Ashdod, ma ville [Culture]
Par Yaël Bensimhoun©Metula News Agency
Yaël Bensimhoun est licenciée ès lettres, mention arts, elle a collaboré à de nombreux media israéliens, dont L’Impact durant quatre ans. Elle mène parallèlement une carrière dans l’enseignement du français en Israël.Originaire de Lyon, elle vit depuis douze ans dans la région d’Ashdod.
Depuis la création de l’Etat d’Israël, des dizaines de villes nouvelles, des centaines de villages ont vu le jour. Soixante-cinq ans plus tard, la physionomie du pays a tant changé qu’on le reconnait à peine. Reconstruction d’un pays, rétablissement d’un peuple, la ville d’Ashdod, à elle seule, résume assez bien cette réalité ; elle qui s’est vue dans un premier temps devenir le fief des immigrés juifs d’Afrique du nord, puis, en grand nombre, des Russes, des Sud-américains ou des Français…
Située à peu de distance d’Ashkelon, aux confins du Néguev et de Gaza, cette ville côtière a été bâtie en 1956 dans le sable, à l’initiative de Yaffé Ben Ami. Elle compte à présent près de 250 000 habitants et abrite le plus grand port commercial du pays en eaux profondes, creusé artificiellement sur les rives de la Méditerranée. Jeune ville donc direz-vous, et pourtant… le nom d’Ashdod apparait pour la première fois dans le livre de Josué ; malgré son jeune âge, la ville est ancrée dans l’histoire du peuple juif.
Une histoire tumultueuse
Avant d’être conquise par le Roi David au Xème siècle avant notre ère pour intégrer le royaume d’Israël, la cité aurait été l’une des cinq grandes villes-Etats fondées par les Philistins quatre siècles auparavant et utilisée par eux comme place forte.
Selon la Bible, au début du chapitre 5 du livre de Samuel, c’est là, dans le temple de Dagon, divinité mi-homme mi-poisson, que les Philistins déposèrent l’arche d’alliance (le aron hakodesh) arrachée aux Hébreux lors d’une guerre qui les opposa. Le récit mentionne les malheurs qui frappèrent alors les usurpateurs et comment, apeurés par la puissance du D. des Hébreux, les Philistins finirent par restituer l’arche « ensorcelée » aux Tribus d’Israël.
Durant les mille ans qui suivirent, Ashdod passa successivement sous la domination des Egyptiens, des Babyloniens, des Assyriens puis des Grecs, avant de redevenir juive sous les Macchabées et jusqu’à sa conquête par les Romains qui détruiront la ville. Après cette période et jusqu’à l’époque ottomane, Ashdod ne fait plus parler d’elle.
La découverte des restes d’une muraille de plus d’un mètre de large datant de la fin du VIIIème siècle et du début du VIIème avant l’ère vulgaire, témoigne pour Dmitri Egrov, archéologue à l'Autorité des Antiquités israélienne, de la présence d’une forteresse de l’époque du Premier Temple sur la colline de Jonas. Ce prophète qui, selon la tradition juive, fut avalé puis rejeté du ventre d’une baleine après s’être embarqué sur un radeau pour échapper au commandement divin de prophétiser.
Cette colline « Guivat Yona » surplombe Ashdod et s’élève à plus de 50 mètres au-dessus de la mer ; une plateforme évidemment autrefois stratégique, qui permettait d’observer l’intrusion d’ennemis par voie maritime ou d’empêcher l’accostage de bateaux clandestins lors du mandat britannique.
On y trouve à présent, au sommet, le phare du port d’Ashdod et un point de vue spectaculaire pour admirer la côte et les dix-sept quartiers qui morcellent la ville jusqu’à Ashkelon, plus au Sud.
Dans le sud de la ville, tout près du rivage, entre les quartiers « youd-alef », « tet-vav », se dressent les vestiges d’une citadelle datant du VIIIème siècle, et son impressionnante forteresse « Kalat Al-mina ». Ouvert au public, le site offre au regard des baigneurs des tours, des chambres, des escaliers et des fours encore admirablement conservés.
Une architecture et une population hétéroclites
Ce réel patrimoine historique jure quelque peu avec les bâtiments imposants, résolument modernes et les nombreux immeubles qui poussent presque du jour au lendemain, comme des champignons.
Parmi les monuments incontournables, le centre d’art Monart, près de la mairie, dont l’architecture, inspirée du musée du Louvre, affiche une forme pyramidale en verre. Il a été construit par un architecte français et subventionné par des donateurs parisiens. C’est la raison pour laquelle il porte ce nom français « mon art », bien que les Israéliens, pour la plupart, en ignorent la réelle signification.
Non loin, dans le même périmètre, se dresse fièrement, face à la mer, l’époustouflante Maison de la culture, en forme de baleine blanche, conçue cette fois par un architecte télavivien. Et pour compléter ce magnifique ensemble, au centre d’un rond-point géant, tout à côté, des sculptures de voiliers de couleurs changeantes la nuit, semblent paisiblement voguer sur une mer de marbre.
Pas franchement de centre-ville à Ashdod, mais plusieurs petits centres qui se disputent la suprématie du lieu le mieux fréquenté. Les restaurants les plus chics se trouvent pour la plupart en bord de mer, sans permis de cacherout (les règles alimentaires imposées par la loi juive) toutefois, ce qui fait râler les nombreux immigrants français, majoritairement traditionalistes à Ashdod.
La ville, comme bon nombre de villes côtières, vit surtout la nuit en été. Il faut toutefois avouer que l’été est long en Israël. Dès le mois d’avril et jusqu’en octobre au moins, la promenade d’Ashdod dite en hébreu francisé la tayelette (la promenade), et qui relie plusieurs plages entre elles, offre aux joggers, marcheurs ou flâneurs romantiques, sur trois kilomètres, des équipements de sport innovants.
La « Marina bleue » est un port moderne où mouillent quelques centaines de yachts et autres embarcations. On y trouve des résidences luxueuses.
Enfin, Ashdod est féconde en parcs, dont le parc Lah’ish, site d’attractions et de loisirs, qui s’étend sur 65 hectares et comprend une promenade, la rivière éponyme, des pelouses et coins pique-nique, des arbres rares et décoratifs, un zoo et un parc dédié aux sports extrêmes.
Comme pour toutes les villes portuaires, l’activité du port d’Ashdod lui assuresa croissance économique. Ainsi Ashdod a attiré de nombreux promoteurs,et énormément d’industries se sont installées sur place.
Le port est le plus important d’Israël, avant même Haïfa en matière de transit de marchandises et de rendement. C’est également l’un des plus grands de la Méditerranée, qui offre un service de qualité et un équipement moderne.
Grâce à toutes ses infrastructures, la ville a pu intégrer les grosses vagues d’immigration de tous horizons de ces dernières décennies. Religieux et laïcs, Sépharades (Juifs originaires des pays arabes) ou Ashkénazes (originaires d’Europe), vieillards et jeunes gens (bien que la moyenne d’âge à Ashdod soit la plus basse du pays : moins de 45 ans !) vivent en parfaite harmonie.
Des monuments, en souvenir de l’histoire moderne de la ville
Lors de la guerre d’Indépendance, les kibboutzim (villages collectivistes d’inspiration socialiste) autour d’Ashdod furent attaqués par les Egyptiens. Mais leur incursion fut stoppée net au sud-est de la ville par le bataillon Guivati, dans la nuit du 11 au 12 mai 1948.
Au cours de la mission « Baraka », les soldats israéliens firent exploser le pont « Ad Halom » (jusque-là) nommé ainsi après coup pour désigner la limite atteinte par l’armée égyptienne. Ce jour-là, malheureusement, Israël perdra 54 hommes lors de cette victoire militaire.
Deux de nos avions seront sérieusement endommagés et un autre s’écrasera en flammes. Un monument aux morts est élevé à l’endroit qui rappelle ce drame. Sur le mur en pierres taillées du mémorial, tout près du nouveau pont rebâti dans les années 80, se trouve immortalisé ce terrible épisode de notre histoire. « Ils ont souffert jusqu’ici pour ne point savourer leur victoire ni voir la création de leur pays » lit-on douloureusement, en commentaire d’une sculpture de l’artiste Touvia Lévy.
Non loin de là, comme en écho, se dresse un mémorial en forme d’obélisque. C’est un monument à la mémoire des soldats égyptiens tombés dans cette même bataille, et élevé dans le cadre du traité de paix avec l’Egypte. Les inscriptions sont écrites en trois langues : hébreu, anglais et arabe.
Les sirènes d’Ashdod
Et bien voilà, il est temps d’achever ce papier, même s’il reste encore beaucoup de choses à écrire sur cette belle ville qui a hébergé mon alya (ma venue en israël). Douze ans déjà que je vis ici. Je suis à présent presque une vraie Ashdodienne...
Cette dernière année notamment a été un peu particulière : Les gens d’Ashdod ont accédé à la notoriété ! Si si de vraies vedettes (mais uniquement nationales hein.. faut tout de même pas rêver…).
C’est vrai, on a parlé de nous dans les journaux, à la télé, à la Ména… Nous n’avions rien fait pour cela évidemment, mais dans les 40 kms du pourtour de Gaza, on n’a pas eu le choix.
Maudite sonnerie. Trente secondes pour se planquer dans les cages d’escaliers au beau milieu de la nuit dans le meilleur des cas, (ou, dans les moins bons,à moitié nus et dégoulinant de savon et de shampoing devant les voisins auxquels on adresse un sourire gêné). Trente secondes pour choisir l’emplacement le mieux adapté et se coucher sur le ventre dans la rue (comme pour se faire bronzer, sauf que là, on garde le manteau et on se terre entre deux voitures) ; trente secondes pour cavaler sur des talons-aiguilles, d’un arrêt de bus à l’immeuble le plus proche (souvent d’ailleurs, il ne reste plus qu’un seul des deux talons-aiguilles à l’arrivée) ; trente secondes pour accepter d’abandonner sur la table le steak-frites à peine entamé qui nous a tant fait saliver (ça, ça fait mal)… Trente secondes, enfin, que l’on n’a pas le droit de perdre quand on ne veut pas perdre la tête, pour saisir bébés et enfants endormis et se ruer dans les miklatim, les abris.
J’ai vu des gens littéralement tétanisés quand le cri strident de la sirène retentissait soudain, des vieillards résignés, attendant craintivement le bruit de l’impact des roquettes, des femmes enceintes, fort pâles, les deux mains croisées sur leur ventre dans un réflexe dérisoire de protection.
J’ai entendu des enfants rire en pleurant dans les bras rassurants de leur père tandis que des chiens tremblants comme des humains, accompagnaient les sirènes de leurs hurlements. Mais ce que j’ai vu et ressenti surtout, c’est cette entraide, amitié, et complicité qui nous ont tous unis dans ces moments difficiles. « Le ciel est par-dessus le toit, si bleu, si calme… » chantait Verlaine en regardant à travers les barreaux de sa cellule. De ma fenêtre, je vois la mer. Elle est si calme elle aussi aujourd’hui.
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