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Israël et le problème des Druzes de Syrie(info # 011506/15)[Analyse]

Par Stéphane Juffa © MetulaNewsAgency

 

 A la suite des victoires remportées par le "Front du Sud" de la rébellion syrienne, la semaine dernière, dans la partie méridionale du pays, le Djébel Druze – la montagne sur laquelle se concentrent 450 000 des 700 000 Druzes de Syrie – se trouve directement menacé.

 

Après la prise par l’insurrection de la base de la Brigade 52 ainsi que de l’aéroport militaire Al Thaala (voir la carte), à la limite entre les provinces de Deraa, aux mains de la rébellion, et celle de Soueïda, théoriquement contrôlée par le régime, la ville de Soueïda et tout le Djébel (montagne) se trouvent désormais à portée de canon des opposants à Bachar al Assad.

 

Le problème réside en cela que si la communauté druze n’a, en principe, rien à craindre de l’Armée Syrienne Libre (ASL), les Druzes sont en revanche les ennemis jurés d’al Nosra (al Qaëda en Syrie) et des multiples formations salafistes qui combattent dans les rangs du Front du Sud.

 

Ces sunnites extrémistes haïssent les Druzes pour deux raisons principales. Premièrement, parce qu’ils considèrent que leur religion participe d’une déviance de l’islam, et, qu’à leurs yeux, ce fait justifie leur éradication. Deuxièmement, les Druzes syriens sont restés relativement proches de la dictature alaouite, conscients que sa chute mettrait leur survie en péril.

 

La semaine dernière, beaucoup plus au Nord, l’autre grande composante sunnite de la Guerre Civile, DAESH, a massacré 23 Druzes, femmes et enfants compris, dans le village de Qualb Lozé, à l’orée du réduit alaouite de Lattaquié.

 

Or si, dans la région, on considère généralement la perte de sunnites, de chiites, de Kurdes et de chrétiens comme un aléa dramatique, mais inévitable, du conflit, il n’en va pas du tout de même pour la communauté druze.

 

D’abord, parce que celle-ci est extrêmement soudée et que les membres de la communauté vivant au Liban et en Israël sont extrêmement préoccupés par le sort de leurs frères syriens ; ensuite, parce qu’en Israël, la minorité druze constitue, depuis la déclaration de l’indépendance de l’Etat hébreu, en 1948, l’un des piliers indissociables d’Israël.

 

Les Druzes israéliens, au nombre d’environ 130 000, forment notamment une partie prépondérante de Tsahal, l’Armée de Défense d’Israël.

 

Dans ces conditions, il est absolument exclu que l’exécutif de Jérusalem, ainsi que l’état-major de son Armée, se désintéressent des dangers menacant la population du Djébel Druze.

 

Une délégation d’officiers druzes de Tsahal est d’ailleurs venue s’entretenir de la situation avec Binyamin Netanyahu, dans la soirée de samedi dernier.

 

Et le vice-ministre israélien de la Coopération Régionale, Ayoub Kara, un député druze du Likoud, a également rencontré le 1er ministre afin de le sensibiliser au sort de ses frères de l’Est.

 

Kara a ouvertement critiqué les propos tenus vendredi par le chef de la communauté druze libanaise, Walid Joumblatt, qui avait déclaré, que "la population druze syrienne n’avait pas l’intention de réclamer l’assistance d’Israël". Joumblatt d’ajouter : "Nous n’avons pas besoin d’Assad ou d’Israël, car ces deux camps s’expriment dans des termes sectaires, qui ne font que perpétuer le sectarisme qui divise le pays (la Syrie)".

 

Joumblatt s’oppose au régime alaouite dans la Guerre Civile syrienne ; son père, Kamal, a été assassiné par les Syriens, ce qui ne l’avait pas empêché de participer à la Guerre Civile libanaise aux côtés de la famille al Assad. Pour Joumblatt, "l’avenir des Druzes de Syrie se situe au sein d’un accord politique interne qui garantirait leur sécurité, de même que l’instauration d’un nouvel Etat aux institutions stables, après l’établissement d’un gouvernement de transition". Pour ce leader libanais, la destinée des Druzes en Syrie fait partie de celle du peuple syrien et ne devrait pas donner lieu à une discussion séparée.

 

En théorie, les propos de Monsieur Joumblatt ont un sens, mais dans le tumulte de la guerre civile qui ravage actuellement l’Etat voisin, de par sa sauvagerie et les menaces urgentes qu’elle fait peser sur les civils, ses paroles sont interprétées par les autres Druzes comme un signal d’abandon des frères syriens à leur sort.

 

Ayoub Kara n’a pas du tout apprécié cette prise de position et l’a commentée en affirmant que Joumblatt avait l’option d’envoyer des troupes en Syrie, puisque la frontière libano-syrienne était ouverte, mais, qu’en Israël, nous ne pouvions pas faire cela. Kara a souligné en outre qu’ "en ce moment, il est grandement préférable d’agir plutôt que de se contenter de palabrer [comme le fait Walid Joumblatt].

 

Le gouvernement israélien a très rapidement réagi sur le plan diplomatique, en interpellant le chef suprême des Armées américaines, le général Dempsey, qui était en visite en Israël.

 

Le 1er ministre et les officiers supérieurs israéliens ont suggéré au général Dempsey d’agir de deux façons : d’abord en renforçant les Druzes du Djébel en leur envoyant des équipements militaires à partir de la Jordanie, où l’Armée US maintient un contingent, et qui jouxte immédiatement la province de Soueïda.

 

L’exécutif hébreu aurait également demandé au général yankee de faire pression sur l’Arabie Saoudite, la Jordanie, les Etats du Golfe, et la Turquie, grâce à l’appui desquels le Front du Sud est parvenu à s’imposer militairement dans la province de Deraa. Le message convoyé à Washington par l’intermédiaire du général prend la forme d’une demande d’intervention auprès de ces pays sunnites afin qu’ils "ordonnent" aux combattants sunnites syriens de ne pas toucher au Djébel Druze et à ses habitants.

 

Dempsey n’a rien promis, mais, de l’avis des Israéliens ayant participé à ces contacts, il a parfaitement saisi l’importance des requêtes qui lui ont été adressées.

 

Après l’abandon par les Forces d’Assad de la base de la Brigade 52 et de l’aéroport d’Al Thaala, la plupart de celles-ci se sont repliées en direction de Damas afin de préparer la défense de la capitale.

 

Le week-end dernier, la Ména a d’ailleurs appris que l’Armée alaouite était en train de constituer à la hâte deux lignes de défense, l’une à 80 km au nord-est de la capitale, pour faire face à DAESH, l’autre, au sud de l’aéroport international, afin de s’opposer à la poussée du Front du Sud.

 

Ces lignes de défense, larges d’environ 100 km, doivent être constituées de blindés et d’obusiers enterrés, de tranchées et de casemates. De l’avis des spécialistes de la Ména, mais essentiellement, de ceux de Tsahal, ces travaux de fortification ne suffiront pas à endiguer l’avancée sunnite.

 

A nos yeux, l’unique recours qui reste à l’autocrate de Damas, s’il entend sauver les alaouites d’un massacre annoncé et garder le contrôle d’un morceau de territoire syrien, consiste à transférer sans tarder les civils de sa communauté ainsi que ce qui reste de son armée dans la province de Lattaquié-Tartous, qu’il a des chances de pouvoir tenir, grâce au concours de ses alliés traditionnels iraniens et russes. Ces derniers ayant un intérêt particulier au maintien des alaouites dans cette province, car ils utilisent, dans le port de Tartous, leur plus vaste base navale à l’extérieur de la Russie.

 

Pour ne rien arranger aux affaires des Druzes du Djébel, la plupart des soldats du régime qui se trouvaient dans leur région ont eux aussi été rappelés pour participer à la défense de Damas. Les habitants sont désormais livrés à eux-mêmes, obligés de sortir leurs vieilles pétoires des caves et des greniers et de se constituer en milices.

 

Cette milice définit son combat comme un djihad, mais en termes exclusivement défensifs, contrairement aux autres forces participant à la Guerre Civile. Sa devise est : "Quiconque commet une agression contre la terre druze du Djébel, sans distinction pour son affiliation, souffrira des conséquences de son acte des mains de l’Armée des monothéistes, qui n’ont pas peur de se battre pour la défense de leur peuple"

 

Tout au long de leur histoire, les Druzes ont démontré qu’ils étaient de redoutables guerriers ; à plusieurs reprises, ils ont eu la possibilité d’occuper Damas et de gouverner le pays tout entier. C’est d’ailleurs un Druze, le Sultan Pacha al Atrash, qui est à l’origine de l’unification de la Syrie.

 

En 1921, la France, alors puissance mandataire en Syrie, créait l’Etat des Druzes dans le Djébel Druze ; il allait durer jusqu’en 1936, et vit l’insurrection de ses habitants contre la puissance coloniale, de 1925 à 1926.

 

Aujourd’hui, il manque aux Druzes du Djébel des armes lourdes, de même qu’un commandement aguerri pour s’opposer à une éventuelle offensive sunnite. En cas d’affrontements, les défenseurs seraient aidés par une topographie très accidentée, comprenant une dizaine de sommets atteignant entre 1 100 et 1 800 mètres. De plus, ils connaissent parfaitement le terrain, ce qui rendrait impossible une avancée rapide des Forces du Front du Sud, au point que ces dernières se voient actuellement contraintes de définir leurs priorités stratégiques.

 

La première consiste à foncer sur Damas et en expulser les alaouites, et à s’occuper plus tard du problème druze, soit par des voies diplomatiques, soit en utilisant la force, au moment où ils contrôleraient déjà l’ensemble de la Syrie.

 

L’objectif de l’exécutif israélien va consister, ces prochains jours, à influer sur les choix stratégiques du Front du Sud afin qu’il opte pour la première variante. Il compte y parvenir en renforçant la population "amie" du Djébel par des actions diplomatiques, par un éventuel appui logistique, ainsi que par la voie de déclarations d’intention.

 

Monsieur Netanyahu, le ministre de la Défense Moshe Yaalon, ainsi que les officiers supérieurs de Tsahal ne voient pas de problème pour apporter un secours humanitaire aux habitants druzes de la ville de Hader (voir la carte), située à quelques centaines de mètres de Majdal Shams, dans le Golan israélien.

 

La poche de Hader est actuellement le dernier bout de territoire contrôlé par les Forces d’Assad dans le Golan syrien sur la frontière de l’Etat hébreu. Hader a été, dans un passé récent, le théâtre de plusieurs massacres de civils perpétrés par les forces gouvernementales.

 

En ce milieu du mois de juin, la pression s’exerçant sur Hader par les sunnites, en provenance du Sud, se fait de plus en plus forte dans le but de chasser les militaires du régime et de prendre le contrôle de l’entièreté de la frontière avec Israël. Ceci fait là aussi craindre des assassinats collectifs de Druzes par les djihadistes sunnites ; mais, dans le cas de Hader, Tsahal possède la capacité d’empêcher ces exactions en s’interposant brièvement de l’autre côté de la frontière pour protéger les Druzes.

 

Dans le cas du Djébel Druze c’est beaucoup plus compliqué. Pour la raison que ce territoire n’est pas adjacent à celui d’Israël, mais en est éloigné, à son extrémité occidentale, d’une soixantaine de kilomètres. Dans ces conditions, une intervention de Tsahal serait perçue telle une ingérence majeure dans la Guerre Civile syrienne, avec les risques inhérents de confrontations inutiles et d’embourbement que cela comporte.

 

Le vice-ministre Ayoub Kara, après avoir lancé ses propositions irréalisables en direction de Walid Joumblatt, a suggéré que l’Etat hébreu porte assistance aux habitants du Djébel, mais que seuls des soldats druzes de Tsahal participent à l’opération. Cette option sera très probablement rejetée par l’état-major, car elle signifierait une communautarisation de Tsahal, qui pourrait se révéler hautement préjudiciable à l’avenir.

 

Ce qui est probablement envisagé, et qui est raisonnable, serait de faire parvenir aux assiégés des armes ainsi que des conseillers, soit par voie aérienne, soit en passant par la Jordanie, qui ne s’opposerait sans doute pas à ces actions, ce qui éviterait de risquer la vie de nos soldats en les faisant traverer des territoires hostiles.

 

Il n’existe pas non plus de problème de principe à ce que ces petits corps expéditionnaires soient constitués d’un pourcentage supérieur de soldats et d’officiers druzes relativement à leur proportion dans Tsahal ; leur présence faciliterait en effet les relations de confiance avec les gens du Djébel et aplanirait les problèmes de communication, liés notamment à la barrière linguistique.

 

L’autre option consiste à accueillir d’éventuels réfugiés du Djébel, soit dans les villes druzes israéliennes à l’ouest du Jourdain, soit dans les quatre villes druzes installées sur le plateau du Golan, soit encore, et c’est beaucoup plus intéressant, dans une zone tampon, que Tsahal établirait et défendrait à l’intérieur de la Syrie, à proximité immédiate de notre frontière.

 

Les deux premières hypothèses se heurtent à des écueils à la fois démographiques et politiques : l’accueil de centaines de milliers de personnes, en Galilée, ne ressentant aucune obligation envers l’Etat d’Israël et ses combats, soulève des questionnements très délicats.

 

L’implantation d’éventuels réfugiés sur le plateau, ferait qu’il serait ultra majoritairement habité par des Druzes d’origine syrienne, échappant au consensus national israélien, et donc difficilement gouvernables. La troisième option possède quant à elle un triple avantage :

 

1.         Elle agit dès maintenant de manière dissuasive sur les sunnites, qui préféreront probablement ne pas s’attaquer aux habitants du Djébel, plutôt que de perdre les territoires syriens qui touchent la frontière israélienne, qu’ils ont conquis au prix d’énormes sacrifices.

 

2.         L’implantation des Druzes de l’autre côté de ladite frontière garantirait à Jérusalem que ses voisins immédiats, dans une Syrie au devenir incertain, ne seraient pas animés d’intentions hostiles à son égard.

 

3.         Les habitants de la zone tampon constitueraient une séparation physique avec les groupes sunnites armés, et parmi ceux-ci, les nombreux djihadistes, islamistes et salafistes, dont on se doute que les intentions à long terme à l’égard d’Israël ne sont pas forcément bienveillantes.

Comme je l’ai écrit, les divers plans et projets qui circulent - certains ouvertement, et d’autres à l’état de rumeurs contrôlées -, accumulent la double raison d’être de préparer l’avenir, et d’inciter les sunnites à ne pas entrer en confrontation avec les Druzes du Djébel.

 

Quoiqu’il en soit, si la situation devait se détériorer, et que des massacres de civils étaient perpétrés, il est clair que le gouvernement israélien ne pourrait pas demeurer inactif. Il est d’ailleurs possible que certaines des options que nous avons énoncées dans cet article soient déjà en phase de réalisation préliminaire, car le temps presse.

 

Il est tout aussi évident que si des réfugiés druzes se présentaient à notre frontière, pourchassés par des miliciens sunnites, Tsahal ne les refoulerait pas dans les mains de leurs assaillants. Si elle le faisait, elle générerait immédiatement une faille dans la société israélienne, qui serait beaucoup plus dommageable que l’accueil desdits réfugiés.

 

Pour l’instant, même si cela ne plait pas à Monsieur Joumblatt, des représentants des Druzes du Djébel ont demandé à Israël de les accueillir au cas où les choses tourneraient mal. Qu’on ne s’y trompe pas, pour Israël, ses gouvernants, ses soldats et sa population, le sort des Druzes syriens constitue une préoccupation majeure et pressante, qui ira uniquement s’amplifiant dans les jours et les semaines à venir. Ce, à moins que l’ASL et ses alliés circonstanciels aient la bonne idée de marcher sur Damas plutôt que de s’en prendre à la province de Soueïda.

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