dans les sociétés arabes.

 

Si je vous en parle ici, c’est que la deuxième lecture, fallacieuse et scandaleuse, est en train de s’imposer au détriment de la première.

 

Le pitch que je vous ai résumé plus haut est celui de Tinghir – Jérusalem, un film documentaire réalisé par le Marocain Kamal Hachkar. Une version courte a été diffusée l’année dernière par la télévision marocaine, provoquant quelques remous, mais le film était resté inédit en salle. Le Centre cinématographique marocain a décidé de réparer cette anomalie en programmant le docu-fiction dans le cadre du Festival national du film marocain, qui s’ouvre cette semaine à Tanger. La réaction ne s’est pas fait attendre puisque, à Tanger, tout ce que le tissu social et politique compte comme représentants s’est levé comme un seul homme pour demander fièrement l’interdiction du film. Des islamistes au pouvoir (PJD) à ceux en dissidence (Al Adl Wal Ihsane), en passant par les syndicats (UMT, CDT), les ligues de droits de l’homme ou les partis de gauche (USFP, PPS), tous ont vu dans cette histoire un “danger” pour la jeunesse marocaine et une “trahison” pour la cause palestinienne.

Ceux qui ont vu tout cela n’ont pas vu le film. Ils ne connaissent ni l’art ni l’histoire. Ils sont un danger pour le présent et le futur de notre pays et de sa jeunesse. Ils ont le droit de dire ce qu’ils veulent, même si c’est du n’importe quoi. Mais nous avons le devoir de protéger les artistes et les chercheurs marocains contre ces appels à la haine, à Tanger, à Tinghir ou ailleurs. Amen.

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