5+1 : avis de tempête sur le lac Léman (info # 013003/15)[Analyse]
Par Jean Tsadik © MetulaNewsAgency
Il plane une grande confusion sur ce qui se déroule entre les quatre murs de la salle de négociations de l’hôtel Beau Rivage à Lausanne entre les 5+1 et la délégation iranienne.
Il existe encore, certes, divers différends à résoudre entre les protagonistes. Mais à en croire le journaliste iranien Amir Hossein Motaghi, qui suivait les discussions, qui fut longtemps le principal conseiller du "Président" Hassan Rouhani, et qui vient de demander l’asile politique aux autorités helvétiques, il s’y déroule d’autres évènements fort préoccupants.
D’après Motaghi, qui s’est confié au Telegraph de Londres, le rôle principal des Etats-Unis ne consiste pas à arracher des compromis aux représentants des ayatollahs, mais à persuader les autres membres des 5+1, le Royaume-Uni, la France, la Chine, la Russie et l’Allemagne, d’accepter les revendications perses présentées par Javad Zarif.
Le plus clair du temps, précise Motaghi, les Américains se font les avocats des thèses du régime iranien, poussant leurs alliés à admettre l’accord. Un texte dont la prégnance s’est réduite au fur et à mesure des difficultés, suivant ainsi la dévaluation de son intitulé, étant passé d’ "agrément cadre" à "déclaration de principes", pour n’être plus désormais qu’une "entente diplomatique".
Le Secrétaire d’Etat, John Kerry, se contenterait actuellement d’un document d’un ou deux feuillets qui permettrait la poursuite des rencontres en vue d’un traité ultérieur – qui ne sera vraisemblablement pas finalisé à la date butoir fixée initialement au 30 juin prochain. Ce document a minima se bornerait, par la force des choses, à indiquer les problèmes à résoudre, et, de manière très laconique, la marche à suivre pour en venir à bout.
Dans certaines des autres délégations on craint une nouvelle entourloupe du genre du faux accord non signé de novembre 2013, qui ne consistait, comme la Ména l’avait révélé en exclusivité, qu’en un document de travail non paraphé, privé de toute force contraignante.
Cette fois, il sera toutefois plus difficile pour le Président Obama de brandir devant les caméras un document préparé par ses conseillers et présenté au monde comme le traité signé avec les Téhéranais.
En effet, les membres du Congrès ont désigné le 31 mars courant [demain] comme la date limite pour la signature par l’Administration du pré-accord définitif avec Khamenei. La majorité Républicaine dans les deux chambres, mais aussi un grand nombre de Démocrates, ont déjà annoncé que, s’ils ne voyaient pas, à la fin du mois, un mémo qui les satisfasse, tant au niveau du fond que de la forme, ils envisageraient sérieusement de décider de nouvelles sanctions à l’encontre de la théocratie chiite. Cette décision mettrait probablement un terme aux tentatives de Messieurs Obama et Kerry de résoudre le problème du nucléaire persan par la voie diplomatique.
La Maison Blanche s’est elle aussi exprimée à ce sujet, avertissant qu’elle imposerait son veto à l’adoption de telles sanctions. Cependant, elle ne pourra le faire que si elles sont votées par moins des trois quarts des représentants et des sénateurs.
Or le nombre des parlementaires indécis qui se détermineront dans un sens ou dans l’autre, dépendra, dans une large mesure, de ce que l’Administration va leur présenter. Un brouillon bâclé ne résolvant pas leurs principales inquiétudes, ou un constat d’échec mal documenté par le gouvernement, mettraient M. Obama dans une situation très délicate.
Cela explique le forcing entrepris par John Kerry en Romandie pour arrondir les angles avec Zarif, qu’il a déjà rencontré huit fois cette semaine, mais aussi pour inviter ses alliés à la souplesse, voire à la complaisance.
Pourtant, tous ne sont pas prêts à se montrer débonnaires en acceptant n’importe quoi. C’est d’abord le cas de la France, suivie du Royaume-Uni et de l’Allemagne. C’est Paris qui se montre le plus circonspect ; non que les Français soient tenaillés par l’inquiétude d’entériner un accord qui mettrait, outre Israël, l’Europe sous la menace des ogives nucléaires khomeynistes, mais parce que les bailleurs de fonds qui maintiennent la France en respiration artificielle – l’Arabie Saoudite et les Emirats du Golfe – font pression sur elle.
Fait extrêmement inhabituel, Riad a béni le récent voyage sur les bords de Seine du ministre israélien du Renseignement stratégique, Youval Steinitz, venu expliquer à Laurent Fabius, au nom de tous les détracteurs du compromis avec Téhéran, les points sur lesquels il ne fallait en aucun cas céder à Obama et à Khamenei.
La réaction des Arabes est des plus compréhensibles, lorsque l’on sait qu’ils affrontent indirectement les Iraniens dans la campagne qu’ils mènent contre les chiites au Yémen. Ils voient aussi les Pasdaran s’incruster dans la Guerre Civile Irakienne, paralyser le Liban, s’approcher du royaume hachémite et s’instiller sur le Golan face à Israël. Et ils constatent que ça n’a absolument pas l’air de déranger Barack Obama, qui réserve les missiles de ses avions aux seuls sunnites partout où ils interviennent. Quant aux images que nous avons diffusées du Hezbollah chiite libanais guerroyant en Syrie sur du matériel américain à peine sorti des cartons, elles font sauter les Arabes au plafond.
L’Iran tente militairement de bâtir un empire dans tout le Moyen Orient. L’Amérique d’Obama coopère avec lui en Irak et en Syrie, tout en s’efforçant, à n’importe quel prix, de signer un accord trismégiste avec Téhéran, qui lui permettra : 1. de construire légalement des bombes atomiques dans dix ans et de se préparer à le faire en attendant ; 2. de récupérer des milliards de dollars et de redresser son économie ; 3. de réintégrer les travées de la communauté internationale, de reprendre le commerce des armes et de concurrencer les pays arabes sur le marché pétrolier.
Pour ces raisons, les créanciers de la France lui demandent de ne pas se contenter d’un accord privant la junte cléricale chiite de l’accès à la Bombe durant 10 ans, comme Washington est prêt à l’accepter, mais d’exiger que la durée de l’agrément soit de 20 ans à tout le moins.
Autre objection arabo-israélienne soutenue par le Quai d’Orsay : l’obligation sine qua non de voir les Perses accepter contractuellement des inspections inopinées par les inspecteurs de l’AIEA des sites de leur choix. Cette condition s’ajoute à celle de l’installation de caméras de surveillance émettant en direct et 24h sur 24h dans les installations jugées à risque, et à l’obligation, pour le régime de Téhéran, d’adopter et de respecter le Protocole Additionnel du Traité de Non-prolifération Nucléaire. Jusqu’à ce mardi matin, les ayatollahs s’opposaient au principe des visites surprises.
Toujours au chapitre des visites des commissaires : la France, les Arabes et Israël exigent que les Iraniens permettent enfin aux inspecteurs de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique de visiter des sites militaires iraniens dont ils sont tenus à l’écart, en particulier, celui de Perchin.
L’AEIA suspecte fortement que les Perses s’y soient livrés à des séries de tests, au début des années 2000, liés à la production d’armes atomiques.
Cette exigence est peut-être la plus cruciale de toutes, puisque Téhéran persiste à affirmer n’avoir jamais entretenu de programme nucléaire à finalité militaire ; au cas où les inspecteurs trouveraient sur ces emplacements les traces qu’ils sont convaincus qu’ils trouveraient, le mensonge iranien serait mis à nu, ce qui remettrait en question l’ensemble de la coopération avec les ayatollahs et accentuerait de façon dramatique les revendications de la communauté internationale.
Ce n’est toutefois pas l’avis des Etats-Unis, qui tentent de persuader les Européens de se concentrer sur l’avenir et d’oublier les tests qui ont eu lieu dans le passé.
Des divergences persistent également quant à la levée des sanctions qui sont de trois types : les avoirs encore bloqués dans les banques occidentales, l’interdiction de commercer avec les banques iraniennes et d’acheter du pétrole perse, et la levée des sanctions à l’ONU.
Les 5+1 continuent à proposer une levée graduelle, simultanée à l’obtention des évidences démontrant que Téhéran respecte sa part d’engagements, alors que les ayatollahs, dont la situation économique est critique, campent sur une annulation immédiate des sanctions du Conseil de Sécurité et des entraves commerciales.
La France, les Arabes et Israël s’opposent également avec fermeté à la poursuite par les chiites des activités de recherche et de développement, particulièrement à la mise au point de nouvelles centrifugeuses. Pour ces pays, si ces occupations se poursuivaient pendant la durée de l’accord, le breakout time menant à la capacité atomique à l’issue de celui-ci ne serait que de trois à quatre mois.
Les négociations de Lausanne ont avancé dans les autres domaines en suspens, notamment le nombre de centrifugeuses que la théocratie serait autorisée à maintenir en opération. Elles se chiffrent à 6 000, alors que la demande initiale des grandes puissances se limitait à quelques centaines. De plus, Téhéran n’aurait aucune obligation de détruire les autres centrifugeuses qu’il possède, ce qui génère la colère et l’incompréhension des Israéliens, sur les thèmes : mais que va-t-il bien faire avec autant de minerai enrichi dont il n’a aucun usage, et pourquoi conserver 19 000 centrifugeuses si l’on ne compte pas confectionner des bombes atomiques ?
La "République" Islamique entrepose déjà quelques huit tonnes d’uranium enrichi entre 3,5 et 5 pour cent ; de quoi, si le processus de purification se poursuivait à 90 % et au-delà, assembler cinq ou six bombes.
Les interrogations légitimes de Jérusalem demeurent sans réponses, ce qui ne semble pas non plus inquiéter la Maison Blanche. Jusqu’à hier, celle-ci se rassurait en rappelant que Zarif avait donné son accord pour transférer la plus grande partie de ses stocks en Russie et recevoir du carburant nucléaire en barres (inutilisable pour faire des bombes) afin de faire tourner sa centrale de Bushehr.
Quel est le rationnel, pour un pays ruiné, de fabriquer et d’exporter du matériel inutile à coups de centaines de millions de dollars ? Ce qui n’est pas raisonnable est suspect, dit-on à Métula…
Aujourd’hui, du reste, Zarif a retiré la proposition d’envoyer ces matières en Russie. Il sait parfaitement que l’Amérique veut si désespérément un accord qu’elle acceptera presque certainement cette rupture fondamentale de l’équilibre des négociations.
Les interrogations concernent aussi le réacteur à eau lourde en construction à Arak. Khamenei aurait accepté de modifier son architecture afin qu’il ne produise plus que des quantités négligeables de plutonium, avec lequel on peut également confectionner des bombes atomiques.
Mais si quelqu’un connaît la raison pour laquelle l’Iran a besoin d’un réacteur à eau lourde, à part pour fabriquer des armes atomiques, qu’il parle maintenant ou qu’il se taise à jamais. Il mérite assurément un Prix Nobel.
Tant de questions cruciales, d’intérêts divergents et de flou artistique entourent les négociations de Lausanne. On y voit les Etats-Unis dans un rôle inédit, suivant des orientations stratégiques improbables, abandonnant leurs alliés moyen-orientaux pour signer à tout prix et jusqu’à demain un traité qui ne fait l’affaire de personne. Et certainement pas la leur.
C’est une situation étrange, ingérable, presque infantile, dans laquelle on se demande bien ce que pensent les 4+1 en regardant John Kerry gesticuler et se ridiculiser de manière désordonnée devant les Iraniens. Une situation qui permet à Binyamin Netanyahu d’évoquer un axe Iran-Lausanne-Yémen. Dans les salons de l’hôtel Beau Rivage, les négociateurs sont effectivement assis sur une bombe. On se demande, sur notre rocher, comment Barack Obama va s’en sortir. Et jusqu’où ses alliés le suivront dans son délire ? Réponse à partir de demain : on est au comble de l’attente et de notre curiosité.