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DSK a-il été victime d'un coup monté ?

Par Alexander Cockburn
CounterPunch, le 22 mai 2011

article original : "Was DSK Stitched Up?"

Les Français sont pour le millionnaire. Les Américains sont pour la femme de chambre. Parmi les Français, trois personnes sur cinq pensent que l'ancien directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, est victime d'un coup monté. (Strauss-Kahn a présenté sa démission du FMI le 18 mai.) Ici, aux USA il n'y a pas eu de sondage fiable, mais le sentiment du public est nettement contre Strauss-Kahn, sentiment amplifié par l'autosatisfaction de l'Amérique qu'elle est un Etat de droit, où la parole d'une femme de chambre est aussi valable que celle d'un millionnaire, en contraste avec la décadence morale et la déférence pour les riches qui prévalent en France.

Les Français, pour leur part, stigmatisent l'Amérique comme étant un Etat policier puritain, impérial et tout-puissant, dont les services secrets sont parfaitement rompus à toute infamie. Mais même s'ils se précipitent pour dire que Strauss-Kahn a été piégé, la presse française a plutôt du mal à déterminer ou même à suggérer qui serait le cerveau ou le groupe précis qui œuvrerait à détruire l'homme qui aurait pu être le candidat du Parti Socialiste français pour évincer Sarkozy du Palais de l'Elysée. (Ils oublient le préjudice réel porté à la réputation de la France, sans parler de la balance des paiements, c'est-à-dire qu'auparavant, des femmes venant des Etats-Unis ou d'Europe du Nord effectuaient de coûteux séjours en France dans l'espoir d'être séduites par Charles Boyer, Michel Piccoli ou Alain Delon ou, si vous préférez les gros fumeurs, Jean-paul Belmondo ou Gérard Depardieu. A présent, plutôt que d'être attaquées par un psychopathe sexuel gaulois, elles choisiraient de se rendre directement en Italie, malgré les risques qu'un Berlusconi à-moitié sénile bondisse d'un buisson en criant « Bunga, Bunga »).

Dans les cercles financiers parisiens, certains accusent cette attaque d'être contre « les juifs ». Suivant cette ligne, ils laissent entendre que ce complot a été fomenté par les Musulmans, sur la présomption qu'ils ont très envie de parvenir à mettre dans l'embarras un juif célèbre et, incontestablement, fervent sioniste, et aussi peut-être parce que celle qui a fait tomber Strauss-Kahn, la femme de chambre de 32 ans qui l'accuse d'avoir commis une grave agression sexuelle – largement identifiée sur les sites internet français et africains comme étant Nafissatou Diallo – est une musulmane issue d'une nation ouest-africaine de Guinée. (Et oui, le nom de Diallo rappelle quelque chose. Amadou Diallo (2 septembre 1975 – 4 février 1999) était un Guinéen de 23 ans qui avait immigré à New York, et qui fut tué par balles le 4 février 1999 par quatre officiers en civil du NYPD, qui ont tiré 41 coup de feu contre lui. Ceux-ci furent par la suite acquittés.)

Parmi les Américains qui pensent à une conspiration, on retrouve le pourcentage habituel de citoyens qui ne croient jamais les comptes-rendus officiels et dont l'énergie est actuellement consacrée à prouver qu'Oussama ben Laden est mort fin 2001 et que l'attaque d'Abbottabad était bidon du début à la fin. On n'a pas découvert de nanothermite dans le complexe d'Oussama, mais cela ne devrait tarder.

Parmi les commentateurs économiques qui ont admiré les tentatives de Strauss-Kahn de secouer le FMI, certains spéculent également sur une conspiration. Ils citent les mots que [DSK] a prononcés, il y a deux semaines, dans un discours à l'Université George Washington . « La mondialisation a beaucoup apporté […] mais elle a également un côté sombre, un fossé profond et qui se creuse entre les riches et les pauvres. Nous avons clairement besoin d'une nouvelle forme de mondialisation pour empêcher que la « main invisible » des marchés approximativement régulés ne se transforme en « poigne invisible ». Ils citent Joe Stiglitz, qui a récemment fait remarquer : « Il semble qu'un nouveau FMI ait progressivement et prudemment émergé sous la direction de Dominique Strauss-Kahn ».

Ce point de vue faisant de Strauss-Kahn le tribun des opprimés est loin de faire l'unanimité. Ce n'est certainement pas ce que pensent les Grecs, dont le pays endure les conditions habituelles d'austérité attachées aux prêts de sauvetage [du FMI]. Les journaux grecs ont émis des appréciations impitoyables. Un quotidien a titré en une : « La femme de chambre a résisté au violeur… du FMI », façon de décrire ce que le patron du FMI a infligé à la Grèce.

Voici ce que Desmond Lachman observait le 18 mai dans le Financial Times :

« Cependant l'histoire se souviendra plus volontiers de la façon peu judicieuse avec laquelle [Strauss-Kahn] a traité la crise de la dette de la zone euro. La décision de M. Strauss-Kahn de traiter la crise comme une question de liquidité plutôt que comme une question de solvabilité a conduit le FMI à exclure toute notion de restructuration de la dette ou de sortir de l'euro, comme solution pour le secteur public et aux problèmes des déséquilibres extérieurs périphériques. A la place, il a opté pour un resserrement budgétaire draconien et une réforme structurelle radicale, comme panacée pour la Grèce, l'Irlande et le Portugal. Pourtant, un an après cet ensemble de prêts de l'Union Européenne et du FMI, le programme d'ajustement de la Grèce ne marche pas. La croissance de la Grèce est dans une spirale descendante, avec un chômage qui excède les 15%...

« … en novembre 2010, le FMI a choisi de répéter la même erreur politique conceptuelle dans ses programmes d'ajustement pour l'Irlande et dans le programme qu'il propose en ce moment-même au Portugal. Encore plus difficile est de comprendre pourquoi le FMI propose maintenant que la Grèce devrait appliquer plus ces mêmes prescriptions politiques qui ont conduit son économie dans l'état alarmant qu'elle connaît actuellement. »

En dépit de ces détails, Paul Craig Roberts, secrétaire adjoint au Trésor sous Reagan, a déclaré platement dans un article d'agence, la semaine dernière, que « Strauss-Kahn est victime d'une machination parce que le FMI a annoncé récemment que ‘le règne de l'Amérique est désormais révolu' et que la Chine sera l'économie numéro un dans les cinq ans. Ce fut un coup massif porté contre Washington et ils se vengent ».

Sur le site Global Research, à orientation complotiste, Michael Bucci a tiré des parallèles avec la chute d'Eliot Spitzer, chassé du gouvernorat de New York à cause des relations qu'il entretenait avec les prostituées. « Plus loin dans les coulisses », écrit Bucci, « on pourrait trouver les banquiers d'investissement et les financiers internationaux (ceux qui ont descendu Spitzer en douceur) ». Il est vrai que la chute du gouverneur de New York a été l'œuvre des puissantes personnalités de Wall Street qui craignaient que Spitzer en fasse les cibles d'une croisade populiste. Ils le firent suivre – et l'étalage de ses transactions sexuelles ont pertinemment transpiré.

Mais Spitzer fut le conspirateur en chef de son autodestruction, et c'est la même chose pour Strauss-Kahn – si l'on s'en tient aux faits qui ont été découverts jusque là –, désormais anéanti par un liste dense de comportements sexuels violents et prédateurs, avec deux Françaises qui le comparent à un chimpanzé en rut et d'autres qui disent qu'il les a forcées à avoir des relations sexuelles avec lui.

Tristane Banon, la filleule de ladeuxième épouse de Strauss-Kahn, a soutenu qu'il avait essayé de la violer, il y a neuf ans, lorsqu'elle l'a approché pour une interview. « Ce fut très, très violent », dit Banon. « Je lui ai donné des coups de pieds. Il a dégrafé mon soutien-gorge et essayé d'ouvrir mon jean. Tandis que nous nous battions, j'ai utilisé le mot 'viol' pour lui faire peur ». Elle dit qu'elle n'en avait pas fait état à l'époque, de crainte de devenir « la fille qui avait un problème avec un homme politique ».

« Martina », une journaliste, a dit au London Times qu'après une interview de groupe, « [Strauss-Kahn] a obtenu mon numéro de téléphone par son ambassade ou l'Institut Français et il a commencé à m'appeler. Il était incroyablement insistant », a-t-elle poursuivi. « Il rendait presque explicite que je devais coucher avec lui pour l'interview [que je lui avais demandé de m'accorder]. »

Piroska Nagy, l'économiste hongroise du FMI avec laquelle Strauss-Kahn a eu une aventure en 2008, a visiblement écrit à ses employeurs qu'il était « un homme avec un problème qui ne le rendait pas apte à diriger une institution où des femmes travaillaient sous son commandement ».

Bernard Debré, député UMP (le parti de Nicolas Sarkozy), a dit sur son blog que l'ancien chef du FMI était un « délinquant sexuel », et il a déclaré plus tard à L'Express : « Ce n'est pas la première fois que DSK se comporte de cette façon dans ce Sofitel. C'est arrivé plusieurs fois au cours des dernières années. »

Sarkozy n'a pas exactement aidé l'homme qu'il a placé à la tête du FMI en disant qu'il avait mis en garde Sarkozy de garder sa braguette fermée à son poste de chef du FMI et de ne pas se retrouver [seul] dans les ascenseurs avec le personnel [féminin].

Il est vrai qu'on retrouve dans cette affaire les anomalies habituelles, et les complotistes s'y sont engouffrés. Pourquoi le directeur du Sofitel a-t-il attendu au moins une heure pour appeler les flics ? Peut-être parce que la victime était à-moitié cohérente, peut-être parce que cet hôtel [appartenant à un groupe] français voulait être doublement, triplement sûr qu'il s'agissait d'une véritable agression de la part d'un client très en vue ou parce que la précédente politique était de couvrir ce genre d'incidents.

Comment se fait-il que la victime se soit instantanément pourvue d'un avocat assez connu, Jeffrey Shapiro, décrit comme un « proche ami de la famille » ? Pourquoi Diallo et sa fille habitaient-elles dans un appartement du Bronx normalement réservé aux personnes atteintes du sida ? Shapiro dit que ni Diallo ni sa fille ne sont atteintes du sida et qu'il s'agissait d'une sous-location.

Il y a les témoignages contradictoires habituels. Pour une personne qui a rencontré Strauss-Kahn après ce que les caméras de surveillance indiqueraient être une sortie hâtive de sa suite, il semblait très agité. Une autre personne se souvient avoir rencontré un Strauss-Kahn calme et détendu dans l'ascenseur.

Mais les arguments de base de l'accusation semblent forts, en particulier lorsqu'on y ajoute les accusations des Françaises [citées plus haut], que le candidat présidentiel Strauss-Kahn essayait de contrecarrer. Les caméras de surveillance de l'hôtel confirment la fuite de Diallo de la suite et ensuite le départ hâtif de Strauss-Kahn. Personne n'a dit que le compte-rendu qu'elle a fait en larmes semblait manquer de conviction. Pourquoi les banquiers ou leurs agents auraient-ils choisi une pauvre veuve musulmane de 32 ans pour jouer un tel rôle ? Et s'ils avaient monté une telle machination si précaire, pourquoi les comploteurs ont-ils permis à Strauss-Kahn d'avoir la voie libre vers JFK et un vol sûr pour Paris, jusqu'à ce qu'il commette l'erreur d'appeler l'hôtel pour demander s'il avait laissé quelque chose derrière lui ?

Le quotidien Echos d'Afrique a publié un article, le 18 mai, de Calixthe Beyala, qui reprend les accusations de Bernard Debré et écrit ensuite[1] :

« Dans cet hôtel, travaillent de nombreuses femmes Noires d'origine Guinéenne! Nombre d'entre elles ont été violées par l'ex-président du FMI et ces affaires scandaleuses ont toujours été étouffées par la direction de l'hôtel… Quant à croire à un coup monté de Sarkozy, c'est méconnaître la situation politique française actuelle. Peu importe le candidat, Sarkozy ne gagnera pas les prochaines élections ! En outre, de même que Sarkozy, DSK était le candidat des grands lobbying financiers, médiatiques, ceux-là qui n'ont qu'un objectif : réduire le Noir à néant et piller l'Afrique ! »

Peut-être que des gens hauts placés dans la hiérarchie du Sofitel, alors contactés samedi dernier par la direction de l'hôtel pour savoir quoi faire, avaient décidé que le temps était venu de cesser de couvrir Strauss-Kahn. Peut-être que Strauss-Kahn avait passé un coup de fil pour qu'une prostituée vienne remplir une demi-heure à perdre avant son déjeuner, et que Diallo est arrivée pour nettoyer la chambre précisément au mauvais moment. Peut-être que … le rasoir d'Ockham est toujours la règle : l'explication la plus simple et la plus évidente, celle qui nécessite le moins de bizarreries superflues, est préférable.

En fait, il n'y a pas grand chose qui milite de façon convaincante en faveur d'une conspiration. Strauss-Kahn faisait partie de la phalange habituelle des hommes politiques puissants qui sont persuadés qu'ils peuvent frapper les femmes et s'en tirer, convaincus qu'on ne croira pas ces femmes qu'ils ont agressées ou qu'elles n'oseront pas essayer de les dénoncer. L'effondrement du mariage du Gouverneur Schwarzenegger, à la suite de la révélation d'un comportement extraordinairement ignoble de la part d'Arnold après des années d'allégations sur ses agressions, n'aide pas non plus Strauss-Kahn. [2] Nous ne connaissons même pas encore l'étendue des preuves physiques ou les traces d'ADN prélevées là où Diallo dit avoir craché son sperme après que Strauss-Kahn a forcé son pénis dans sa bouche. Strauss-Kahn a un avocat coûteux qui caresse déjà l'idée d'une défense ‘consensuelle'. Nous n'en sommes qu'au début. Bill Clinton doit lire les nouvelles avec un déferlement d'émotions, dont on a souvenance dans la tranquillité, pour emprunter la définition de Wordsworth sur l'origine de la poésie.

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