Israël, nouvel eldorado des start-up
Par Cécilia Gabizon
Il s'en crée 500 tous les ans, ce qui place l'État hébreu juste derrière les États-Unis.
C'est la nouvelle Silicon Valley. La Silicon Waddy comme on l'appelle en Israël. Ces dernières années, l'État hébreu est devenu une terre de start-up. Il s'en crée près de 500 chaque année. Et l'on compte plus de sociétés israéliennes cotées au Nasdaq que d'européennes.
Israël dispose, selon les derniers classements, du plus fort indice d'investissement en recherche par tête d'habitant au monde. La plupart des grands groupes américains Google, Yahoo!, Intel, Microsoft… ont installé des laboratoires de R & D à Haïfa, dans le quartier de Matam, au bord de la mer! C'est ici que Kinnect a été inventé, tout comme le processeur Centrino, d'Intel, ou Google Suggest, qui suggère des choix dès les premières lettres tapées dans le moteur de recherche.
Petit territoire de la taille de la Bretagne, microscopique marché local avec ses 7 millions d'habitants, Israël a pourtant des allures de village global. On y trouve des migrants du monde entier dont des scientifiques brillants formés en Union soviétique et arrivés massivement dans les années 1990. L'État soutient largement ce dynamisme technologique. «Il consacre 6% de son PIB à la R & D. Le pays affiche aussi le plus fort taux d'ingénieurs par habitant…» détaille Nicole Guedj, la présidente de la fondation France Israël qui vient d'emmener 11 blogueurs high-tech français à la découverte du «miracle technologique».
Si le monde de l'Internet israélien apparaît bronzé et en short comme en Californie, planant au-dessus des conflits de frontières et de religions, il reste largement imbriqué dans l'armée. «Les Israéliens sont particulièrement performants sur le traitement du signal dans les technologies à la fois civile et militaire», analyse Stéphane Distinguin de Faber Novel. «Ils sont capables d'analyser le taux d'agressivité d'une conversation. Et ces technologies sont maintenant utilisées dans le télémarketing», ajoute Roseline Kalifa, d'Orange. Tsahal recrute des ingénieurs extrêmement brillants dans les unités les plus en pointe et forme également les jeunes recrues à l'intelligence numérique. Les gradés viennent exposer leurs besoins sur les campus. Ils ont ainsi réclamé un moustique espion… Les militaires se rendent notamment sur le campus du Technion à Haïfa, la fameuse université scientifique créée avant même la naissance de l'État d'Israël par le mouvement sioniste pour assurer le développement de la nation qu'il voulait bâtir. En 1922, Albert Einstein qui le visitait avait prophétisé: «Israël ne pourra survivre qu'en développant la connaissance et la technologie.» Aujourd'hui encore le Technion se classe parmi les meilleurs cursus en informatique ou dans les biotechnologies. L'université a décloisonné les cursus pour développer «une vision plus globale. Car nous ne progresserons qu'ainsi maintenant», explique Ilan Marek professeur de chimie.
Incubateur sur le campus
Au-delà de cet enseignement pluridisciplinaire, le Technion est aussi une pépinière. Encouragés par l'administration, près de la moitié des professeurs ont créé une start-up! «D'autant qu'ici, on n'est pas inhibé par la peur de l'échec» explique Ilan Malek qui a vécu en France. «On ajuste, on recommence.» Les entrepreneurs ne sont guère pénalisés par une faillite. Sur le campus, un incubateur est même destiné aux étudiants. Déjà polytechnicien, Yonathan Afflalo pensait poursuivre son cursus au MIT à Boston, lorsque des professeurs français lui ont conseillé le Technion. Il a intégré l'une des unités les plus performantes de maths appliquées au traitement des images… «Le niveau est excellent. Les gens ne se croient pas arrivés parce qu'ils ont fait de bonnes études. Il faut toujours démontrer ce que l'on vaut. Les étudiants ont fait trois ans de service militaire et arrivent supermotivés. Rien à voir avec les étudiants français!»
Les inventeurs bénéficient également de quelque 70 incubateurs, dont 24 financés à 80% par des fonds publics. Les investissements high-tech sont gigantesques, estimés à 1,4 milliard de dollars en 2010 selon FrenchWeb. En général les Israéliens montent des boîtes à forte composante technologique. Par tradition, mais aussi pour éviter les boycotts, ils visent plutôt le marché des entreprises que des particuliers. Au point qu'ils semblent parfois passer à côté du Web social qui monte en puissance ces dernières années.
Projets mixtes à Nazareth
C'est l'un des incubateurs les plus symboliques d'Israël. Le seul à soutenir explicitement des projets portés par des Arabes israéliens, ou mixtes. Localisé à Nazareth, le NGT est largement financé par des fonds publics. Il porte 24 projets dont VP Sign fondée par Belal Lehwan. Cette start-up a breveté une solution pour sécuriser les signatures électroniques. Désormais, sur un terminal spécial, les compagnies d'assurances ou les banques pourront faire valider des documents à leurs clients, directement sur l'écran. Le procédé est en passe d'être commercialisé. «Les Arabes israéliens ont besoin d'une aide particulière, car ils ne disposent pas des débouchés habituels dans l'armée», explique Nasri Said, qui le dirige. «L'incubateur leur permet de trouver des financements et surtout des réseaux.»
Un air californien à Tel-Aviv
La mine d'un étudiant, dégingandé et timide, flottant dans une chemise à carreaux. Igor Magazinik est pourtant l'inventeur et le patron de Viber, une application qui permet d'appeler gratuitement de portable à portable, en passant par le Wi-Fi ou la 3G. Pas moins de 10 millions de personnes l'ont téléchargé dans le monde ces derniers mois. La nouvelle version permet même d'envoyer des SMS. Venu de Russie en 1990, Igor est l'archétype de l'ingénieur israélien, petit génie des maths et entrepreneur audacieux. Tout comme les inventeurs d'Anyclip qui ont mis au point un procédé pointu pour mettre les films en mots. Grâce à leur moteur de recherche, on peut tout retrouver, les acteurs, les dialogues, mais aussi les objets, les lieux. Les studios de Hollywood leur ont déjà cédé 2000 films et YouTube a senti l'aubaine pour circuler dans les millions de vidéos.
Un œil artificiel à Jérusalem Mobileye
C'est une caméra presque aussi performante qu'un œil! Elle distingue les détails, même sous la neige, et évalue la nature des obstacles, reconnaît les panneaux de circulation, les lignes continues. Placée à l'avant de la voiture, cette caméra reliée à un ordinateur gère en partie la conduite. Elle calcule la vitesse de circulation des autres véhicules, optimise les accélérations. Bientôt, nous aurons des véhicules capables d'entièrement se gérer dans un embouteillage, pronostiquent les patrons de Mobileye. Cette start-up israélienne commercialise déjà son invention dans le monde entier et notamment au Japon.
Talmud & techno
Le jour, il investit dans des start-up du monde entier pour Kima Ventures, le fond qu'il a monté avec Xavier Niel. Le soir, il étudie le Talmud et vit dans un des quartiers peuplés de ces religieux tout de noir vêtus, à Bnai Brack, dans la banlieue de Tel-Aviv. À 31 ans, Jeremie Berrebi est tout à la fois un pionnier du Net français, où il s'est fait connaître avec Net2One, et un religieux accompli en Israël, spécialiste des lois commerciales énoncées dans l'Ancien Testament. Il circule de l'ultramodernité à une vie retirée, avec ses bientôt neuf enfants, sans télévision, ni ordinateur. Le Net n'est guère «casher», car peuplé de tentations. Il n'investit pas dans les casinos et autres activités malignes. Et ne serre pas la main des femmes: «C'est mon seul problème.» Autrement, jure-t-il, Talmud et techno se conjuguent harmonieusement
L'esprit de «rootspa»
Journaliste et professeur d'université, Saul Singer a coré-digé un ouvrage devenu un best-seller, Start-Up Nation, qui sortira en France en septembre.
LE FIGARO. - Comment expliquez qu'Israël soit devenu une terre de start-up?
Saul SINGER. - En réalité, le pays est une start-up, toujours dans la nécessité de survivre, de s'adapter. Les ressources naturelles sont faibles et le marché local minuscule. Cela développe l'esprit de «rootspa»: il faut oser prendre des risques. Les gens pensent par mission. Or l'innovation n'est pas une pure idée, mais une intuition réalisée.
L'armée joue-t-elle un rôle majeur?
La recherche militaire débouche sur des applications civiles. Néanmoins, la plupart des start-up ne concernent pas la sécurité. L'armée influence plus durablement l'esprit des Israéliens. Elle est comme un troisième stade de la vie, entre l'enfance et le monde adulte. C'est souvent une épreuve. Les jeunes se trouvent responsabilisés. Ils doivent trouver des solutions, même quand les moyens manquent. L'impact culturel de ces années-là est immense. Les étudiants déboulent sur les campus vraiment mûrs.
Les Israéliens sont réputés pour vendre très vite leur start-up sans attendre leur maturité commerciale...
Les équipes israéliennes sont devenues un centre RD pour les États-Unis. Nous savons travailler avec eux. En revanche, nous ne sommes pas bons pour faire des grandes compagnies, qui sont plus dans la gestion et moins dans l'innovation. Ici, l'esprit de contestation est fort; s'il dope la créativité des start-up, il est peu compatible avec les grandes structures.
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