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Maroc : Les villes impériales

Maroc : Les villes impériales

 

 

« À grand roi, grande ville » expliquait au XIVe siècle l'historien Ibn Khaldoun. AuMaroc, les quatre cités de Fès, Marrakech, Rabat et Meknès semblent avoir été créées pour illustrer cette affirmation. Dès qu'un souverain choisissait l'une d'entre elles pour y vivre avec sa cour, elle devenait en effet l'objet de toutes ses attentions. C'est ainsi que, successivement, les quatre villes se sont couvertes de monuments, pour le plus grand prestige de celui qui y avait élu domicile.

À notre tour d'aller découvrir ce qui fait la spécificité et le charme de chacune.

Isabelle Grégor

Le Maroc sous le regard de Delacroix et Matisse

Le XIXe siècle est le siècle des voyages : à la suite de Bonaparte de retour d'Égypte, la génération romantique va regarder au-delà des mers pour essayer de soigner son mal de vivre. Peu après l'apparition de djinns dans la poésie de Victor Hugo (Les Orientales, 1829), Eugène Delacroix s'embarque pour le Maroc dans les bagages de la mission diplomatique du comte de Mornay.

Lassé du néo-clacissisme et de ses décors antiquisants, il cherche de nouvelles sources d'inspiration pour exprimer ses passions. Il y trouve « un lieu tout pour les peintres » où l'oeil de l'artiste est à la fête, envouté par les drapés des costumes, les tourbillons des fantasias, les jeux de lumière...

De Tanger à Meknès, monuments, paysages et bien sûr belles indigènes finissent croqués dans ses carnets. De retour à Paris après six mois de voyage, il se plonge dans ses esquisses pour réaliser quelques-uns de ses plus célèbres tableaux, commeLa Noce juive au Maroc (1841).

À sa suite, d'autres traverseront la Méditerranée pour renouveler leur inspiration, à la façon d'Henri Matisse qui n'hésitera pas à déclarer : « La révélation m’est venue d’Orient » (Art présent, 1947).

Formes, contrastes et teintes nouvelles vont naître de son séjour à Tanger en 1912. Cette expérience le poussa à simplifier ses compositions et jouer davantage sur la juxtaposition des couleurs.

 

Fès, la lettrée

Fuyant les califes de Bagdad, Moulay Idriss, descendant du Prophète, trouve en 789 refuge auprès des peuplades berbères du centre du Maroc. Comme il profite enfin d'un peu de repos au bord de l'oued Fès, il choisit l'endroit pour y fonder la première ville musulmane du pays.

Rapidement, la petite cité gagne en population, notamment lors de l'arrivée des Andalous chassés d'Espagne en 818 puis de celle des familles d'artisans arabes venues de Tunisie.

Ville commerçante grâce à sa position charnière au pied du Moyen Atlas, Fès se fait aussi une réputation de centre culturel au point d'être désignée comme « l'Athènes de l'Afrique ».

Délaissée par les souverains à la fin du XVe siècle, victime de la peste et de la famine, elle sombre dans la misère. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour qu'elle retrouve son rayonnement dans le pays.

Principaux monuments :

− la médina : centre traditionnel de la ville, la médina (quartier ancien) de Fès a été distinguée dès 1976 par l'Unesco au regard du nombre de ses monuments présentant un intérêt architectural ; elle renfermerait en effet près de 10.000 habitations remarquables. 

Avec une disposition qui n'a pas changé depuis le XIIe siècle peut-être à cause de ses remparts percés de portes monumentales, elle est toujours la plus vaste du Maghreb.

− les souks : à l'intérieur de la vieille ville, un labyrinthe de ruelles emmène le visiteur vers les souks et quartiers des artisans.

Parmi ceux-ci, le plus célèbre et le plus spectaculaire reste celui des tanneurs, installé depuis le Moyen Âge à proximité de l'oued qui permet de remplir de son eau les cuves destinées à la coloration des peaux.

− la Qaraouiyine : cette mosquée-université tire son nom de la ville de Kairouan d'où venaient les réfugiés qui l'ont bâtie en 857. Possédant près de 10.000 manuscrits anciens et quelques incunables, elle est un des plus anciens centres d'enseignement religieux du Maghreb.

− la zaouïa de Moulay Idriss : cette zaouïa (édifice religieux) rend hommage à Moulay Idriss, fondateur de la ville. Ce lieu de pélerinage est protégé par des poutres disposées au travers des rues attenantes : elles avaient pour fonction d'éviter le passage des ânes.

− le fondouk el-Nejjarine : désormais musée des Arts et Métiers du bois, cet élégant bâtiment a retrouvé récemment sa plendeur du XVIIIe siècle, lorsqu'il était encore un fondouk, à la fois entrepôt et caravansérail.

Coucher de soleil sur Fès

« Cependant l'or s'assombrit, s'éteint partout ; l'espèce de limpidité rose qui resplendissait sur la ville religieuse remonte peu à peu vers les couches les plus élevées de l'air ; seuls, les sommets des tours brillent encore, avec les plus hautes terrasses ; une pénombre violette commence à se répandre dans les lointains, dans les lieux bas, dans les vallées. [...]

L'or continue de se ternir partout. Fès est déjà plongé dans l'ombre de ses grandes montagnes ; Fès rapproché se noie dans cette vapeur violette, qui s'est élevée peu à peu comme une marée montante ; et Fès lointain ne se distingue presque plus. Seules, les neiges au sommet de l'Atlas conservent encore, pour une dernière minute mourante, leur étincellement rose...

Alors un pavillon blanc monte au minaret de Mouley-Driss. Comme une réponse subite, à tous les autres minarets des autres mosquées, d'autres pavillons blancs semblables apparaissent :
— Allah Akbar ! » (Pierre Loti, Au Maroc, 1890)

 

Marrakech, « celle qui réjouit le cœur des hommes »

Ville des Berbères et nomades du Sud, Marrakech occupe une place à part dans l'Histoire du Maroc : n'a-t-elle pas donné son nom au pays ?

Fondée au XIe siècle, l'oasis devient le centre de l'empire almoravide qui s'étend alors de l'Espagne au Niger.

Riche des produits des caravanes, elle se couvre de bâtiments dans le style hispano-mauresque, inspiré de l'Andalousie.

Ce n'était malheureusement pas du goût du sultan almohade qui s'empara de la cité en 1147...

Inspiré par un islam plus rigoureux, le souverain fait raser palais et mosquées pour les remplacer par des édifices plus sobres, dans un style original, inspiré des traditions sahariennes, à l'image de laKoutoubia.

Dans ses jardins raffinés, il fait venir les grands poètes et penseurs de l'époque, comme le philosophe Averroès.

Affaiblie par la décadence des Almohades, à partir de 1199, Marrakech ne redevient capitale qu'au XVIe siècle et profite alors largement de l'or rapporté de Tombouctou par les Saadiens.

Les siècles suivants furent constitués de périodes successives de faste puis de déclin, chaque souverain marquant son passage par quelques constructions avant que la ville ne soit de nouveau délaissée.

La mise en place du protectorat français en 1912 marqua le début de la modernisation avec la construction de nouveaux quartiers administratifs sous l'impulsion du général Lyautey.

Principaux monuments :

− la médina : comme sa rivale de Fès, la médina de « la ville rouge » fait partie de la liste de l'Unesco depuis 1985.

Derrière ses 19 km de murailles, des milliers d'artisans s'attachent aujourd'hui à restaurer les maisons traditionnelles, les fameux riads, souvent transformés en hôtels. Leur réputation ne pourra cependant atteindre celle de la Mamounia, un des plus luxueux palaces au monde, ouvert en 1925.

− la place Jemaa-El-Fna : cœur de la ville, la place est devenue un lieu de rencontre et de promenade incontournable, notamment grâce à son ambiance assurée par les charmeurs de serpents, porteurs d'eau et autres personnages pittoresques.

− la Koutoubia : la mosquée des marchands de manuscrits est un bel exemple de l'architecture de la dynastie des Almohades (XIIe siècle), faite toute de simplicité et d'harmonie. Haut de 77 mètres, son minaret a un air de famille avec la Giralda de Séville, construite sur le même modèle.

− la médersa Ben Youssef : cette résidence d'étudiants a été reconstruite en 1565.  Elle se compose de 132 chambres dont l'austérité contraste avec le reste du bâtiment à la décoration somptueuse.

À proximité, le musée de Marrakech et la fontaine de la Kouba Ba'Adiyn montrent tout le savoir-faire des artisans marocains au fil des siècles.

− les tombeaux saadiens : la beauté exceptionnelle de ces mausolées leur valut, à la prise de la ville par Moulay Ismaïl, d'être protégés par le conquérant alaouite qui les fit pratiquement disparaître sous d'épais murs. 

Ces joyaux ne furent redécouverts qu'en 1917 par des aviateurs.

− le palais de la Bahia : la construction des 150 pièces de « la Brillante » fut tellement longue que l'expression « la Bahia est enfin terminée » est passée dans le langage courant.

Achevée dans les années 20, la demeure du richissime vizir Ba-Ahmed, devenue ensuite la résidence de Lyautey, bénéficia en effet des meilleurs architectes et artisans du pays qui tentèrent de faire aboutir un projet sans cesse modifié par l'achat de terrains annexes.

− les jardins de la Ménara : créés au XIIe siècle par un sultan almoravide autour d'un réservoir d'eau, ils ont été réaménagés au XIXe siècle en jardins d'agrément et sont devenus célèbres grâce à la présence d’un petit pavillon saadien dont l'image se reflète dans l’eau du réservoir.

− le jardin Majorelle : élaboré par le peintre Jacques Majorelle dans les années 1920, le jardin a été restauré par le couturier Yves Saint-Laurent qui a redonné tout son éclat au fameux bleu Majorelle qui couvre murs et pergolas.

 

Rabat, la ville des corsaires

D'origine phénicienne, Rabat doit son nom à un ribat, monastère fortifié construit au Xe siècle. Cette identité guerrière ne se démentira pas par la suite puisque la ville des souverains almohades devient le point de départ de leur combat contre les Espagnols, au XIIe siècle.

Après une période d'immobilité, ce sont les derniers Maures d'Espagne qui vont offrir à ce port un nouveau siècle de prospérité : réfugiés au XVIIe siècle à Rabat, ils se font corsaires et finissent même par créer une « République des deux rives », indépendante du pouvoir central.

L'aventure prend fin en 1930 avec l'occupation d'Alger par les Français, mais Rabat ne tombe pas pour autant dans l'oubli : elle est choisie comme capitale du protectorat en 1912 avant de devenir la capitale administrative du royaume.

Principaux monuments :

− la grande mosquée disparue : elle aurait dû être la plus grande du monde avec ses 424 piliers. Voulue par les Almohades au XIIe siècle, il n'en reste qu'un champ de colonnes et surtout la massive tour Hassan dont les 44 mètres reflètent mal la majesté d'origine de l'ensemble. C'est à proximité que le roi Mohammed V, le père de l'indépendance du pays, a choisi de faire édifier son mausolée pour renfermer son sarcophage taillé dans un seul bloc d'onyx blanc.

− la kasbah des Oudaïa : cet ancien quartier fortifié aux murs bleus et blancs tient son nom de la tribu des Oudaïa, installée dans cette partie de la ville au XIXe siècle. Dans la muraille qui l'entoure a été percée une porte célèbre pour ses représentations d'animaux, rares dans l'art de l'islam.

− la nécropole de Chellah : construite hors des murs de la ville, sur le site d'une ville romaine, la nécropole des Mérinides (XIVe siècle) se distingue par son enceinte dans laquelle s'ouvre une porte richement sculptée. Cet endroit est devenu un lieu de promenade apprécié, peut-être à cause de la légende racontant qu'une source miraculeuse y abriterait un poisson d'or et des anguilles apportant la fertilité.

 

Meknès, un Versailles dans les orangers

Meknès est la ville d'un prince : Moulay  Ismaïl.

Contemporain de Louis XIV auquel il demanda la main de sa fille Anne-Marie de Bourbon, le souverain alouite admirait à tel point le roi-soleil qu'il voulut l'égaler à tout prix.

C'est pourquoi il multiplia à partir de 1672 les chantiers pour rendre sa capitale digne des plus grands. En quelques années, sous l'action d'une armée de travailleurs, s'élevèrent des kilomètres de murailles, des palais, des bassins...

Objet d'une effervescence architecturale d'un demi-siècle, la petite ville célèbre pour ses oliviers changea complètement de visage pour s'élever au niveau du rêve du sultan. À la mort de celui-ci, ses successeurs négligèrent peu à peu les monuments puis la ville elle-même, qui perdit son rang de capitale.

Principaux monuments :

− les remparts et portes : Bab Mansour el Aleuj tiendrait son nom de Mansour le Renégat, l'architecte chrétien qui aurait imaginé au XVIIIe siècle cette porte monumentale, la plus belle du Maroc. Comme les dizaines d'autres portes de la ville, elle permet de franchir la large enceinte de 3 mètres de hauteur qui ceinture la médina et le palais.

− les greniers et anciennes écuries : ce sont des murs de 4 mètres d'épaisseur et des canalisations souterraines qui permettaient de maintenir la fraîcheur nécessaire à la conservation des denrées. À proximité, les écuries s'étendant sur 4 hectares ne renfermaient pas moins de 12.000 chevaux.

− la zaouïa al-Hadi Ben Aïssa : ce mausolée honore le saint fondateur de la confrérie des Aïssaoua qui, dit-on, transformait les feuilles d'olivier en pièces d'or.

− le mausolée de Moulay Ismaïl : orné de colonnes provenant des ruines romaines voisines de Volubilis, le bâtiment funéraire est décoré de marbre et de cèdre sculpté ; à proximité du tombeau du fondateur de Meknès sont disposées les horloges que Louis XIV lui aurait offertes après lui avoir refusé la main de sa fille.

Source bibliographique

Les Villes impériales du Maroc (éditions Telleri, 2001), un livre richement illustré de Mohamed Métalsi, historien d'art et directeur à l'Institut du monde arabe.

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