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Les Russes arrivent(info # 011509/15)[Analyse]

Par Michaël Béhéà Beyrouth © MetulaNewsAgency

 

Les Russes ont installé un aéroport militaire en Syrie, dans le réduit alaouite de Lattaquié. Depuis une semaine, en même temps qu’ils l’équipaient d’une tour de contrôle et qu’ils envoyaient 200 fusiliers-marins pour le protéger, de même que sept chars T-90 (le modèle le plus moderne de leur arsenal) et des canons d’artillerie, ils y ont dépêché deux avions-cargos par jour.

 

Ces appareils, des Antonov, sont bourrés d’équipement militaire à destination de leur allié Bachar al Assad et de leurs propres soldats.

 

Dimitry Peskov, le porte-parole du Kremlin, a refusé de confirmer ou d’infirmer ces informations reprises par des sources officielles américaines. Quant à l’ambassadeur du régime damascène à Moscou, Riad Haddad, il qualifie de "mensonge propagé par les Occidentaux et les Américains" les témoignages évoquant la présence de troupes russes sur le sol syrien.

 

Jusqu’à maintenant, Moscou admettait uniquement posséder des experts au sol accompagnant les livraisons d’armes qu’il procure aux forces gouvernementales.

 

Il nous apparaît toutefois clairement que Vladimir Poutine entend transformer la bande côtière principalement habitée par les alaouites en bastion imprenable.

 

C’était devenu vraiment urgent après que la route reliant Damas aux grandes villes du Nord, Homs, Hama et Alep, avait été coupée hier (lundi) par l’Armée de l’Islam (Jaysh al Islam), une force rebelle d’environ 20 000 hommes, active dans la région septentrionale de la capitale et soutenue principalement par l’Arabie Saoudite.

 

Le pire, pour les alaouites, étant que c’est dans des quartiers de Damas que les opposants se sont emparés du contrôle de l’autoroute internationale M5 ; selon nos indicateurs sur place, de larges portions du quartier d’Harasta et des banlieues de Dahiyet al Assad et d’Adra seraient entre les mains des ennemis du pouvoir.

 

Si l’Armée gouvernementale ne parvient pas à rétablir son autorité le long de cet axe routier et à le sécuriser, la présence des forces du régime dans les grandes métropoles du pays ne pourra être maintenue.

 

Or cette présence constituait la seconde ligne de repli stratégique décidée par les alaouites et leurs alliés iraniens. Ils en étaient venus à la conclusion qu’ils ne disposaient pas des moyens militaires nécessaires pour disputer l’ensemble du territoire à leurs ennemis, et qu’il était dès lors préférable de se focaliser sur les 25% de la Syrie qui comprennent, outre Damas, les trois grandes villes du Nord-Ouest.

 

Il n’empêche que la capitale est grignotée, petit à petit mais inexorablement, par les diverses armées de la révolte : à partir du Nord, par DAESH, al Qaeda, et par les protégés des Saoudiens, et au Sud, par l’Armée Syrienne Libre, renforcée par les éléments issus d’une cinquantaine d’organisations islamiques.

 

La troisième et dernière ligne de repli possible pour les alaouites, c’est précisément la province de Lattaquié, une bande de 140km, le long de la Méditerranée, sur une trentaine de large. C’est exactement là que les Russes se barricadent. Ils sont conscients de ce qu’il ne faut en aucun cas permettre aux ennemis du régime de poser le pied dans le réduit de Lattaquié. Or comme ceux-ci commencent déjà à le menacer, notamment à partir de la province d’Idlib, si les Russes entendent préserver une ultime option de repli pour leur allié traditionnel, il leur faut intervenir directement et urgemment sur le théâtre des opérations.

 

D’autant plus qu’il n’existe plus désormais, dans la province d’Idlib, de présence gouvernementale, après la chute, la semaine dernière, de la base aéronautique d’Abou Alduhur, suite à un siège de deux ans. [Voir la vidéo de la prise d’Abou Alduhur par al Nosra (al Qaeda)].

 

Dans ces conditions, il ne restait plus à Poutine que le recours consistant à transformer Lattaquié en fortin, pour que, le cas échéant, Bachar al Assad et son million et demi de frères alaouites puissent s’y réfugier, et surtout, tenir ce périmètre sur la durée.

 

A vrai dire, la géopolitique de la bande côtière se prête à la survie d’une communauté à moyen ou long terme ; d’abord parce qu’elle dispose de 140km d’accès à la mer et de nombreux ports bien abrités – ceux par lesquels transitait la totalité de l’activité maritime syrienne. Ensuite, parce qu’elle communique avec deux Etats étrangers, la Turquie, au Nord, et le Liban, au Sud, où les alaouites comptent encore de nombreux alliés.  

 

A ce qui précède, il convient encore d’ajouter un argument de poids : la Russie a construit, durant ces dernières années, dans le port de Tartous situé dans cette province, une très grosse base pour sa marine de guerre. En fait, le plus important port militaire pour ses bateaux hors de Russie.

 

Et Poutine s’en sert, puisqu’il y a envoyé, la semaine passée, un sous-marin atomique équipé de 20 missiles à têtes multiples, se divisant ensuite chacune en vingt bombes, soit 200 bombes atomiques en tout à bord d’un seul bâtiment.

 

La fonction de ce sous-marin consiste à tenir à l’écart les puissances étatiques opérant sur le théâtre des opérations syrien, les Etats-Unis, évidemment, leurs alliés de la coalition anti-DAESH, ainsi que, le cas échéant, la Turquie et Israël.

 

Il s’agit d’un argument de dissuasion efficace destiné à permettre aux troupes de Poutine au sol de ne se préoccuper que des attaques des mouvances islamiques et de l’ASL.

 

Sûr que la présence russe dérange. Pour preuve, la demande, qui ne fut suivie d’aucun effet, de Washington à ses alliés dans la région, Turquie et Grèce en tête, d’interdire aux avions-cargos de Moscou le survol de leur territoire.

 

Certes, en principe, tout le monde est là pour tirer sur le même ennemi : DAESH ou le califat islamique. D’ailleurs, François Hollande vient de décider que les Rafales ne se conteraient pas de jouer les photographes de l’air mais qu’ils allaient incessamment participer aux frappes. A la différence près que les Occidentaux entendent stopper DAESH, en espérant probablement aussi réduire le flux migratoire en direction de l’Europe, tandis que pour les Russes, il s’agit de faire barrage à DAESH, certes, mais également aux autres mouvances rebelles, et dans l’intérêt du gouvernement de Bashar al Assad.      

 

De Beyrouth et de Métula, on conçoit mal que la Russie décide de jouer un rôle offensif dans la Guerre Civile ; on n’imagine pas les soldats de Poutine prendre part aux combats de rues de Damas ou à l’attaque de points d’appuis djihadistes, que les hommes d’Assad ne peuvent de toute façon pas tenir.

 

De plus, ce n’est pas deux-cents hommes qu’il faudrait à Moscou pour reprendre la Syrie, mais cent-mille, et on voit mal la Russie, dans sa situation actuelle, entretenir une mission aussi importante si loin de ses frontières.

 

A moins que nous ne nous trompions lourdement, c’est dans un rôle presque entièrement défensif que nous imaginons le rôle qu’entendent interpréter les Russes. En principe, il ne devrait gêner personne, et même, peut-être, éviter le génocide annoncé des alaouites lorsque les soldats d’al Assad ne pourront plus les protéger.

 

Mais ça, c’est en principe. Dans les faits, c’est un peu plus compliqué, il suffit de songer au nombre d’avions de guerre qui vont sillonner le ciel syrien pour commencer à réaliser cette complexité. Que vont faire les Russes, par exemple, la prochaine fois que les chasseurs-bombardiers à l’étoile de David vont s’attaquer à un dépôt de munitions à Damas ?

 

Et si ce sont des munitions qu’ils viennent de livrer aux forces gouvernementales ?

 

Et si c’est à leurs alliés du Hezbollah qu’ils ont livré des armes, ou aux Iraniens ? Des missiles antiaériens sophistiqués, par exemple, ou des engins balistiques capables de faire exploser des charges de 500 kilos au cœur de Jérusalem ?

 

Et dans l’éventualité, encore plus proche, à notre avis, d’un scénario prévisible, où les Russes entreposeraient des armes mettant en danger la sécurité d’Israël dans l’enclave même de Lattaquié ? Il est déjà arrivé plusieurs fois que l’Armée de l’air israélienne bombarde des entrepôts d’armes dans cette région, la base de Tartous existait déjà, ils ont dû la survoler, mais c’étaient des Syriens qui défendaient les magasins visés, pas des Russes.

 

Que se passerait-il si des pilotes yankees, à la poursuite de miliciens de DAESH, tuaient par mégarde des militaires russes ? Ou si c’était, au contraire, la D.C.A de Poutine qui abattait un F-15 américain ? Ou un Rafale français ?

 

En résumé de ces dangers d’embrasement "par erreur", j’avancerai que si les Russes se contentent de défendre l’Alaouiteland, avec mille ou deux mille hommes et sans chasseurs-bombardiers, leur activité ne sera pas trop dérangeante et pourrait même conduire à une solution négociée, Bachar n’ayant pratiquement d’autre choix que celui d’obtempérer aux injonctions de Poutine.

 

Dans toutes les autres hypothèses, on se dirigerait assurément vers un immense embrouillamini, dans le meilleur des cas, ou vers une guerre de tous contre tous, dans le pire d’entre eux. Et pas uniquement avec de vieilles mitrailleuses accrochées sur des pickups, mais avec les armes les plus pointues de notre génération. 

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