Ecoles juives: Partir ou rester, le dilemme des parents après les attentats
Le gouvernement français, qui se veut rassurant, promet 3 Mds d'euros à la protection des lieux juifs en 2015
Depuis des mois, ils accompagnent leurs enfants sous l'oeil de soldats en armes: beaucoup de parents se sentent rassurés par cette présence devant les écoles juives mais d'autres angoissent, optant pour le départ, en particulier en Israël, par crainte d'attentats.
Début d'après-midi à l'école Lucien-de-Hirsch, dans le nord-est de Paris. C'est l'heure de la sortie pour les élèves de la plus ancienne école juive de France. S'engouffrant dans l'établissement gardé par des militaires, des parents cherchent leurs petits et repartent rapidement. Dans la rue, plots et barrières métalliques tiennent les voitures à distance.
"Ce n'est vraiment pas normal d'aller à l'école et de voir des soldats avec des mitraillettes", soupire Sandra Azoulay, mère de deux enfants de 12 et 8 ans. Après les attentats de janvier contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo et dans un supermarché casher, son fils n'a pas voulu aller à l'école pendant quatre jours. "Il me disait +Ils vont venir en moto, il va y avoir un attentat+".
Très vite, des soldats ont été déployés aux abords de l'établissement. Si leurs armes ont d'abord "choqué" ses enfants, aujourd'hui ces hommes en treillis font partie du paysage.
"On a appris à se connaître. Les enfants les regardent avec admiration et sont contents de les voir", assure Yaël Cohen-Solal, présidente de l'association de parents d'élèves. Mais "on a du mal à imaginer qu'un jour, ils partiront".
Plus en sécurité dans le public?
Si le gouvernement se veut rassurant, promettant de consacrer 3 millions d'euros à la protection des lieux juifs en 2015, beaucoup de parents s'interrogent sur l'avenir.
Comme d'autres, Sandra Azoulay se dit que "malheureusement, ça ne peut pas durer, car ça coûte beaucoup d'argent à l'Etat". "On s'inquiète. L'antisémitisme grandit à toute vitesse", témoigne Esther, mère de quatre enfants, "la prunelle de (s)es yeux". Qui, pour elle, sont aussi bien dans le privé juif: "L'école publique, je me dis que les élèves ne sont pas plus en sécurité, dans certains quartiers".
Mais certains parents renoncent à l'enseignement confessionnel. "L'an dernier, vingt familles, soit une cinquantaine d'élèves de Lucien-de-Hirsch, ont quitté l'école pour partir en Israël. Il y en aura au moins autant cette année, c'est certain", anticipe Paul Fitoussi, chef de cet établissement de 1.200 élèves de la maternelle à la terminale. Il note toutefois que des arrivées ont compensé ces départs.
Pour Patrick Petit-Ohayon, directeur de l'Action scolaire au Fonds social juif unifié (FSJU), "le tournant a vraiment été pris avec le drame de Toulouse", lorsque Mohamed Merah a tué trois enfants et le père de deux d'entre eux à l'école juive Ozar Hatorah, le 19 mars 2012.
Des parents se sont dit "soit je quitte la France pour aller à l'étranger, Etats-Unis, Canada... Soit je quitte l'établissement juif pour le public ou le privé non juif car ils avaient le sentiment qu'être dans une école juive, c'est être une cible".
Sur les 32.000 élèves scolarisés dans environ 280 structures juives, Patrick Petit-Ohayon a compté à la rentrée 2014 "un millier d'élèves en moins, remplacés par un millier venant du public ou du privé" catholique.
A Toulouse, "depuis les attentats de janvier, nous avons comptabilisé 200 certificats de judaïcité, qui permettent de bénéficier de la +loi du retour+ en Israël, alors qu'il y en avait une centaine l'année dernière sur la même période. Pour nous c'est incroyable. Ce sont parmi les gens les plus actifs dans la communauté qui partent", s'alarme Nicole Yardeni, présidente du Crif Midi-Pyrénées.
Parents protecteurs
"Mais le mouvement ne se fait pas que dans un sens, les choses sont complexes. En février, les journées portes ouvertes des écoles juives ont montré que beaucoup de familles souhaitaient y inscrire leurs enfants, animés par la volonté de conserver une tradition juive", nuance-t-elle.
Pour la rentrée 2015, "il y a quand même un grand point d'interrogation. On est moins confiants sur le remplacement" des élèves partis, juge Patrick Petit-Ohayon.
"Ces départs pas entièrement compensés, à la longue c'est inquiétant", commente Yossef Matusof, directeur de l'école juive Gan Rachi de Toulouse. S'il "regrette profondément" qu'un tel niveau de sécurité soit désormais la norme, il juge que "la décision a été bien prise", face aux risques d'attaques. Aux parents il répète qu'il ne faut pas "céder à la panique, ce serait céder aux terroristes".
Parmi eux, certains n'hésitent plus à s'impliquer, endossant le rôle de "parents protecteurs", un dispositif mis en place par le FSJU. Bénévoles, ces vigies ont été formées par le Service de protection de la communauté juive (SPCJ), organisme communautaire qui oeuvre en lien avec le ministère de l'Intérieur. Leur mission: surveiller les allées et venues, veiller à ce qu'il n'y ait pas d'attroupement, signaler les comportements ou objets suspects.
A Lucien-de-Hirsch, "il y a plus de 60 ou 80 parents qui tournent", estime Sandra Azoulay, expliquant que ces volontaires sont formés au krav maga, discipline d'autodéfense israélienne.
Responsable des parents d'élèves d'Ohr Torah (anciennement Ozar Hatorah), Pierre Lasry "connaît beaucoup de mères, très sympas, qui mettent des gilets pare-balles et font de la surveillance aux heures d'arrivée et de sortie" des classes. "Moins flippé" que d'autres, il trouve quand même que la situation "finit par être pesante".
"J'aimerais qu'on foute la paix aux enfants une bonne fois pour toutes, qu'on puisse dormir sur nos deux oreilles".