Les algériens, les juifs et l’antisémitisme en Afrique du Nord
C'est vers l'an 70 av. JC que les premiers juifs (en nombre) arrivèrent en Numidie. Peu d'algériens le savent, tout comme ils ignorent une partie de leur histoire.
Selon les historiens, ils ont fui la Palestine vers cette date suite à la répression dont ils furent victimes par l’empereur romain Titus. Vers l’an 100 ap. JC, le général romain Trajan en déporta des centaines en Afrique du Nord. Les autochtones les avaient accueillis, et ils s’intégrèrent le plus normalement du monde. D’autres arrivèrent avec les Phéniciens qui venaient établir des comptoirs pour commercer. Le plus grand nombre s’installa en Afrique de Nord en 1492, chassés d'Espagne par les rois catholiques après la Reconquista, en même temps que les Berbères et des Arabes. Les juifs étaient en terre numide presque en même temps que les Romains, bien avant les Arabes, les Turcs et les Français.
Différentes suppositions existent sur l’origine du mot Israël. Selon l’une d’elles, le mot a été attribué par les Berbères. En arrivant en Numidie, les juifs ont fait part de "Moïse" qui aurait vu et parlé à Dieu, donc un prophète. Les Berbères les ont alors considérés comme le peuple de celui qui a vu Dieu, "Isra Il" (Il a vu Dieu) en berbère, d'où l'appellation "Israël".
Selon certains historiens, dont Ibn Khaldoun, les Berbères vivaient en parfaite harmonie avec les Juifs. La Kahina et les Berbères professaient même le Judaïsme. La reine berbère réussit à unifier toutes les populations de Numidie, pour s’opposer 3 ans durant à l’invasion des Arabes. Autant dire qu’il y a eu un véritable brassage des populations berbères et juives, que les juifs ont été le premier peuple a cohabiter en bonne entente avec les Berbères. C’est avec l’arrivée des musulmans puis des Turcs plus tard que les choses vont changer pour tout le monde. Un maximum de droits pour les musulmans, pour les autres, dont les juifs particulièrement, ils devaient payer un impôt (Jizya ou dhimm) pour bénéficier de certains droits : continuer à exercer sa propre religion, protection et sécurité (droit à la vie), qu’ils devaient à chaque fois racheter. On attribua ainsi aux non-musulmans un statut particulier, celui de Dhimmi (hôte protégé). Cela s'est passé ainsi avec les Arabes : d’autochtone, les non-musulmans sont devenus hôtes. Les juifs étaient contraints de s’habiller différemment pour être reconnu (signes distinctifs), n’avaient pas le droit de monter à cheval (c’est trop noble pour eux). Ils devaient en outre accepter la domination de l’Islam, le respect des musulmans, et les travaux les plus pénibles leurs étaient confiés. Même si sous l’occupation turque notamment, les Juifs ont subi des discriminations et le mépris des conquérants, comparés à d’autres contrées : Europe, Asie…, ils furent relativement plus respectés et protégés.
Quelques années après l’occupation française (1870), alors que la Kabylie n’était même pas encore entièrement conquise, le décret Crémieux permet aux 34000 Juifs de devenir français. Ils sont passés ainsi de statut de colonisé à celui de colons, et la population française en Algérie s’est considérablement agrandi. En fait, tout ou en partie aurait commencé par ça. Les « indigènes » se sont senti comme trahi par ces gens qu’ils avaient accueillis des siècles plutôt, et qu’ils n’ont jamais chassé. Ils ont traversé les mêmes épreuves des siècles durant, au point où ils auraient pu finir comme un seul et même peuple (Les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Turcs et les Français). Dès lors quand on a voulu traiter quelqu'un de traître, on l’appelait « espèce de juifs !». En 1954, la population juive d’Algérie n’était pas loin des 120 000 âmes. L’appel du 1er novembre de cette année les concernait aussi, puisque le deuxième objectif du document spécifiait bien « Respect des libertés fondamentales, sans distinctions de races et de confessions ». Mieux encore en 1956 lors du congrès de la Soummam, les juifs ont été invités à se joindre à la cause nationale, ce qui prouve qu'ils étaient toujours considérés (malgré tout) comme des algériens. Si des juifs, tels que Jean Daniel et Henri Alleg, ont répondu à l’appel, d’autres par contre ont embrassé en 1961 la cause de l’OAS.
Et pourtant ils n’ont pas, des décennies durant, été épargné. Qu'est ce qu'ils n'ont pas enduré avec les colons et l'armée française ! Alors qu’ils avaient la nationalité française (décret Crémieux), ils n'ont jamais été considérés en tant que tels. Dès 1896 des listes anti-juives firent leur apparition lors des élections et gagnent à Constantine et Oran. En 1898, les antisémites triomphent à Alger. Une ligue anti-juive fut même créée, un certain Régis que la foule d'Alger adulait, incarnait bien cet antisémitisme. Toutes les élections en Algérie finirent par être menées sous le thème de l'antisémitisme. Les juifs étaient alors victimes d'agressions verbales et physiques, parfois molestés de leurs biens et humiliés. Des journaux appelaient même les Français à boycotter les commerces, les avocats, les médecins etc., juifs. Le pouvoir central en France finit par abroger le fameux décret de la discorde en 1940. Il a été rétabli en 1945, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Pour dire que l'antisémitisme n'était pas l'apanage des autochtones, même si les Juifs s'étaient ralliés à la France.
En 1962, la majorité des juifs a choisi de suivre les Français et de quitter l’Algérie. Ceux qui sont restés n’ont jamais eu de problèmes, à ce jour. C'est à partir de 1967, surtout, avec la guerre des 7 jours entre les Arabes et les juifs, que commença à s’installer en Algérie et par la suite entretenue un certain antisémitisme. Cet antisémitisme d'Etat avant tout, incarné par Boumediene, a été savamment transmis au peuple. Le but était de renforcer le sentiment d'appartenance des algériens à la « Nation Arabe ». Pour le pouvoir en place et à ce jour, ne pas soutenir les Arabes contre Israël c’est se renier, s’exclure de la sphère arabo-musulmane. Tout se fait depuis dans cette logique : l’Algérie est un pays arabo-musulman, ainsi soit-il, décidé en dépit de l’histoire millénaire de ce pays. Donc toute guerre impliquant un pays Arabe est considérée comme sienne.
Après la débâcle de 1967 où des maquisards algériens fraîchement sortis d’une longue guerre de libération, ont été envoyés. Boumediene est allé plus loin. Au nom du « nif » (honneur) arabe, il a financé l’armement russe fourni aux Égyptiens, et a envoyé des algériens, dont des appelés, combattre en 1973 aux côtés de « leurs frères égyptiens ». Brejnev aurait dit à Boumediene qui voulait offrir des armes et des avions aux Egyptiens: « D’accord camarade président, mais quand l’armée égyptienne aura envie de se battre » Il a tout fait pour le dissuader mais Boumediene aurait répliqué : « Je ne peux tout de même pas laisser tomber mes frères Arabes ! » ( Ils nous le rendent bien aujourd’hui). Cet attachement presque maladif à la cause arabe aurait fait dire à un haut responsable israélien à l'adresse de Boumediene: « Si tu es Arabe que fais-tu en Algérie, et si tu es Berbère que fais-tu au Moyen Orient? » Les médias ont durant ces guerres fait tellement de tapage, qu’on croyait que la guerre était à nos frontières.
Ce harcèlement médiatique a largement contribué à diaboliser les juifs auprès de l'opinion publique algérienne, et cela continue à la moindre occasion, du moins par certains cercles du pouvoir. On a comme le sentiment que le souci ce n'est pas tant les Palestiniens, mais c'est celui d'entretenir cette illusion d'être Arabe. Les agressions israéliennes contre le Liban, Gaza n'ont fait qu'accentuer ce qu'il conviendrait d'appeler le sentiment d'hostilité à l'égard des juifs, nourris par les réactions violentes et intéressées des islamo-conservateurs, et des partisans du panarabisme en général. L'antisémitisme existe bel et bien dans certaines sphères, au sein même du pouvoir. Combien de fois n'avons-nous pas entendu des responsables au sein même de l'État, tenir des propos antisémites? Parler d'antisémitisme au sens propre du mot, dans les larges couches de la société c'est trop dire, du moins foncièrement. Ce sentiment antisémite existe plus chez les jeunes, influencés par les islamistes et les panarabistes qui font sciemment l’amalgame entre Juif et sioniste. Chez les Islamistes sincères, il est plutôt question du problème palestinien, et par la même de Jérusalem ville sainte. Chez d’autres c’est l'appartenance de l’Algérie à une nation arabe (éphémère d’ailleurs), qu'ils défendent par n'importe quel moyen. Ne pas être anti-juifs, c’est pour eux cesser d’être Arabe. Un journal arabophone comme « Ennahar » ne rate aucune occasion pour assimiler les Kabyles aux juifs et aux impies. Il suffit que ceux-ci manifestent le rejet de tout ce qui ne correspond pas à leur identité, les valeurs arabo-islamiques. Que de fois, depuis le 1er soulèvement en Kabylie (déjà en avril 80), le reste de la population (manipulée par les médias), a traité les Kabyles de juifs leurs demandant même de rentrer chez eux en Israël (c'est méconnaître l'histoire). Il est vrai que l’histoire atteste que les Berbères et les juifs venus en Algérie se sont brassés mais où est le mal ? Pourquoi le mal serait cela et non celui du brassage arabe-berbère ? Benjamin Stora écrivait récemment: « Les algériens ont évacué depuis 50 ans leur part juive. Ils sont en train de la redécouvrir ». Et si c’était cela qui faisait paniquer les tenants de l’arabité de l'Algérie? L'histoire finit toujours par refaire surface.
Par Mus