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Poutine, au bluff [1ère partie](info # 010710/15)[Analyse]

Par Stéphane Juffa © MetulaNewsAgency

 

Les Soukhoï de Vladimir Poutine poursuivent leur mission en Syrie à raison d’une dizaine d’attaques au sol quotidiennes. Ils frappent fort les ennemis du régime d’al Assad, sans se préoccuper outre mesure de l’affiliation des combattants qu’ils visent, ni de la protestation écrite qu’ont rédigée vendredi à ce propos les Etats-Unis, la Turquie, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, le Qatar et l’Arabie Saoudite.

 

Le résultat de ces raids est probant, les cibles visées concernant aussi bien les postes de commandement centraux de DAESH que les positions des rebelles modérés sur la ligne de front. Tous sont désormais acculés à la défensive et contraints d’évacuer leurs points d’appui trop exposés aux attaques aériennes.

 

En quelques semaines, les Russes ont déjà considérablement affaibli les opposants à l’armée alaouite. Est-ce à dire que le sort des armes est en train de changer de camp ?

 

Oui et non. Oui, en cela que la pression sur l’Armée gouvernementale et ses alliés iraniens et chiites libanais s’est allégée. Non, parce que l’intervention russe se produit trop tardivement pour ressusciter une troupe gouvernementale à l’agonie, cantonnée au rôle de défendre ce qui peut encore l’être.

 

On se bat toujours dans plusieurs banlieues de Damas, dans lesquelles, en raison de la promiscuité entre les adversaires, et de leur imbrication, Poutine hésite à intervenir.

 

Des media ont parlé de la préparation d’une contre-offensive terrestre destinée à mettre à profit les résultats des attaques aériennes, mais l’Armée d’Assad n’est pas en mesure de la réaliser. Selon nos informations, une dizaine de milliers de combattants pro-régime se concentrent effectivement afin de matérialiser des gains territoriaux. Mais cette troupe ne comprend pratiquement pas de soldats gouvernementaux ; elle est presque exclusivement composée de miliciens du Hezbollah et de Gardiens de la Révolution khomeyniste, bien trop peu nombreux pour exploiter efficacement les opportunités qui se présentent.

 

Ils pourront probablement enregistrer quelques succès limités, mais ceux qui s’imaginent que leur coalition va récupérer une partie significative du territoire perdu ignorent les paramètres de la Guerre Civile syrienne.

 

Ils ignorent également les objectifs que se sont fixés les Russes, dont les raids continuent à ne desservir qu’une action essentiellement défensive. Avec les armes et les effectifs réduits dont il dispose dans la province de Lattaquié, la finalité tactique de Poutine n’a pas évolué : il s’agit de sécuriser le réduit alaouite de 140km de long sur 30 de large, et, si possible, d’assurer une continuité géographique entre l’Alaouitestan et la capitale Damas.

 

Ce faisant, il empêche Bachar al Assad de s’écrouler et le maintient dans la position d’un interlocuteur incontournable de l’équation syrienne. Clairement, sans l’intervention russe, il serait en voie de livrer sa dernière bataille.

 

Reste que l’intrusion des Russes dans ce conflit régional comporte à la fois des limites insurmontables et des risques militaires relativement importants.

 

A nous de préciser les buts poursuivis par le maître du Kremlin dans cette guerre ; il n’est pas question pour lui d’anéantir DAESH, comme déclarent vouloir le faire les autres intervenants étrangers dans cette confrontation. Poutine entend sauver ce qui reste de son allié traditionnel alaouite et aussi rétablir son propre pays en tant qu’hyperpuissance, du genre de celles sans l’accord desquelles il n’est pas possible de déterminer l’avenir de la planète. Jusqu’à ce qu’il y parvienne, il n’en existe qu’une, les Etats-Unis d’Amérique.

 

Ce qu’il y a de cocasse, c’est tout de même, qu’en quelques semaines, il est parvenu à stopper l’avancée du Califat Islamique avec une vingtaine d’avions, ce que les Yankees, leurs alliés occidentaux et arabes, avec un arsenal dix fois supérieur, ainsi que les Turcs, ne sont pas parvenus à faire après de longs mois de bombardements journaliers.

 

Poutine inflige ainsi un camouflet retentissant à Barack Obama, dévoilant, une fois de plus, l’immaturité de sa politique étrangère.

 

Les Américains et la "communauté internationale" en étaient à imposer des sanctions économiques et politiques à Moscou pour l’invasion de la Crimée et de l’est de l’Ukraine, or les voilà forcés de s’entendre avec la Russie sur l’avenir de la Syrie et d’entériner, de facto, son occupation de la Tchétchénie et d’une partie de la Géorgie, en plus des territoires conquis en Ukraine.

 

L’Ouest est même obligé d’envisager officiellement la conservation du pouvoir par Assad, même s’il parle uniquement d’une période transitoire. Angela Merkel applaudit bruyamment cette idée. Cela fait déjà pas mal de succès politiques pour le nouveau tzar, qui viennent couronner une aventure militaire minimaliste au niveau des moyens engagés.

 

C’est le résultat d’une gouvernance énergique, qui privilégie l’action politique et militaire sur la diplomatie. Aux USA, le fer de lance – si l’on peut dire – de la politique extérieure étasunienne, c’est John Kerry, en Russie, ce sont les Soukhoï.

 

A Washington, on palabre des années pour savoir ce que l’on va ne pas faire ou pour préparer le retrait d’une zone d’influence supplémentaire, tandis qu’à Moscou, on envoie la soldatesque, on établit des faits accomplis et on discute ensuite.

 

En Syrie, la "technique Poutine" recèle un autre avantage, en cela que le maintien de Bachar al Assad aux manettes procède d’une hypothèse infiniment plus raisonnable que celle se limitant à préconiser la destruction de DAESH, comme se bornent à la revendiquer les Européens, la France en tête, ainsi que les Etats-Unis.

 

Et que l’on ne vienne surtout pas nous accuser d’un parti-pris en faveur du dictateur-oculiste de Damas, qui a sur ses mains le sang de centaines de milliers de ses compatriotes, car ce n’est pas au niveau humanitaire que se situe notre réflexion. Celle-ci se limite à constater que, pour le moment, avant que ne se décante la situation militaire, il n’existe personne, en Syrie, qui puisse remplacer Bachar.

 

S’il avait été éliminé, on aurait sans aucun doute connu une chienlit similaire à celle qui prédomine en Lybie après l’assassinat de Kadhafi sous l’impulsion des mêmes Etats occidentaux et de leurs réflexions inachevées. A savoir des factions, toutes plus islamistes les unes que les autres, qui se disputent le pouvoir dans le sang, sans qu’il soit loisible de discerner la moindre esquisse de solution.

 

En Egypte, après que le Président Obama eut joué un rôle prépondérant dans l’éviction de l’allié indéfectible des USA qu’était Hosni Moubarak et dans son remplacement par Morsi, on ne doit qu’à l’Armée que le pays n’ait pas sombré corps et bien dans l’islamisme.

 

 

A suivre…

 

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