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Être juif en Belgique: notre dossier spécial

 

 

« La peur, cette intolérable réalité. » Par Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef.

 

A mort les Juifs. » L’inscription s’étale sur les murs des toilettes d’une de nos universités. Pas que là, hélas, mais il est révélateur (et honteux) que ce soit dans un des lieux phares de la diffusion du savoir aux jeunes générations, là où la raison et la connaissance devraient dominer, que ce type de graffitis se multiplient et se répètent. Souvent même, d’autres leur répondent, et puis d’autres, et puis d’autres, comme s’il n’y avait pas d’autres moyens ou envies de communiquer que par insultes et menaces anonymes, comme si un mur s’était interposé, empêchant le dialogue, la découverte, la rencontre, voire la confrontation franche entre des jeunes qui, au quotidien en fait, « vivent » ensemble.

Il y a quelques mois, la lecture de ces graffitis indignait, on se disait « c’est horrible », puis on passait à autre chose. On le sait hélas depuis des siècles : ce ne sont pas que des prurits imbéciles, ils sont assassins. Mais en Belgique, en France et tout récemment au Danemark, on est (re)passé des paroles aux actes. A Toulouse, on a tué dans une école juive, à Bruxelles, on a tué dans un Musée juif, à Paris on a tué dans un hypermarché juif, à Copenhague on a tué devant une synagogue. Tué des Juifs. Parce qu’ils étaient juifs.

Les interlocuteurs de notre cahier spécial du Soir ont raison : on a longtemps, dans nos sociétés, refusé de reconnaître la dangerosité des choses. Les dénonciations de l’antisémitisme étaient là, certes, mais c’est la gravité, l’ampleur et la conséquence meurtrière qui ont été sous-estimées. Nous avons fini par trouver « normal » que les écoles ou les lieux culturels juifs soient sous surveillance, sans réaliser ce que signifiait pour des petits garçons et filles d’aller chaque jour à l’école sous la protection des armes, persuadés qu’on en voulait en permanence à leur vie. Parce que Juifs.

Les vidéos diffusées récemment dans lesquelles des Juifs s’interrogeaient sur la possibilité de quitter la Belgique, – vidéos controversées au sein même de la communauté concernée –, ont servi de révélateur tardif : que des Juifs puissent envisager de quitter la Belgique, leur pays, songent à s’exiler, et qu’une partie d’une communauté soit soudain saisie d’une peur qui lui fasse envisager d’aller se « réfugier » en Israël, pose à nos sociétés, un énorme questionnement. Cette crainte de s’exposer, de se dire Juif, de montrer son visage, de donner son nom, nous l’avons très concrètement ressentie lors de la réalisation de ce cahier spécial, dans les hésitations lourdes de nos interlocuteurs, à témoigner à visage découvert de leur vie, de leur rapport à leur communauté, à la croyance, aux musulmans, à Israël.

Noah et Emmanuel, Tal et Géraldine, Raphaël, Nathalie et l’écrivain Alain Berenboom nous permettent aujourd’hui une plongée intime et très révélatrice dans leur vie, leurs interrogations, leurs écartèlements comme Juifs, aujourd’hui, en Belgique et dans un monde radicalisé. Musulmans et Juifs : voilà soudain deux communautés projetées à la une, opposées, stigmatisées, dont certains essayent d’accroître les haines et les antagonismes. Mais qui, comme nous le rappellent nos interlocuteurs, sont projetés dans cette terrifiante confrontation, victimes souvent d’une profonde méconnaissance à leur égard.

Qui sont les Juifs de Belgique ? Quel est leur rapport à la religion juive, à la culture ? Comment vivent-ils ? Quel amalgame fait-on entre le Juif et l’Israélien, quelle est la part du conflit palestino-israélien et de la politique de l’Etat d’Israël dans le rejet du Juif qui refait surface dans nos sociétés ?

Aujourd’hui, des Juifs, qui devraient être des membres aussi ordinaires que les autres de notre société, ont peur. Ce constat d’une nouvelle réalité intolérable ne devrait laisser aucun de nous indifférent : la peur et l’exil des Juifs n’ont jamais annoncé rien de bon pour les pays et les sociétés qu’ils ont voulu, ou dû fuir.

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