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10 000 JUIFS POURRAIENT QUITTER MARSEILLE

 

 

Faire son alya, c’est l’espérance de tout juif du retour sur la Terre promise, que porte cette formule échangée à la fin des cérémonies de Pessa’h : « L’an prochain à Jérusalem ». Un rêve qu’un nombre croissant de familles françaises est en train de transformer en réalité. Les demandes d’émigration explosent. Ainsi, estime-t-on, dans les institutions de la communauté que 10 000 des 65 000 juifs marseillais pourraient faire leur alya dans les mois et années à venir, pour des motifs qui ne sont pas seulement d’ordre religieux.

 

« La tragédie de Toulouse a ouvert une nouvelle époque. » Les familles vivent depuis l’attentat contre l’école Ozar Hatorah dans la peur, que les mesures de sécurité mises en place dans tous les établissements ne calment pas complètement. Elles comptent les actes d’antisémitisme commis à travers la France. Et la liste s’allonge.« Le climat ambiant n’est pas sain », disent-elles aujourd’hui. A Marseille, l’élection d’élus du Front national à la tête de la mairie du 13/14 n’est pas faite pour rassurer. Ce parti traine derrière lui une cohorte de négationnistes et d’antisémites déclarés. En outre, l’antisionisme manifesté par des militants politiques de certains partis de gauche est aussi vécu comme un antisémitisme dissimulé. Malgré les paroles apaisantes des dirigeants -on se souvient des discours fermes des ministres de l’Intérieur au dîner annuel du CRIF, Claude Guéant puis Manuel Valls, stigmatisant « la haine du juif » et « les prophètes de malheur »- la communauté a continué de s’enfoncer dans le mal être. Désormais, un mot pas forcément bien choisi suffit à alerter: ce candidat aux municipales que nous avions qualifié d’ « israélite » a cru devoir nous rappeler que le terme était le mot préféré de la langue pétainiste; il y a trouvé une forme d’agression.

 

« ILS PENSENT QU’ILS VIVRONT MIEUX »

L’explosion des demandes d’émigration vers Israël (plus de 1 000 personnes ont ouvert un dossierau cours du seul mois de janvier) est donc très liée au sentiment d’insécurité. Il est aussi d’autres causes qui les favorisent. Face à la morosité française, la joie de vivre israélienne séduit les jeunes couples. « Mes deux enfants, une fille de 32 ans et un garçon de 29, ont décidé de partir, explique Martine Yana, la directrice du Centre culturel Edmond-Fleg. Ils pensent qu’ils vivront mieux et que leurs enfants seront plus tranquilles. »Avec ses lieux de vie ouverts toute la nuit, sept jours sur sept, une créativité bouillonnante dans tous les domaines, Tel Aviv apparaît comme un eldorado qui fait saliver des Marseillais souffrant de vivre dans une ville « pépère et ennuyeuse ». On compare facilement la capitale israélienne à Barcelone pour son art de vivre et son sens de la fête. Face à cela,« la France, Marseille y compris, apparaît commeun vieux pays fatigué en train de décliner ».

 

Il faut dire que le gouvernement israélien investit dans la publicité et déroule le tapis rouge aux Français*. Alors que les canaux de l’émigration des diasporas américaine, d’Europe centrale et russe semblent taris, la communauté juive française est clairement ciblée pour fournir cette population nouvelle dont l’Etat a besoin pour entretenir sa croissance. Les aides à l’installation sont importantes pour ceux qui peuvent justifier d’au moins un grand-père juif, avec notamment, en application de la « Loi du retour », un « panier d’intégration » et un stage de six mois d’apprentissage accéléré de l’hébreu. La prise en charge se fait dès la sortie de l’avion et les premiers pas sont guidés individuellement par un fonctionnaire d’Etat.

 

LA LEVÉE DU SECRET BANCAIRE ACCÉLÈRE LES DÉPARTS

Les départs sont facilités par les liens déjà tissés. « Il n’y plus de famille marseillaise qui n’a pas un de ses membres déjà installé en Israël », rapporte encore Martine Yana. Les investissements dans la pierre, un appartement de vacances, ou un placement pour les vieux jours sont courants. Ils sont les piliers d’un pont qu’à tout moment certains vont avoir envie de franchir. Des figures de la société marseillaise, les familles Massiglia, Senior et Bennarouch, ont fait leur alya. Une rumeur prêtait à l’avocat et ancien président du CRIF, Isidore Aragonès, le projet de partir à son tour, mais lui dément.

 

En réalité, les causes économiques semblent désormais dominer dans les raisons stimulant les départs. Les meilleurs éléments peuvent facilement obtenir des bourses pour des études de qualité mais chères. On trouve plus vite qu’ici du travail (début 2014 le taux de chômage est inférieur à 6%). Et le coût de la vie y est moins élevé d’autant que les familles avec beaucoup d’enfants n’ont plus à financer une sécurité qui, en France, coûte un bras, jusqu’à 10% des revenus. Avant de faire leur alya de plus en plus nombreux sont ceux qui choisissent d’aller fêter un événement familial en Israël. « Un mariage princier coûte moins cher à Tel Aviv qu’une fête ordinaire à Marseille », témoignent ceux qui en ont fait l’expérience. Du coup, les traiteurs marseillais se plaignent: les affaires sont à la baisse.

 

Et puis il y a la levée du secret bancaire. Des juifs français possèdent un compte en Israël. Il est exonéré fiscalement. Le secret bancaire était jusqu’à présent respecté, plaçant les détenteurs de comptes à l’abri du fisc français. Mais à partir de cette année, Israël se plie à la législation internationale et les banques sont tenues de déclarer les clients étrangers à leur pays d’origine. Ces nouvelles dispositions favorisent aussi l’acquisition de la nationalité israélienne.

La greffe ne prend pas à tous les coups. Il y aurait, dit-on, 10 % d’échecs et de retours

 

 

* http://www.jewishagency.org/fr/aliyah/program/7656

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