Maroc, la grande spoliation
On a pu croire, au début, à quelques cas isolés d’entourloupe. Mais l’accumulation des dossiers, une trentaine sur le seul bureau de M e Viviane Sonier à Privas, prouve le contraire.
Sur le sol marocain, une redoutable mafia s’applique à faire main basse sur des biens immobiliers français. Assistant l’avocate ardéchoise, le juriste Moussa Elkhal enfonce le clou : “C’est une véritable honte ! De part et d’autre de la Méditerranée, aucune autorité ne bouge. Appartenant aux deux cultures, je suis doublement meurtri. La France laisse tomber ses vieux, le Maroc s’accommode de méthodes indignes”.
Le scénario a le mérite de la simplicité. Les voyous, parfaitement renseignes, ciblent de riches ressortissants français qui finissent leurs jours au Maroc. Des personnes âgées, souvent affaiblies par la maladie, éloignées géographiquement de leur famille… et donc particulièrement vulnérables. Lorsqu’elles décèdent – de manière naturelle ou pas ! – surgissent de faux actes de propriété qui lèsent les héritiers légitimes.
Des complicités au plus haut niveau
Le jeu en vaut la chandelle, les voleurs visent le meilleur. Telle cette splendide villa avec dépendances, “Rêve de crabe”, boulevard de la Corniche à Casablanca. Georges Brissot, mort en juin 2011, l’a léguée à son neveu, un cardiologue qui vit à Perpignan.
Gérard Benitah raconte la suite : “Je suis de confession juive, né à Fez en 1942… Au lendemain des funérailles de mon oncle, avec qui j’entretenais d’excellentes relations, j’apprends qu’il m’aurait déshérité au profit d’un certain Mustapha Him, un parfait inconnu.” Un inconnu ? Pas pour les tribunaux français. Condamné à Paris pour trafic de drogue, cet aigrefin répond d’un mandat d’arrêt international. Ce qui ne l’empêche pas de poser dans un journal, à côté de l’ancien ministre marocain de la Justice ! De mèche avec des hauts fonctionnaires, Him a produit un testament “bidon”. Le docteur Benitah, écœuré, se bat pour retrouver ses droits. L’escroc a été enfin incarcéré, en octobre dernier, mais l’étouffante procédure patine toujours…
Anouk Garcia mène un combat semblable. Son père meurt à Casablanca, dans des circonstances jamais élucidées, en novembre 2010. À peine enterré, aussitôt dépouillé ! Par le biais de faux documents, là encore, l’entreprise du défunt a été vidée de ses comptes. La justice marocaine ferme les yeux, l’Ambassade de France regarde ailleurs…
Anouk proteste : “Là-bas, grâce à ses réseaux installés dans les sphères de l’Etat, cette mafia continue d’agir en toute impunité.” Pour s’accaparer une succession de 22 millions d’euros, par exemple.
Du côté de Nîmes, une dizaine de parents spoliés tentent ainsi d’obtenir réparation. Et d’honorables notaires, en France, s’indignent de voir leur nom et leur cachet au bas de documents grossièrement falsifiés…
“J’ai reçu des menaces de mort”
Des histoires pareilles, M e Sonier en entend régulièrement dans son cabinet : “Cette bande criminelle jouit d’incroyables complicités. Notaires, avocats, magistrats, témoins, bénéficiaires, on retrouve les mêmes individus dans la plupart des dossiers…”
Le préjudice au détriment des citoyens hexagonaux s’élèverait déjà à 600 millions d’euros. Sans parler des victimes espagnoles ou italiennes…
La peur aidant, le phénomène se banalise et rien ne vient l’enrayer. Moussa Elkhal ne ménage pourtant pas sa peine, multipliant les voyages entre les deux pays. Il a tiré toutes les sonnettes possibles auprès des ministères et des administrations. En vain, même si sa démarche de vérité commence à gêner : “Je me sens traqué, j’ai reçu des menaces de mort.”
Comment lutter contre un appareil politico-judiciaire miné par la corruption ? “Il faut aviser Sa Majesté Mohammed VI en personne, lui seul peut régler le problème” estime le juriste franco-marocain. D’autant que le royaume se pose en nouvel Eldorado pour un grand nombre de retraités français… et d’investisseurs. Un peu de transparence, une plus franche collaboration ne sauraient nuire aux échanges économiques entre Paris et Rabat. Heureuse coïncidence, François Hollande doit s’y rendre le mois prochain. M e Sonier lui a donc écrit, dans l’espoir que le président attire l’attention du roi sur le scandale. Dans le même temps, les victimes se regroupent au sein d’une association ( 1). Pour que Casablanca, avec ou sans Bogart, ne tourne pas au désespérant film noir…
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( 1) Association pour le Droit et la Justice au Maroc. associationdjm@gmail.com
par Gilles DEBERNARDI