Haïm Korsia, nouveau grand rabbin de France
Haïm Korsia, 51 ans, a été élu dimanche 22 juin grand rabbin de France pour sept ans, au cours d’une assemblée générale du Consistoire central, réunie au Palais des congrès à Paris.
Au deuxième tour de scrutin, l’aumônier général israélite des armées a devancé Olivier Kaufmann, directeur de l’école rabbinique, 47 ans, en rassemblant 131 voix contre 97.
Reconnu pour sa stature intellectuelle, le successeur de Gilles Bernheim se veut porteur d’un judaïsme apaisé et ouvert
Sa candidature au poste de grand rabbin de France lui semblait couler de sources. « Toute ma carrière m’y a préparé » assurait-il au fil de la campagne. Et de fait.
Sa vocation rabbinique, sa solide formation universitaire, son double engagement religieux et républicain seront précieux à Haïm Korsia pour assumer la fonction de grand rabbin de France dans une période à bien des égards difficile, alors que les juifs de France se sentent vulnérables et incompris tant dans leurs pratiques que dans leurs questionnements et leurs doutes
Sa vocation rabbinique est particulièrement précoce. Né en 1963 à Lyon, entré au séminaire israélite de France à Paris à 15 ans avant son baccalauréat qu’il a passé par correspondance, Haïm Korsia connaît bien les communautés de province.
Avant de devenir en 2007 aumônier général des armées, il a assuré les fonctions de rabbin pour les fêtes dès l’âge de 17 ans à la synagogue du Mans, et été durant 13 ans le rabbin de la communauté de Reims, où il a été nommé en 1987.
Il a par ailleurs travaillé aux côtés des deux précédents grands rabbins de France, Joseph Sitruk, pendant sept ans, puis Gilles Bernheim, ce qui lui a permis, dit-il, « d’avoir pleinement conscience de l’importance des missions du grand rabbin de France et du poids de la fonction ». Il a par ailleurs le titre de grand rabbin depuis 2008.
BARDÉ DE DIPLÔMES
Sa formation universitaire est impressionnante. Après avoir suivi un cursus universitaire d’études et de recherches sur les questions militaires et géostratégiques, Haïm Korsia a intégré l’Institut des Hautes études de la sécurité intérieure, puis le centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie moderne dont il est sorti diplômé après avoir soutenu un mémoire sur « les groupes religieux juifs en Israël et le processus de paix ».
Il est en outre titulaire d’un MBA de la Reims management school, où il a présenté un mémoire dédié à la conception d‘une stratégie de développement pour le rabbinat français, d’un DEA de l’école pratique des Hautes études et d’un doctorat en histoire contemporaine consacré à la vie du grand rabbin Kaplan, dans lequel il souligne l’attachement de cette figure tutélaire du judaïsme français à concilier deux espérances, celle de la bible et celle de la République.
« LA FORCE DE L’ENGAGEMENT DES MILITAIRES »
Son engagement religieux et républicain s’illustre d’abord par son lien avec l’armée où « la force de l’engagement des militaires » l’a séduit dès son service national en 1986. Dans ce domaine, une figure d’aumônier l’a particulièrement marqué : celle du grand rabbin Abraham Bloch, aumônier israélite et infirmier brancardier volontaire, tué le 29 août 1914 par un éclat d’obus sur le front des Vosges en rapportant un crucifix à un soldat catholique mourant.
Mais son double engagement s’exprime aussi en de nombreux autres lieux comme l’école Polytechnique dont il est devenu aumônier en 2005, mettant ses pas dans ceux du grand rabbin Chouchena, « pétri de culture générale et de savoir biblique et porteur d’un judaïsme ouvert », qui demeure sa référence et son maître.
Mais aussi l’Institut supérieur de management public et politique où il anime un séminaire d’éthique, sans parler de toutes les instances où il s’efforce de faire entendre la voix juive, comme le Comité consultatif national d’éthique dont il a été membre de 2005 à 2009.
RÉTABLIR DES LIENS DE CONFIANCE DANS LA COMMUNAUTÉ
Son programme ? Haïm Korsia le résume en un mot : l’unité, « la première chose que Dieu demande à l’homme », sujet qu’il a largement développé il y a une semaine à la synagogue Élie Dray dans le 8e arrondissement de Paris.
Ce soir-là, il a notamment rappelé que, dans la Genèse, Caïn a tué Abel lorsqu’ils ont arrêté de parler, manière de montrer que tant qu’il y a débat, même houleux, il y a possibilité de « refraternisation ». Sa priorité sera donc de retisser des liens de confiance entre les différentes composantes de la communauté – mais aussi entre la communauté et les institutions, afin de lutter contre l’isolement qui la menace.
Père de trois enfants qu’il a eu avec son épouse Stéphanie, elle-même mère de deux enfants d’un premier mariage, qui anime depuis quatre ans un office au cœur de la maison Moadon (centre communautaire à Paris 17e) où chacun participe à l’office, à la lecture de la Torah et aux commentaires, Haïm Korsia se veut porteur d’un judaïsme apaisé et ouvert.
VALORISER LA RECHERCHE
Celui-ci passe à ses yeux notamment par la revalorisation de la formation rabbinique et la création d’un pôle de recherche, l’amélioration des conditions d’accueil et d’écoute dans les synagogues et les institutions.
En ce qui concerne la place des femmes, il entend harmoniser des cérémonies de Bat Mitva (l’équivalent de la communion) et mettre en place un cursus d’étude pour les jeunes filles. Quant aux agounot, ces femmes qui restent « liées » à leur époux qui refuse de leur accorder le guet (l’acte de divorce), il prévoit de s’appuyer sur les décisions du rabbinat européen prises à Berlin en novembre 2013 qui permettent aux femmes d’être moins démunies dans les situations inadmissibles où l’époux refuse d’accorder le guet aux femmes divorcées civilement.
Il propose en outre de créer un double poste de médiateur assuré par un homme et une femme rattachés au grand rabbin de France et au président du consistoire, pour les personnes qui s’estiment mal comprises ou mal reçues.
L’ÉVIDENCE DU DIALOGUE
Habitué à jouer le rôle de « passeur », cet homme au carnet d’adresses bien fourni considère que son rôle sera aussi de continuer à « parler à l’ensemble de la société », à des mondes aussi diversifiés que l’université, l’entreprise, la presse, le monde politique et associatif, en portant « une parole de Torah compréhensible par tous » et en défendant les valeurs du judaïsme.
Il entend également faire entendre la voix du rabbinat au sein de la Conférence des responsables de cultes en France (CRCF). Le dialogue avec les autres religions est pour lui une évidence et une nécessité.
Il aime rappeler qu’en 1996, alors qu’il était rabbin de Reims, il avait écrit à Jean-Paul II avant sa venue pour le 1500e anniversaire du baptême de Clovis pour lui rappeler qu’il arriverait dans un pays pluriel, la veille de Kippour, et lui suggérer de souhaiter bonne fête et bon jeûne aux Juifs et dire que leur prière est importante pour vous. Ce que le pape avait fait…
Martine de Sauto