Etat de Palestine : alerte rouge ! (info # 012304/11)[Analyse]
Par Stéphane Juffa ©MetulaNews Agency
Il faut le redire clairement : le moment stratégique est extrêmement mal choisi pour décréter la création de l’Etat de Palestine. Il suffirait, en effet, qu’une vague verte – et pas forcément une prise de pouvoir proprement dite – balaye l’Egypte, la Syrie et d’autres Etats de la région, pour voir la Palestine suivre le mouvement, et Israël, se retrouver voisine d’un régime type Hamas à Gaza, à 15 kilomètres du centre de Tel-Aviv.
Et les convenables Mahmoud Abbas et Salam Fayyad seraient emportés par la lame, tandis que Barack Obama pourrait être chassé de la Maison Blanche par les électeurs, de même que Sarkozy, Fillon et Juppé, qui viennent d’assurer le Président palestinien, à Paris, que 2011 "devrait être l’année durant laquelle un Etat palestinien serait créé".
Les Israéliens pourraient ainsi se voir imposer, disons dans un laps de deux ans, une guerre pour leur survivance, sur les lignes de départ de la Guerre des Six Jours.
Face à cette perspective hautement inconfortable, et devant la frénésie de presque toutes les capitales occidentales, de procéder à l’accouchement de la Palestine sans perdre une seconde de plus, même sur la base d’un traité bâclé, il est raisonnable d’énoncer quelques vérités.
Et plutôt que les dire nous-mêmes, de laisser le Président Shimon Pérès, la personnalité la plus appréciée des Israéliens, toutes époques confondues, le faire à notre place : c’est hier (vendredi) que Pérès a déclaré qu’ "Israël doit faire la paix et non (se contenter de) suggérer des plans de paix".
Le Président, qui fêtera ses 90 ans à la tête d’Israël en août 2013, et qui a visiblement conservé toute sa clairvoyance, a ajouté : "(…) si nous ne voulons pas (qu’on nous impose) des plans étrangers, la meilleure solution consiste en un plan de notre cru, et si nous en produisons un, les autres ne poursuivront pas avec les leurs".
Ajoutons à ces sages paroles, que l’on peut mettre les axiomes de Pérès au passé, et reformuler la chose ainsi : si Israël avait énoncé un plan cohérent d’arrangement avec les Palestiniens, elle ne serait pas à redouter la reconnaissance internationale de la Palestine à l’ONU en septembre.
Si Netanyahu n’avait pas brutalement interrompu les négociations de paix commencées sous Olmert et Livni, et qui s’acheminaient en direction d’un traité viable pour l’Etat hébreu, Israël n’en serait pas à combattre quasi seule et le dos au mur.
Ce, quand de toute façon, ce seront, au mieux pour Israël, les principes des pourparlers Livni-Erekat qui seront appliqués dans n’importe quelles circonstances, tandis que les Palestiniens, se sentant le vent dans le dos, ont, depuis deux ans, rehaussé le seuil de leurs exigences.
Comment en irait-il autrement, quand la France, cent pays du monde et l’administration Obama, sont tout près de reconnaître la Palestine sur les frontières de 1967.
Certes, la proposition européenne (Grande-Bretagne-France-Allemagne), quant à elle, parle des frontières de 1967, aménagées de quelques rectifications, obtenues dans le cadre d’échanges d’autres territoires.
Dois-je rappeler que le 31 mars 2009, la veille de l’accession de la coalition Netanyahu, Lieberman, Ovadia Yossef aux affaires, l’Autorité Palestinienne était disposée – sources Ména et Wikileaks – à accepter le maintien en Israël des deux gros blocs d’implantations de Goush Etzion et Modiin, de même que de la quasi-totalité (à une exception près) des nouveaux quartiers juifs autour de Jérusalem.
L’AP était par ailleurs disposée à céder sans contrepartie de 3 à 5% du territoire d’avant 1967, et de transiger, sur la base d’échanges de territoires de même "qualité", sur d’autres rectifications de frontières.
C’est la révélation de l’étendue des concessions que Saëb Erekat était disposé à faire aux Israéliens, et qui étaient jugées très exagérées par les Palestiniens – en tout cas en l’absence d’un accord signé en main sur le reste -, qui a officiellement exclu Erekat de la vie politique. En réalité, Erekat ne faisait que concrétiser les décisions collégiales du gouvernement de l’AP - et Abbas et Fayyad participaient eux-aussi directement aux pourparlers -, mais il a servi de bouc émissaire à l’Autorité afin de ne pas la fragiliser.
Il est toutefois évident qu’on aurait pu conclure sur ces bases, auxquelles il convient d’ajouter la proposition qu’avait produite Barack Obama, contre un gel de trois mois des constructions dans les implantations, qui garantissait à l’Etat hébreu le droit de conserver son armée sur le Jourdain afin de contrôler, notamment, la nature des importations en direction de l’Etat de Palestine à naître.
Aujourd’hui, le Président américain hésite à émettre son plan de solution actualisé. Nos amis à Washington pensent qu’il va le faire incessamment. Un plan qui ne préconise plus que : la reconnaissance par Israël d’un Etat palestinien basé sur les frontières de 67, en échange de garanties pour sa sécurité ; l’abandon par les Palestiniens du droit au retour, et l’attribution de Jérusalem-est à la Palestine, où elle édifierait sa capitale.
Selon Sami El Soudi, qui l’avait exprimé à l’époque dans ces colonnes, l’abandon par les Palestiniens du droit au retour était déjà acquis lors de la négociation Livni-Erekat !
On l’admettra, on se trouve fort éloigné de la teneur des exigences mutuelles d’avant Netanyahu. Or la publication de ces principes d’accord par Obama, déclencherait le compte à rebours de la création de l’Etat palestinien par la communauté des nations, sans la participation ni l’accord de Jérusalem. Personne n’imaginant, que les Palestiniens et les autres Arabes se contenteraient de concessions moindres que celles établies par les Etats-Unis.
De plus, tout traité imposé par la "communauté des nations", avec, obligatoirement, l’aval de tous les membres permanents du Conseil de Sécurité, signifierait que "le monde" aurait adopté la légitimité des revendications palestiniennes, et, au contraire rejeté le point de vue d’Israël. De plus, "le monde" aurait forcé la main des Israéliens, par un acte commandé à l’Etat hébreu, non à l’issue d’une intervention militaire, mais dans le même esprit.
On n’assisterait pas à l’instauration d’une paix d’aucune sorte, mais à l’imposition d’une solution non négociée entre les parties à un conflit. Le monde arabe sortirait terriblement renforcé par l’application d’une telle mesure (même si Israël refusait de la mettre en œuvre sur le terrain), voyant la légitimité de ses exigences traditionnelles reconnue par "le monde", tandis que celles de son ennemi seraient déclarées illégitimes et rejetées.
Les lecteurs de la Ména le comprennent désormais : toute solution du différend imposée à Israël (qu’elle soit ou non appliquée), au contraire d’un accord négocié entre les parties, ne marquerait certainement pas la fin du conflit israélo-arabe. Bien au contraire, une solution imposée à Israël ferait office de blanc-seing donné aux Arabes pour passer à la phase de notre élimination physique.
En cas de refus probable des Hébreux d’obtempérer à une double résolution de l’Assemblée générale et du Conseil de Sécurité de l’ONU, la lutte des Palestiniens et des Arabes contre Israël porterait officiellement le sceau de l’assentiment international. Notre posture ne serait pas uniquement celle d’un isolement implacable, comparable en tous points à celui de l’Afrique du Sud au temps de l’Apartheid, l’existence, ici, deviendrait tout simplement intenable.
Nos échanges commerciaux, culturels et universitaires, de même que notre liberté de déplacement à l’étranger seraient entravés par des sanctions, et l’on aboutirait, inexorablement, à un embargo sur la fourniture d’armes et de munitions. Bref, ceux qui n’auraient pas fui ce pays à temps se retrouveraient à combattre la dernière bataille, désargentés, et méprisés comme le fut la Serbie à l’occasion de la Guerre du Kosovo, avec des arcs et des flèches.
Ce scénario apocalyptique pour Israël est malheureusement, en cette fin avril 2011, beaucoup plus tangible que ne le laisse augurer le calme relatif qui prévaut.
Et toujours pas le moindre plan, le moindre projet de résolution rendu public par le gouvernement israélien. Des voix, au contraire, d’écervelés à l’extrême droite et chez les Edennistes, poussent Netanyahu à garder son mutisme et à affronter les USA et "le monde" en face-à-face. C’est plus qu’idiot, c’est suicidaire.
Et Benyamin Netanyahu a les mains ficelées par son alliance avec Lieberman, le ministre populiste des Affaires Etrangères, qui vient de se voir inculpé de trois chefs d’accusation majeurs par la justice de son pays. Et qui continue d’occuper sa fonction comme si de rien n’était, et de contredire publiquement le chef du gouvernement auquel il appartient, sur les sujets de politique étrangère et de sécurité.
Il se dit en coulisses que Netanyahu préparerait un plan, qu’il dévoilerait fin mai lors de la réunion de l’AIPAC, puis devant le Congrès US. Un plan, différent, bien entendu, de celui de Barack Obama. On va donc se trouver, cet été, en présence de deux plans de paix, rédigés sans consultation entre les gouvernements qui, d’un point de vue stratégique, devraient être les meilleurs alliés de l’univers.
Benyamin Netanyahu s’apprête ainsi à "jouer le Congrès étasunien contre son Président". Pari terriblement périlleux, même si le 1er ministre est à peu près assuré de prendre l’ascendant sur Obama dans un Congrès à majorité Républicaine, partisane d’Israël. Or, en définitive, ça n’est pas le Congrès qui donne à l’ambassadeur de l’Amérique au Conseil de Sécurité ses instructions de vote, mais le Président. Et c’est de l’issue du vote prévisible, au Conseil de Sécurité, sur la proclamation de l’Etat de Palestine, que dépend l’enclenchement de la réaction en chaîne que j’ai brièvement décrite précédemment.
Tous ces risques, pour la seule raison que Netanyahu, dépassé par les événements, persiste à privilégier ses chances aux prochaines élections générales – dans un peu moins de deux ans -, en conservant une coalition qui le paralyse, contre un basculement d’alliance et l’évitement du pire.
Car la seule façon d’éviter la discussion sur l’Etat de Palestine en septembre ne se situe pas dans un exercice de rhétorique devant le Congrès mais dans la reprise immédiate des négociations avec Abbas, précisément là où elles ont été abandonnées à l’hiver 2009. Et muni de la compréhension stratégique, qu’il se situe dans l’intérêt vital, et donc absolu, d’Israël de parvenir à un accord négocié avec les Palestiniens.
Il s’agit d’un dispositif de sauvetage en situation d’alerte rouge. Ensuite, il importera de renvoyer Netanyahu cultiver son jardin. Parce que le statut de ce pays ne s’était jamais détérioré aussi rapidement que durant les deux années écoulées. Que cela n’est pas dû à des difficultés objectives qui se seraient imposées au Président du Conseil, mais à son incurie, à son inaptitude à diriger un pays, à son incapacité de poser une politique. N’importe quelle politique.
En Israël même, des personnalités publiques alertent l’opinion. Il ne s’agit pas, cette fois, de groupuscules gauchistes, mais de 25 lauréats du Prix Israël, le Prix se situant au cœur du symbole de l’israéliénité. Ils en appellent à la reconnaissance de la Palestine par Israël, plutôt que de l’imposition à Israël de reconnaître la Palestine.
Et il n’y a pas que ces "artistes" pour prévenir du danger ; la classe des affaires, sortant de sa réserve traditionnelle, s’est elle aussi mobilisée. En substance, elle soumet exactement le même SOS.
Le temps stratégique est assurément défavorable à la création de la Palestine en ce moment de déstabilisation complète du monde arabe et de cette région. L’urgence, fort probablement, d’un tel décret est totalement artificielle, et la bienveillance de l’Occident – à l’exception pointée d’Angela Merkel et de l’Allemagne - à son égard est sans doute une erreur.
Ceci dit, il appartient à ceux qui dirigent un pays de s’adapter à la folie permanente du monde et non de forcer le monde à accepter sa raison particulière. Cela se nomme tout simplement gouverner. Et si Israël avait été gouvernée depuis deux ans et des broutilles, elle pourrait aujourd’hui se consacrer à ce qui la concerne avant tout : la menace atomique grandissante de l’Iran.
Mais on ne peut pas courir tous les lièvres simultanément ; les sauvages et ceux que l’on a soi-même libérés dans la nature. Et on ne peut faire un bon chasseur en soumettant l’avenir d’une nation à son (de plus en plus) hypothétique réélection dans deux ans. Pourtant, chaque jour passant désormais sans qu’une solution soit trouvée affaiblit irréversiblement la position d’Israël et affermit celle des Palestiniens. Les écoliers du primaire le voient et le comprennent.
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