ISRAËL DANS DE LA POLITIQUE DE L'U.E. : LE MODÈLE STRATÉGIQUE GLOBAL
Bat Ye'or
extrait d'un article de Bat Ye'or dans la revue Pardès, n°55, 2014, "Qu'est-ce qu'un acte antisémite?" (éditions In Press).
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Le tableau général que nous avons présenté n’est pas le produit d’une accumulation de hasards et d’événements imprévus. Il résulte d’une stratégie très cohérente dont on peut modéliser les variables. Elle se déploie sur trois théâtres d’opération : une doctrine globale, une politique à l’égard d’Israël, une politique intérieure à l’Europe.
La doctrine “méditerranéenne”
Au lendemain de l’embargo sur le pétrole décrété par la Ligue Arabe, pour faire pression sur les puissances occidentales afin qu’elles contraignent Israël à accepter ses diktats, suite à la guerre de Kippour de 1973, l’Europe du Marché Commun accepta de faire de son engagement contre Israël – une cause panarabe – la cheville ouvrière de son rapprochement avec le monde arabe. Ce rapprochement donna naissance en 1974-1975 à une nouvelle stratégie qui transformait le projet de détruire Israël en lutte pour la reconnaissance d’un peuple palestinien, dont personne n’avait jamais entendu parler auparavant et à commencer par la charte de l’Organisation de la Palestine, un peuple que l’Europe protégerait, financerait, et organi- serait en vis-à-vis d’Israël. Autour de ce dogme, se créèrent des rites, des incantations, des Mystères. Quiconque en doutait commettait un sacrilège qui l’excluait de la société civilisée.
La doctrine méditerranéenne repose sur quatre piliers fondamentaux intouchables.
1) L’islam est une religion de paix et de tolérance. Sa civilisation fut la matrice de la pensée, des arts et des sciences d’un Occident plongé dans la barbarie. Juifs et Chrétiens vécurent paisibles et heureux sous la protection de la justice islamique, comme le déclare la Charte du Hamas. Depuis les années 1970 d’innombrables livres célèbrent cette magnifique symbiose sous la loi de la charia dans les empires musulmans. L’hostilité actuelle des musulmans envers eux provient de l’injustice des Croisades, du colonialisme et du sionisme. Cette inter- prétation de l’histoire est enseignée dans les écoles et les universités.
2) Le sionisme constitue le seul obstacle à la réconciliation islamo- chrétienne tant souhaitée. Cependant elle ne pourra se réaliser que lorsque l’Europe aidera l’islam à effacer Israël de la carte. Telle est la condition essentielle assénée aux réunions officieuses euro-arabes et aux dialogues religieux islamo-chrétiens. D’où les nombreuses imprécations rageuses et rancunières de politiciens européens accusant l’État hébreu d’être l’obstacle à la paix et à la réconciliation entre Islam et Chrétienté, en s’accrochant à son misérable bout de terre, provoquant des guerres par son entêtement à survivre.
3) Israël est un mensonge. Il n’a pas d’histoire dans la région. Le patrimoine historique auquel il prétend est celui du « peuple » palestinien qu’il a usurpé comme l’Europe a usurpé la science et la civilisation islamique.
4) Créée officiellement en 1975 par le Quai d’Orsay et la Ligue Arabe, l’existence d’un peuple palestinien caractérisé par des particularités qui le distingueraient de tous les autres Arabes, constitue un postulat sacro-saint. Lui seul peut opérer la réconciliation euro-arabe et islamo- chrétienne tant désirée, par le transfert à la Palestine du patrimoine historique et du droit d’Israël. C’est en effet dans l’évangile de la passion palestinienne et de son martyr par Israël que se construit la diabolisation du peuple juif et de l’État d’Israël, l’obligation morale qui justifie le combat pour le détruire, et selon certains prélats, la rédemption de la Chrétienté. Haine chrétienne et haine musulmane contre Israël s’unissent pour construire la réconciliation et la symbiose euro-arabe par l’apothéose du peuple palestinien. L’attaquer constitue un sacrilège. Rappelons que la Résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies en 1967 ne mentionnait ni la Palestine ni un peuple palestinien et que, précisément pour cette raison, elle fut refusée par les pays de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Cette Résolution ne mentionnait que deux vagues de réfugiés, les réfugiés arabes et les réfugiés juifs. Tout le reste fut construit par le Quai d’Orsay.
Ces quatre piliers furent élaborés par des comités interreligieux, multi- culturels et politiques euro-arabes et islamo-chrétiens. Très vite, ils firent des adeptes dans toute l’Europe et constituèrent dès 1975 une politique officieuse de la Communauté européenne, soutenue par sa Commission et la Ligue arabe. À cette époque des célébrités comme un Massignon, suivi de son disciple Youakim Moubarac, jésuite libanais, mais aussi les anglicans Kenneth Gragg, et l’Arabe palestinien Naïm Stifan Atteek transmuèrent l’antisionisme en Passion palestinienne.
La guerre politique contre Israël
La guerre politique contre Israël constitue l’élément majeur de la politique euroméditerranéenne. Elle devint très active surtout à partir de 1999 avec Javier Solana, qui s’était illustré dans son poste précédent de secrétaire-général de l’Otan (1995-1999) dans la guerre de Yougoslavie par des attaques aériennes intensives sur des cibles militaires et civiles serbes. La politique extérieure présente quatre lignes directrices majeures :
1) Guerre de désinformation et diabolisation d’Israël ;
2) Remplacement d’Israël par la « Palestine laïque et démocratique », termes qui n’ont aucun sens dans l’idéologie jihadiste palestinienne ;
3) Organisation de l’isolement international d’Israël ;
4) Règles imposant la vulnérabilité à Israël (dhimmitude) :
a) neutralisation des défenses d’Israël par l’interdiction de se défendre, au prétexte des victimes collatérales,
b) l’accusation d’être un agresseur alors qu’il est agressé, conforme à l’interprétation jihadiste du non-musulman dont l’existence même est une agression,
c) légitimation du jihad anti-israélien et de sa politique génocidaire,
d) culpabilité d’Israël État-nation,
e) négation du jihad et de la dhimmitude et diffamation de ceux qui en parlent,
f) abandon des Chrétiens vivant dans les pays musulmans comme victimes collatérales de la politique euroméditerranéenne,
g) persécution légale et médiatique des critiques de cette politique, h) création d’un vocabulaire adapté à cette politique.
La politique intérieure européenne
La stratégie du fusionnement des deux rives de la Méditerranée s’accompagna d’une politique intérieure de la Communauté/Union européenne, préconisant :
1) l’immigration portes ouvertes ;
2) la destruction de l’État-nation, de ses garde-fous et institutions démo cratiques ;
3) l’autoflagellation et l’humilité de la dhimmitude qui se traduisent par :
a) le refus de critiquer l’islam,
b) le refus de critiquer le jihad,
c) l’élimination de la dhimmitude comme réalité historique et institu tion nalisée,
d) le refus de comparer le jihad, guerre de colonisation islamique aux guerres coloniales européennes,
e) les restrictions à la liberté d’expression et les lois sur le blasphème de la charia,
f) les modifications des cursus scolaires pour les rendre islamo-compatibles,
g) la diffusion du dogme de la supériorité de la civilisation islamique.
Ces deux dernières conditions ont fait l’objet de multiples réunions des commissions culturelles euro-arabes comme celles du DEA à Venise 1977, du symposium de Hambourg 1983, du Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire européenne, 1991, de la Fondation Anna Lindh 2003, de plaidoyers dithyrambiques de Luis Maria de Puig (8 nov. 2002) à l’Assemblée parlementaire européenne, pour n’en citer que quelques-unes. La politique méditerranéenne et l’entente avec les pays musulmans du sud méditerranéen est une priorité absolue de l’UE. Ce choix est proclamé dans d’innombrables déclarations des gouvernements de l’UE : Déclaration de Barcelone 1995, Stratégie commune du Conseil européen juin 2000, Fondation Anna Lindh, Alliance des civilisations, etc. L’UE qui a versé des milliards dans cette politique et pour créer « le peuple palestinien », gauche et droite confondues, ne peut plus reculer. Elle a inventé un langage, une idéologie, une stratégie, une politique, une culture, diffusées par des réseaux transnationaux et internationaux, le tout à coups de milliards. Elle a construit une réalité virtuelle pour complaire aux exigences de l’OCI, avec des mots qui ne veulent rien dire dans la civilisation de la charia : laïcité, démocratie, paix, droits de l’homme, principes humanitaires régulant le droit de la guerre, respect des civils. Comme les armées mercenaires chrétiennes au service des califes, elle a secondé toutes les campagnes stratégiques du jihad palestinien, entamant sa propre destruction, détruisant les identités historiques et culturelles de ses propres populations, sacrifiées, comme Israël, à sa politique méditerranéenne.
La menace du jihad international en prime
Prise au piège de ses erreurs, l’Europe, avec Obama qu’elle a encensé jusqu’aux nues, a mis au pouvoir, en guise de démocratie, les Frères musulmans. Au nom des droits de l’homme, elle a semé la pagaille et la ruine dans les pays arabes et se réjouit de voir Israël griller au feu d’un fondamentalisme qu’elle a encouragé. Mais voilà, le fondamentalisme est partout, en Europe, aux États-Unis, en Afrique, et les populations européennes se rebiffent. Elles s’efforcent d’éclairer leurs dirigeants et ne comprennent pas qu’ils les ont fourvoyés dans un long tunnel dont ils ne peuvent ni ne veulent plus sortir. Car le califat donne déjà ses ordres à ses troupes dispersées en Europe. Abu Imad Rifai, responsable du Jihad islamique leur adresse ses remer- ciements. Dans un long message publié par le Mouvement de solidarité internationale, section France (ISM France), le 9 août 2014, il les félicite d’être sortis en masse, bravant l’interdit gouvernemental, et d’avoir mani- festé dans les villes françaises pour le Hamas. Le Hamas, rappelons-le, est un autre visage du califat. Les appelant ses frères et ses sœurs et ses véritables alliés, il leur promet au nom du Jihad islamique en Palestine de poursuivre la lutte. Or le Jihad est une guerre universelle contre les non musulmans. Affirmant que les Juifs vécurent en paix et en symbiose dans le monde musulman pendant des centaines d’années, Rifai donne aux Français un programme d’action et les engage à s’unir pour former ensemble un bloc politique important pour modifier les politiques interna- tionales et intérieures de l’UE et de ses États membres.
« Je m’adresse en particulier à vous, enfants de la communauté arabe et musulmane, nous sommes certains que vous pouvez introduire un grand changement dans la politique internationale, en tant que bloc humain important en Europe, et à Paris, vous pouvez, par votre unité, votre patience et votre conscience, vous imposer en tant que force importante dans la politique européenne et montrer au monde que l’islamophobie est une fabrication des gouverne- ments occidentaux qui veulent vous marginaliser et vous isoler du soutien aux questions justes des peuples de notre nation arabo-islamique, et vous isoler de la symbiose humaine et civilisationnelle avec les peuples qui vous entourent, car ces gouvernements craignent que s’écroulent sur leur têtes les temples du mensonge qu’ils ont édifié. Chers frères et sœurs, au nom de mes frères dans le mouvement du Jihad islamique en Palestine, au nom du peuple palestinien, au nom des héros des Brigades al-Quds, d’al-Qassam, d’al Aqsa, d’Abu Ali Mustafa et des Comités et des autres combattants de notre peuple palestinien, notamment dans la bande de Gaza, je vous remercie un à un, pour vos efforts… Nous sommes confiants que nous pouvons ensemble obtenir la victoire. »
Comment l’Union européenne prévoit-elle de remédier à cette situation ? Il faudrait tout d’abord qu’elle consente à la constater.
NOTES
1. Ali Ouertatani, « Les citadelles du lobby proarabe en France », Outre-Terre 4/2004 (no 9), p. 417-421. 2. Jacques Frémeaux, Le monde arabe et la sécurité de la France depuis 1958, Paris : PUF, 1995, p. 280.
ANNEXE
Comment l’Union européenne envisage de (ne pas) lutter contre la menace terroriste : l’origine du « politiquement correct »
Résolution 1605 (2008) adoptée par l’Assemblée de l’Europe, le 15 avril 2008 (13e séance).
Les communautés musulmanes européennes face à l’extrémisme
1. Les attaques à Paris en 1995, à New York en 2001, la vague d’attentats à la bombe qui a, par la suite, frappé Madrid et Istanbul en 2003, et Londres en 2005, de même que d’autres nombreux complots terroristes déjoués sur le sol européen ont mis en évidence l’étendue et la gravité de la menace du terrorisme pratiqué par des individus qui invoquent l’intégrisme islamique comme source d’inspiration. Outre le choc ressenti à la suite de ces attaques, de nombreuses personnes ont été troublées de voir que de jeunes musulmans, qui sont nés et qui ont grandi en Europe, avaient pris part à l’organisation et à l’exécution de ces attentats.
2. L’Assemblée parlementaire met en garde contre toute confusion entre l’islam en tant que religion et l’intégrisme islamique en tant qu’idéologie. L’islam est la deuxième religion en Europe et une composante des sociétés européennes. Dans certains États membres du Conseil de l’Europe, c’est la religion traditionnelle de la majorité de la population ; dans d’autres, c’est la religion de la majorité des immigrés et des citoyens issus de l’immigration, qui représentent une proportion grandissante de la population. L’intégrisme islamique, par contre, est une idéologie extrémiste qui poursuit des objectifs politiques et promeut un modèle de société incompatible avec les valeurs des droits de l’homme et les normes de la démocratie ; dans sa pire forme, l’intégrisme islamique préconise l’usage de la violence pour atteindre son but. …
5. Parallèlement à ces efforts, il appartient aux gouvernements européens en particulier de s’attaquer aux causes qui forment le terreau fertile de l’extrémisme – telles que la pauvreté, la discrimination et l’exclusion sociale – ; de garantir le plein respect de la liberté de pensée, d’expression et de religion, telle qu’énoncée dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), et de contribuer à instaurer un climat de respect de toutes les religions quelles qu’elles soient, ou de l’absence de religion. A cet égard, les États membres du Conseil de l’Europe doivent continuer à être vigilants dans leur action de prévention et de lutte contre le phénomène de l’islamophobie.
6. En outre, les États membres du Conseil de l’Europe devraient prendre une série de mesures concrètes pour permettre aux immigrés et aux citoyens issus de l’immigration, dont les membres de communautés musulmanes, de s’intégrer dans la société grâce à un accès sans discrimination à l’emploi, à l’éducation, à la formation professionnelle, au logement et aux services publics. L’engagement et la participation active des immigrés et des personnes d’origine immigrée dans la société doivent aussi être encouragés et soutenus par l’ensemble de la société, qui doit faire davantage pour s’adapter à la diversité et supprimer les obstacles à l’intégration.
7. De même, comme l’Assemblée l’a déjà recommandé, les gouvernements européens, dans le but de créer une citoyenneté qui soit inclusive et participative, devraient remédier au fait que les immigrés et les citoyens issus de l’immigration n’ont actuellement que des possibilités limitées de participer activement à la vie publique et politique. Sur le long terme, cette situation, due à des obstacles législatifs mais aussi sociaux, ne peut que renforcer les griefs et le sentiment d’injustice d’une partie de la population. …
9.2. à condamner et à combattre l’islamophobie ;
9.3. à agir résolument contre les discours de haine et toutes les autres formes de comportement contraires aux valeurs fondamentales des droits de l’homme et de la démocratie, même lorsque leurs auteurs invoquent des motifs religieux pour tenter de les justifier ; …
9.7.1. en prenant une série de mesures concrètes pour permettre aux immigrés et aux personnes issues de l’immigration de s’intégrer dans la société grâce à un accès équitable et libre de toute discrimination à l’emploi, à l’éducation, à la formation professionnelle, au logement dans des quartiers mixtes, aux services publics et grâce, à terme, à une participation démocratique par le biais de la citoyenneté ; …
9.7.6. en encourageant la participation des personnes issues de l’immigration aux partis politiques, aux syndicats et aux organisations non gouvernementales ; …
9.11. à encourager la tenue d’un débat public et ouvert à tous sur les répercussions que peut avoir leur politique étrangère sur le phénomène de la radicalisation ;
9.12. à encourager des projets informatifs sur la contribution de l’islam aux sociétés occidentales afin de surmonter les stéréotypes le concernant. …
11.4. à promouvoir la transmission des valeurs européennes fondamentales au sein des communautés musulmanes, notamment parmi les jeunes, en mettant l’accent sur leur compatibilité avec la religion musulmane ;
11.5. à veiller à ce que les valeurs européennes fondamentales soient enseignées dans les écoles religieuses musulmanes ; aussi aux modérés ;
11.9. à élaborer des lignes directrices éthiques pour lutter contre l’islamophobie dans les médias et en faveur de la tolérance et de la compréhension culturelles, en collaboration avec les organisations de médias appropriées.