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Islamisme : Tunisie et Maroc, au-delà du parallélisme des formes

Islamisme : Tunisie et Maroc, au-delà du parallélisme des formes

Le poids réel ou supposé du Parti pour la Justice et le Développement (PJD) constitue, à n’en pas douter, la grande inconnue des législatives anticipées du 25 novembre au Maroc. Pour la presse internationale, qui fonctionne selon le parallélisme des formes (puisque Ennahda a gagné à Tunis, le PJD gagnera au Maroc), les 395 députés qui seront désignés au terme de ce scrutin, qui se tient après l’adoption de la nouvelle constitution, seront majoritairement islamistes.

 

En fait, rien n’est joué sur le terrain avec, d’une part, une Koutla (USFP, Istiqlal, PPS) affaiblie, mais qui ne veut pas mourir de sa belle mort, un « G8 », surnom populaire donné au bloc de huit partis formé autour du tandem PAM-RNI au poids réel encore inconnu et, bien entendu, des islamistes énigmatiques qui rappellent devant les micros leur admiration pour la Turquie d’Erdogan, oubliant volontiers que la renaissance de ce pays ultra-autoritaire ne vient pas tant des réformes islamistes (qui veulent réintroduire le voile à l’université) que des choix kémalistes à caractère autoritaire.

Le parallélisme établi par les grands médias entre le Maroc et la Tunisie ignore superbement que les deux pays ont connu des cheminements différents depuis l’expansionnisme Ottoman. Si la Tunisie fut envahie et administrée par un bey (représentant de l’empire Ottoman), tel ne fut pas le cas pour le royaume chérifien, seul pays arabe à échapper aux cavaliers d’Istanbul.

Bourguibisme inspiré du kémalisme

De même, au lendemain de l’indépendance, la Tunisie musulmane, déjà déstructurée par des siècles de colonisation ottomane, allait tomber sur un bourguibisme inspiré d’Attaturk qui faillit supprimer le jeun du ramadan, au nom d’un « djihad islamique », et imposa un nouveau code civil, dans lequel le statut de la femme tunisienne est élevé au rang de celui
de la femme moderne. Ce bourguibisme, qui cultivait le modernisme avec un certain extrémisme, encouragé par les partenaires occidentaux, tranchait avec les réformes par à-coups entreprises par la monarchie marocaine au
lendemain de la fin du protectorat.

Ainsi, ce n’est que dans les années 2000 que la femme marocaine a hérité d’un statut moderne, la « Moudawana », fruit d’un consensusentre les Oulémas, les réformistes et les conservateurs.En Tunisie, la rapidité des réformes de Bourguiba, mal assumées par le grand nombre, a nourri l’islamisme extrémiste dans les grands centres urbains et dans l’arrière-pays resté
conservateur. A cela s’ajoute une répression féroce de Ben Ali qui n’offrait à Ennahda qu’une seule voie, celle de l’exil.

 

La séduction de la première fois

Au Maroc, le PJD, très tôt, s’initiera à la politiqueet participera à divers scrutins qui l’amèneront à administrer des régions, des mairies et des communes, ainsi qu’à occuper des sièges parlementaires. C’est dire que la séduction de la première fois, qui a joué en faveur d’Ennahda dans le scrutin tunisien du 23 octobre, n’existe pas ou que partiellement dans celui du 25 novembre au Maroc. Certes, c’est peut-être la première fois que le PJD va se présenter dans toutes les circonscriptions.

L’ambiance « printemps arabe » favorise ce parti dopé, il faut le dire, par l’immobilisme des dinosaures de la Koutla et le tardif regroupement « électoraliste » du G8. N’eut été l’étrange Tunisie, où la liste des femmes a opté à 80% pour Ennahda,
l’on aurait pu ajouter que les jeunes du 20 février, amoureux de la liberté et clients parfaits du capitalisme, sont immunisés contre la tentation islamiste. Les tentatives de récupération et les appels du pied, dont font l’objet ces jeunes depuis le début du printemps arabe, les éloigneront-ils de leur matrice originelle ? Ces jeunes qui appellent au boycott, comme du reste ils l’avaient fait lors du référendum pour la nouvelle Constitution du 1er juillet 2011, seront-ils condamnés à suivre les trajectoires splendides et éphémères des comètes ? Se réservent-ils pour des joutes futures ?

Destins de comètes

Bref, au-delà de ce parallélisme des formes entre la Tunisie et le Maroc, il faut dire que les scores risquent d’être serrés. Le prochain vainqueur sera sûrement obligé de nouer des alliances. Le Premier ministre qui sera désigné dans le parti arrivé en tête des élections sera-til PJD ? Ce parti, qui compte 47 députés dans l’actuelle législature, confirmera-t-il la prophétie
auto-réalisatrice des médias ou devra-til, comme en 2002, quand les Américains républicains prévoyaient un ras de marée islamiste au Maroc, lequel n’arriva jamais, faire l’expérience, cruelle, du décalage entre le favori des médias et l’heureux élu ?
Cela dépendra de plusieurs paramètres, dont le taux de participation, enjeu de ce scrutin, qui n’avait atteint, rappelons-le, que 37% lors des dernières législatives de 2007. La nouvelle assemblée comptera 70 sièges supplémentaires, réservés aux femmes et aux jeunes. Profiterontils de la jeunesse de l’électorat, constitué à plus de 57% de moins de 35 ans ?

Les grands maux de la mondialisation (inégalité et chômage), en écho aux mouvements « Occupy Wall Street » et des indignés de Madrid ou de Londres, viendront sans doute ajouter leur grain de sel à des pronostics qui ne reposent guère sur des sondages, mais sur des rapprochements entre pays arabes, africains et maghrébins, forcément semblables.

Par Mohamed B Fall

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