Histoire de l’immigration juive au Canada
L’histoire des juifs au Québec remonte à l’époque de la conquête britannique qui s’est concrétisée à la suite de la bataille sanglante des plaines d’Abraham. Deux juifs de renom ont été mêlés à ce conflit. Le premier, Abraham Gradis, résidait à Bordeaux et n’a jamais mis les pieds au Québec. En 1627, il a été stipulé dans la charte de la Compagnie de la Nouvelle-France que la colonie ne devait être peuplée que par des catholiques d’origine française. Dans l’édit de Nantes, Louis XIV réitérait cette politique et proclamait que ni les juifs ni les huguenots ne pouvaient s’établir dans les nouvelles colonies.1
Cependant, la famille Gradis, riche propriétaire de navires français, est devenue le lien le plus important entre la France et le Québec car c’étaient les navires d’Abraham Gradis qui fournissaient en grande partie provisions et munitions au général Montcalm et à ses hommes durant le siège de Québec. Ce contact a été maintenu jusqu’en juillet 1759; ce mois-là, une flotte de 20 navires britannique transportant 11 000 hommes a bloqué l’embouchure du Saint-Laurent et barré la route aux vaisseaux de Gradis. Ironie du sort, le commandant en second de cette flotte britannique était un autre juif, Alexander Schomberg, membre de l’état-major du général Wolfe.
Après la défaite de la France sur les plaines d’Abraham, le roi Louis XIV n’a pas oublié l’importante contribution qu’Abraham Gradis avait apportée pendant la guerre.2 Pour le récompenser, Louis XIV a accordé pleins droits et privilèges aux juifs vivant à Bordeaux. Ces droits comprenaient celui de s’établir dans les colonies françaises.
Parmi les nombreux colons juifs de renom qui se sont installés au Québec après la conquête britannique, le plus connu était Aaron Hart. Il aurait été le premier juif à s’établir dans la colonie britannique, en 1760, et il est devenu un membre renommé et aisé de la société québécoise. Parmi ses nombreuses réalisations, il aurait organisé seul le commerce des fourrures à l’établissement de Trois-Rivières, au Québec. Sa réussite a fait de lui le plus riche propriétaire terrien de l’Empire à l’extérieur de la Grande-Bretagne.(3)
Malgré les succès des premiers colons juifs après la conquête, le premier recensement réalisé au Canada, en 1831, indiquait qu’il n’y avait au pays que 107 juifs. Dix ans plus tard, ils n’étaient encore que 154.
Au cours des soixante années suivantes, la première vague d’immigrants juifs a afflué au Canada. Comme bien d’autres Européens, ils fuyaient les guerres interminables, l’indigence et un système de classes rigoureux qui maintenait les gens dans la pauvreté. Ils cherchaient en Amérique du Nord le moyen d’échapper à la misère qui sévissait en Europe. Cette arrivée massive d’immigrants a fait passer la population du Canada de 3,7 millions en 1871 à 5,4 millions en 1901. Au cours de cette période, 15 000 juifs ont immigré au pays.
Même si la plupart des immigrants juifs s’établissaient à Montréal et à Toronto, des juifs étaient présents en 1901 dans 113 collectivités disséminées dans toutes les provinces canadiennes. Dans la grande majorité de ces localités, la population juive comptait moins de 88 personnes. La plupart des juifs venus au Canada étaient des travailleurs non qualifiés, de petits commerçants ou des employés de bureau, et bon nombre n’exerçaient pas de métier en particulier.
La deuxième grande vague d’immigration a déferlé entre 1901 et 1927. Au cours de cette période de vingt-six ans, l’effectif juif est passé de moins de 17 000 à 125 000. Même si les juifs continuaient à se disperser un peu partout au Canada, ils demeuraient concentrés surtout au Québec où leur nombre atteignait 47 977. L’Ontario en comptait 47 798.4 Le Manitoba suivait avec une population de 16 699 juifs. Montréal et Toronto en accueillaient 15 000 chacune. Soixante-dix pour cent des immigrants juifs faisant partie de cette deuxième vague étaient des travailleurs et des ouvriers qualifiés, ce qui n’était le cas que de 20 % de l’ensemble des immigrants.(5)
Comme les immigrants juifs de la première vague, ce deuxième groupe était en général très pauvre. Nombre de juifs étaient attirés par l’industrie du vêtement, et ce, pour plusieurs raisons. Comme il s’agissait d’un travail à la pièce, ils pouvaient l’exercer à la maison, et ils n’étaient pas forcés de travailler le samedi, jour du sabbat. De plus, toute la famille pouvait y contribuer et, souvent, les enfants de treize ou quatorze ans ajoutaient au revenu familial.
L’immigration juive a été interrompue en 1927 lorsque le gouvernement libéral de Mackenzie King a fermé la porte à la plupart des étrangers. Les nouvelles lois sur l’immigration, qui rendaient beaucoup plus difficile l’entrée au Canada, ont surtout affecté les juifs de l’Europe de l’Est, où l’antisémitisme prenait de l’ampleur. Pour la communauté juive déjà établie au Canada, il s’agissait désormais de tenter de sauver parents et amis.(6)
En réaction, les Services canadiens d’assistance aux immigrants juifs (SCAIJ) ont été constitués afin d’essayer de convaincre le gouvernement de permettre aux juifs d’immigrer.
Durant les années 1930, même si on commençait à entendre parler de la situation critique des juifs dans l’Allemagne nazie, le gouvernement de Mackenzie King a refusé d’assouplir les restrictions touchant l’immigration. D’une part, le Canada était plongé dans une crise économique, et d’autre part, le directeur de l’Immigration, F.C. Blair, et le sous-secrétaire d’État, O.D. Skelton, s’opposaient tous deux à ce qu’on admette des réfugiés juifs.
Entre 1933 et 1939, 800 000 juifs européens ont tenté de fuir et de trouver un refuge là où leur vie ne serait plus menacée. L’Argentine en a accueilli 22 000. L’Australie en a admis 10 000 et se préparait à en recevoir 15 000 autres lorsque la guerre a éclaté. Le Brésil en a accueilli 20 000, les États-Unis, 140 000, mais le Canada n’a ouvert ses portes qu’à 4 000 réfugiés juifs.(7)
En 1946, lorsqu’on a commencé à prendre conscience de l’horreur de l’holocauste et du massacre de millions de juifs en Europe, le Canada a rouvert ses portes à l’immigration. Des milliers d’Européens ont été désignés « personnes déplacées » parce qu’ils n’avaient nulle part où aller. La guerre avait anéanti leur existence. Quarante mille survivants des camps nazis ont trouvé refuge au Canada. En 1947, le Canada a élaboré le « Plan de déplacement collectif » qui a permis d’accueillir au pays 1 000 orphelins de guerre juifs. L’État d’Israël, créé en 1948, est bientôt devenu la destination privilégiée des réfugiés juifs. Toutefois, entre 1947 et 1950, le Canada a ouvert ses portes à 98 057 personnes déplacées; parmi celles-ci, seuls les Polonais et les Ukrainiens étaient plus nombreux que les juifs.(8)
Dans les années 1950, nombre de juifs d’Afrique du Nord ont afflué au Canada. Comme ils étaient francophones, ils préféraient s’établir au Québec. On les appelait les juifs « sépharades », c’est-à-dire parlant le français, même si les juifs d’Afrique du Nord n’étaient pas tous francophones. Ainsi, 10 000 juifs d’Afrique du Nord se sont installés au Canada entre 1957 et 1980. De ce nombre, 75 % provenaient du Maroc, et la plupart ont élu domicile à Montréal. En général, les juifs marocains étaient instruits, et ils ont prospéré ici.(9)
La plupart des juifs marocains qui ont immigré au Canada l’ont fait pour des raisons politiques plutôt qu’économiques. Ils sont venus ici à cause de l’incertitude suscitée par le départ des Français et la constitution d’un gouvernement entièrement arabe. De plus, des milliers ont quitté le Maroc après la guerre des Six Jours, en 1967, et, comme Solly Lévy et son épouse Madeleine, ils ont constaté que leur connaissance du français était un atout de taille au Canada, particulièrement au Québec où la plupart se sont établis.