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Bienvenue chez Monsieur B.! ou l’esprit libre

Bienvenue chez Monsieur B.! ou l’esprit libre

par Osée Kamga

Bienvenue chez Monsieur B.! est un plaisir de lecture. L’histoire se passe dans les cercles d’influence juifs montréalais, et met en lumière leurs ramifications avec le politique aussi bien à l’échelle provinciale que fédérale. Maurice Ben Haïm est recruté par le philanthrope Monsieur B. pour diriger un organisme de sa création voué à la réconciliation des peuples. Le nouveau directeur va découvrir, atterré, que le vrai pouvoir se situe à plusieurs lieux des cabinets ministériels, que dans le jeu politique, les alliances se font et se défont au gré des intérêts, que l’argent a le dernier mot et les idéaux ne sont que vaines paroles.

 

Un roman qui ose

Quand Sylvain, le maître d’œuvre de Monsieur B., demande à Maurice d’écrire un texte sur l’invasion du Liban par Israël, texte qui « expliquerait en détail les raisons de notre intervention au Liban », ce dernier ne peut s’empêcher de penser : « depuis quand « eux » c’est « nous »? Autrement dit, par quelle osmose le Canada et Israël en sont-ils venus à ne faire qu’un? Ou plus prosaïquement, les intérêts stratégiques d’Israël sont-ils toujours et nécessairement ceux du Canada? Face au massacre de Palestiniens attribué au général israélien Chalom, Maurice se demande : « Jusqu’où fallait-il aller pour assurer sa survie? » Les questions de Teboul, peu orthodoxes, bousculent les tabous et traduisent une revendication d’autonomie de pensée, c’est-à-dire un intellect libre de l’assujettissement ethnique. Mais on perçoit dans le ton, non une réprobation ou un jugement, mais une inquiétude, une angoisse, de l’incompréhension. À une époque où il n’en faut pas beaucoup pour être taxé d’antisémite, où il n’en faut que peu pour être accusé de faire le jeu de l’antisémitisme, Teboul, frondeur à souhait, a défini son terrain. Il pousse l’audace d’un cran en s’attaquant à l’unicité souvent proclamée de la souffrance juive. C’est non sans ironie que le personnage d’Arthur Goldberg déclare : « Nous, Juifs, ne tolérons pas que d’autres que nous aient pu souffrir autant sinon plus que nous. On devrait ajouter la lettre J, en forme de copyright, dans un cercle après le mot « souffrance », pour nous réserver l’exclusivité des droits d’auteur. Because we all know that we have an exclusive copyright on suffering.” Un texte rafraichissant, qui nous change du discours doxique des Bernard Henri Lévy et autre Alain Finkielkraut, ces intellectuels juifs qui ont enfoui l’étincelle de leur entendement dans le limon d’un irréductible activisme. Reste que le nœud du roman c’est bien la quête de l’harmonie entre les communautés, entre les peoples, avec une hypothèse à la fois naïve et révolutionnaire : « l’effacement de l’histoire comme fondement de la réconciliation. »

Dans la forme, le style d’écriture, très dynamique, repose résolument sur la voix active; un choix qui cadre avec  la narration où les événements s’enchaînent très rapidement.  On passe d’un lieu à l’autre comme dans un film. Cette rapidité et ce dynamisme fournissent à la lecture de Bienvenue chez Monsieur B.! toute sa fluidité. Plus l’histoire progresse, plus le personnage principal, Maurice Ben Haïm, déchante. Il comprend peu à peu que son poste de directeur du Conseil de la réconciliation intercommunautaire est creux et que sa personne est tout à fait accessoire dans le nébuleux dessein de Monsieur B. dont le Conseil de la réconciliation intercommunautaire ne serait « qu’une autre de ces organisations servant de façade dans un sempiternel jeu de pouvoir. » L’éditorial qu’il est censé écrire lui est servi complètement confectionné. Et tout ce qu’on lui demande, c’est d’y apposer sa signature. L’organisme de réconciliation des peuples qu’il dirige soutient des conflits et finance des attentats. Le tout, à son insu. Même le pantin sait qu’il est là pour servir l’impression que le ventriloque veut créer. Maurice, lui, ignore tout du rôle qu’il est censé jouer. Il faut noter par ailleurs le patronyme foncièrement évocateur des personnages; un travail minutieusement pensé par un auteur soucieux de créer des types.

 

« Jews are news »

C’est ainsi que s’intitule le neuvième chapitre du roman. En note, l’auteur de préciser : « expression signifiant que les nouvelles ayant trait au Juifs représentent une occasion d’augmenter le tirage d’un journal. » Le moins qu’on puisse dire cependant, c’est qu’un silence assourdissant entoure la parution de Bienvenue chez Monsieur B.! Après l’avoir dévoré, j’ai tenté de savoir comment la presse québécoise l’avait accueilli. Pourtant ce texte aux préoccupations brûlant d’actualité n’a suscité jusqu’à ce jour que peu d’intérêt. Jews are news! Victor Teboul sert à la presse québécoise une occasion en or de parler des Juifs, mais celle-ci se refuse de la saisir. Soit cette presse, tout comme l’énigmatique Monsieur B., ne lit pas le français, soit Teboul n’est pas Juif.

Teboul donne le rôle d’un inconditionnel d’Israël à un Québécois, stratégie qui pourrait en étonner plus d’un. Pourtant elle traduit une réalité. En découvrant le personnage de Sylvain et sa manière aveugle de soutenir les politiques quelquefois sanglantes d’Israël, je n’ai pu m’empêcher de revivre cette conversation avec un rédacteur en chef du défunt hebdomadaire montréalais Ici. Un Québécois pure laine. Au terme de la discussion, j’avais eu le sentiment que l’homme, au détour d’un voyage qu’il venait d’effectuer en Israël, gracieuseté de je ne sais plus quel groupe d’influence, avait perdu tout son sens critique. Le roman de Téboul touche ici quelque chose réel, c’est-à-dire cette efficacité avec laquelle le sioniste séculier, fort de ses ressources financières et ses réseaux tentaculaires, réussit à fabriquer une forme de prosélytes. Du coup, on est autorisé à se demander si l’attachement de Sylvain à la survie d’Israël est désintéressé, s’il n’est pas, de manière plus cynique, une simple question de survie personnelle. Après avoir déballé les péripéties de son enfance qui l’ont conduit d’abord dans un orphelinat, puis à l’adoption par une famille juive, le Sylvain conclura : « La survie finalement, c’est ça qui compte. Qu’est-ce qu’on ne doit pas faire pour survivre, mon vieux! » Qui pourrait lui en vouloir!

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