Comment vivent les musulmans et les juifs en Chine?
À l’extrémité occidentale du continent, l’Asie mineure, au débouché de la Route de la soie, a un triple aboutissement turcophone, persanophone et arabophone au Moyen-Orient, puits de pétrole du monde. Mais comment cohabitent toutes ces communautés ? Extraits du Grand livre de la Chine, de Claude Chancel et Libin Liu Le Grix (Extraits 1/2)..
L’Asie mineure au souvenir de l’amiral Zheng He
La Chine connaît depuis longtemps le monde musulman. Les Hui, ethnie minoritaire composée de 8,6 millions de personnes, sont issus de métissages entre Chinois et commerçants musulmans, nombreux surtout dans les provinces du Ningxia et du Shaanxi. Les Hui et les Ouïgours dans leXinjiang font de la Chine le vingtième pays musulman du monde. La Route de la soie traverse surtout des terres d’islam. Les relations diplomatiques avec l’Iran, que Pékin soutient sur le plan diplomatique, sont donc bonnes, sur fond d’échange de pétrole contre grands travaux et produits manufacturés, au grand déplaisir de Washington, en délicatesse avec cet État soupçonné de recevoir l’aide technique nucléaire de l’« État-voyou », la Corée du Nord. Au début du xv e siècle, le grand amiral de la flotte impériale, l’eunuque musulman Zheng He, a visité de façon diplomatique et commerciale les pays autour de l’océan Indien et de l’Arabie. La relation entre la Chine et les pays musulmans s’est alors plus que renforcée.
Aujourd’hui, les relations entre Pékin et Ryad, pourtant protégée et alliée de Washington, sont solides, avec échanges symboliques de dromadaires arabes (à une bosse) et de chameaux chinois (à deux bosses). En 2009, pour la première fois, la Chine a acheté plus de pétrole à l’Arabie Saoudite que les États-Unis, et les compagnies pétrolières de Ryad et de Pékin collaborent. LaChine est précieuse pour la construction d’usines de dessalement d’eau de mer, de ciment et d’aluminium. Ses produits à bas coût intéressent les pauvres du royaume ainsi que ses travailleurs immigrés. La Chine a construit le métro de La Mecque et s’est retrouvée sur les rangs pour la construction du TGV Médine-La Mecque.
Les médias chinois sont présents, comme l’agence Xinhua, et CCTV diffuse en arabe. Des échanges d’étudiants ont lieu et le pavillon de l’Arabie Saoudite à l’Exposition universelle deShanghai 2010 a été, avec ses palmiers, l’un des plus visités. L’ombre de l’amiral, avec le retour de la flotte chinoise dans la région, ne rôde-t-elle pas encore du côté d’Ormuz et de la mer Rougequ’il a visitée il y a… six cents ans ?
Juifs et Chinois
Ces deux peuples réputés travailleurs et ingénieux, issus de deux des plus anciennes civilisations du monde toujours vivantes, ont en partage de nombreux points, particulièrement en ce qui concerne l’attachement à la famille, à l’organisation sociale hiérarchisée et le sens de la gestion financière et entrepreneuriale.
Les Juifs se rendent en Chine dès l’époque de la dynastie des Han, probablement par la Route de la soie. Le pacifisme du taoïsme, la sagesse du confucianisme et la tolérance du bouddhisme cohabitent en Chine avec le judaïsme comme avec l’islamisme. Cette entente est parfaitement évoquée sur la stèle édifiée en 1489 par la communauté juive installée à Kaifeng, la capitale de la dynastie des Song, à travers le texte gravé sur la stèle :
« Le confucianisme et notre religion, bien que différents, ont un fond en commun qui ne s’éloigne pas des cinq vertus similaires : le respect des lois célestes, le culte des ancêtres, la loyauté entre le monarque et ses sujets, entre amis, la piété filiale, la hiérarchie avec femme et enfant. »
Des relations particulières se sont constituées entre les deux peuples, notamment lors de laSeconde Guerre mondiale : les uns ont connu les camps de concentration, les autres le « massacre de Nankin ». 6 millions de Juifs ont été tués par les nazis, 35 millions de Chinois ont péri massacrés par l’envahisseur fasciste japonais. Lorsque les Juifs ont connu l’horreur de l’extermination en Europe, alors que bien des pays européens participaient à leur répression, la Chine leur a ouvert la porte. He Fengshan, alors consul de Chine en Autriche, a délivré 1 900 « visas de la vie » aux Juifs entre mai et octobre 1938, période extrêmement sensible. Plus de 30 000 Juifs ont pu fuir la terreur du nazisme européen pour venir se réfugier en Chine (Harbin, Shanghai et Tianjin notamment). Environ 3 000 d’entre eux sont ensuite repartis pour un autre pays. En 1941, 25 000 Juifs résidaient encore en Chine. La relation entre laChine et les réfugiés juifs d’Europe est l’une des rares belles pages de la Seconde Guerre mondiale.
Trois synagogues ont été construites à Shanghai, dont deux témoignent encore des liens particuliers entre les deux peuples : la première, construite en 1920 et classée aujourd’hui dans la liste du Patrimoine mondial des architectures mémorables, se trouve rue Shaan’Xi ; la seconde, édifiée en 1907 dans le quartier de Hongkou, a été transformée en musée en souvenir de la vie des réfugiés juifs à Shanghai durant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, une bonne partie des Juifs rejoignent leurs familles partout dans le monde. D’autres s’installent et s’accommodent. Aujourd’hui, parmi les dix membres d’origine étrangère du Comité central politique de la Chine, quatre sont d’origine juive.
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Le grand livre de la Chine. Histoire et géographie. Civilisation et pensée. Economie et géopolitique, Eyrolles (17 janvier 2013)
Claude Chancel est agrégé d'histoire et spécialiste de géopolitique. Il est déjà l'auteur de plusieurs ouvrages et en particulier de Le monde chinois dans le nouvel espace mondial, PUF, 2008. Libin Liu Le Grix est française d'origine chinoise. Installée en France, elle dirige l'entreprise de conseil France Chine qu'elle a créée après avoir collaboré avec Jacques Marseille.