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La fin d’un  Mellah

 

par Omar LAKHDAR

Situé à côté de Bab Doukkala, le Mellah d’Essaouira (Mogador), fut créé dans le courant de l’année 1807, par le sultan Moulay Slimane. La communauté juive préférant souvent vivre groupée en raison des pratiques religieuses (règles du jour du sabbat et du casher, bain de purification dans les maisons…) et au besoin, l’autodéfense en cas de razzias…), y fut logée jusqu’à son départ au courant des années 60. Le mellah de Mogador, avec une surface de 18 600 m2 hébergeait au début de sa construction une population très réduite. Attirés par la prospérité de la ville, des juifs des régions du sud, qui avaient fui les famines, les guerres tribales, les épidémies, s’y étaient pressés, nombreux. Le Makhzen ne crut pas devoir intervenir, comme l'avait déjà fait aux premiers temps de Mogador, pour ralentir cette immigration. Dans le Mellah, à l'avance trop exigu, on se pressait à ne plus savoir où trouver place. La densité atteignait parfois presque 35 ha au 100 m2.

L’origine du mot ‘Mellah’ est restée souvent mal interprétée par les occidentaux et par les Juifs eux-mêmes. Tout d’abord, l’appellation est purement marocaine : elle n’a été signalée, hors du Maroc, qu’à Alger où melahin a désigné jadis un groupement juif. Les quartiers habités par des Juifs dans tout le reste du Maghreb s’appellent harat el-lihud, derb lihoud. L’institution qu’il désigne est aussi purement marocaine : le mellah est, en effet, un organisme politique, crée et conservé par le souverain, alors que les autres groupements juifs du Maghreb paraissent avoir été de simples agglomération formées par les affinités communes de religion et de mœurs et par des fonctions économiques semblables, bijoutiers, changeurs, etc. où les institutions communes sont purement religieuses ou économiques.

Le terme Mellah n'existe pas dans les précieux documents des archives européennes publiés dans les vingt-sept gros volumes des Sources Inédites de l'Histoire du Maroc, ni chez aucun des nombreux voyageurs chrétiens des XVIIè et XVIIIè siècles qui se sont tous intéressés aux Juifs pendant leurs séjours au Maroc.  D'après l'encyclopédie Wikipédia :

" L'origine du mot mellah vient d'une activité réservée à certains juifs Marocains, par laquelle ils mettaient les têtes coupées dans le sel pour pouvoir les conserver le plus longtemps possible et les exposer devant le public, c'étaient surtout les têtes des rebelles qui se révoltaient contre le pouvoir central. Cette activité a vu son apogée à l'époque de Moulay Ismail. "

Bien entendu, cette étymologie macabre est archi-fausse, basée  sur l'homonymie                   ( sel = melh en Arabe) et perd de ce fait son étymologie véritable. On peut aussi citer d'autres exemples dans ce genre, dont l’étymologie est déroutante:

- En lisant une généalogie d’une famille juive de Mogador on attribue l’étymologie de la localité de ‘Oufrane’ à Ephraïm ou au mot arabe ‘ferrane’, qui signifie four, et ce, en souvenir aux martyrs juifs qui furent brûlés par l’illuminé Bou Hallais. Oufrane  se compose du préfixe berbère ‘ ou ‘ désignant ‘ de’ et Ifrane c’est-à-dire originaire de Ifrane.  Ifrane est une expression onomastique qui a persisté depuis longtemps. Il s’agit là du pluriel d’un mot dont la prononciation en dialecte berbère ( Isnagan Sanhaja ) est Ifri.

Pour revenir à l'étymologie du mot ' Mellah', il faut signaler qu'à l'époque de la dynastie des Mérinides, le 1er quartier des Juifs construit à Fès Jdid, fut connu par le quartier des " Ahl Mella" qui signifie tout simplement le quartier ' des Gens de la religion' ou 'des Gens du Livre'. " Al mella’h’ " en Arabe qui d’après l’encyclopédie de l’Islam serait un nom d’origine juive, est le synonyme du mot religion. D’un autre côté, ‘Millah’ en hébreu signifie: circoncision ( הלימתירב= alliance - parole ). La circoncision, rite fondamental dans la religion juive, rappelle l’alliance promise par Dieu à Abraham et après lui, à tout le peuple d’Israël. L’Ancien Testament fait d’Abraham et de sa famille les premiers circoncis. Lorsque Dieu apparaît à Abraham, il lui indique ainsi les termes de son alliance avec le peuple juif :

« Et voici mon alliance qui sera observée entre moi et vous, et ta postérité après toi : que tous vos mâles soient circoncis. Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération. »

Millah ou Mellah est donc un mot d’origine juive et non arabe, utilisé pour la première fois par les Juifs. Il peut désigner ‘les gens du Livre’ pour les Musulmans ou les ‘alliés d’Abraham’ pour les Juifs, ce qui revient au même. Le premier Européen qui, s'est servi du mot Millah " הלימ" est Jackson qui a écrit son ouvrage sur le Maroc en 1809. Peut-être c’est le début de la confusion !

Les étymologies fausses citées ci-dessus, qui occultent le côté linguistique et historique du Maroc, dénaturent malheureusement la réalité des choses. De telles informations erronées peuvent heurter la sensibilité des nombreuses générations juives dont les ancêtres avaient vécu au Maroc! A Mogador, Juifs comme Musulmans n’oublieront jamais l’axiome populaire qui dit : “ Nass dyal El Mellah kolloum mlah”

(Les gens du Mellah sont tous des gens bien)

Actuellement, le Mellah de Mogador vit ses derniers moments. Dans le temps, des terrasses de ses maisons, on pouvait voir une mer toujours tumultueuse, avec les longues vagues vertes de l'Atlantique qui déferlent, tonnantes et frangées d'écumes blanches et se brisant au loin, envoyant vers le ciel un haut panache vertical de gouttelettes d'eau d'écume et de bruit. Aujourd’hui, toute la partie du Mellah collée aux remparts a été complètement rasée. La partie d’en face, partiellement démolie, a résisté encore quelque temps avant qu’elle soit mise à terre à son tour au courant de ce mois-ci. L’ancienne demeure, du capitaine du port du temps du sultan Moulay Slimane, Chalom Abitbol, dite Dar Lcaptan,  (Dar Ya’coub La’raj) qui tenait difficilement sur ses colonnes, disparut à jamais dans les décombres.

 

 

            La plupart des Juifs de Mogador, ville de judéité affirmée, murs imprégnés d’une atmosphère hébraïque malgré l’abandon et la dispersion, avaient commencé à quitter le Mellah après l’indépendance du Maroc en 1956. Plus de mille Juifs quittèrent la ville après la création de l’Etat d’Israël en 1948. Plus tard, le Mellah se vida de sa population comme un corps de son sang. La plupart de ses habitants choisirent Israël comme destination finale, les autres de souche aisée, semblèrent préférer plutôt Casablanca, la France ou le Canada.

             Les générations présentes ne connaîtront jamais l'animation extraordinaire de jadis de ses rues et ruelles, les bonnes odeurs de la skhina qui se dégageaient des fours publics le samedi ainsi que celles des sauterelles grillées, du maïs cuit à la vapeur qui se préparaient au milieu d'une foule très active! Cette intense activité d’autan, disparut. L'espoir inébranlable de nos compatriotes juifs, l'espoir d'un retour miraculeux vers la terre de leurs ancêtres semble être exaucé! Cet appel messianique pouvait expliquer que leur attente deux fois millénaire ne s’était pas diluée dans l'assimilation. Ils attendaient là, depuis longtemps, depuis toujours, dans un décor provisoire où l'histoire s'était trouvé un taudis. L’attrait de la Terre Sainte n’a jamais cessé de miroiter aux yeux du Juif marocain. Ce mirage avait alimenté de tout temps un courant d’émigration vers la Palestine qui eut comme résultat l’établissement d’importantes communautés marocaines et la fondation de nombreux foyers d’études rabbiniques et mystiques, rendus célèbres à Jérusalem, Safed, Hébron et Tibériade. Ces centres ont fourni bon nombre de rabbins d’origine marocaine aux communautés d’Asie Mineure, de Turquie et de Pays Balkaniques.

             Pour tout Juif, le lieu où il réside ne serait qu’un lieu d’exil en attendant de retourner dans son pays d’origine. Chacune de ses prières journalières mentionne le vœu pour son retour au pays de ses ancêtres où le Messie y est toujours attendu pour sauver le Peuple d’Israël. La construction de leur temple détruit depuis leur émigration sur les côtes marocaines, est restée tatouée dans leur mémoire depuis plus de 2000 ans ! Tout cela est enseigné aux enfants depuis leur jeune âge. Les rabbins sont toujours là pour encadrer les communautés dans le monde entier pour que ces enseignements ne se soient jamais perdus…! 

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