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Mon petit séjour dans une prison Marocaine, par Victor ihyia Assouline

Mon petit séjour dans une prison Marocaine

 

 

J'ai fait ma Bar Mitsvah avec mon frère Félix (Habib) Assouline. zl.

Il avait Quatorze ans , j'en avais Douze.

Cela se faisait assez souvent au Maroc, quand la famille n'avait pas trop les moyens, on faisait d'une pierre deux coups.

Mon frère avait très bien lu sa part de la Torah mais, moi, c’était autre chose.

Je la connaissais par cœur et, de temps en temps, je levais les yeux du texte et tournais la tête légèrement pour faire comprendre que je pouvais la réciter sans la lire.

Le regard désapprobateur de mon père me ramenait immédiatement sur le texte.

Mon père, qui lui, pouvait prier sans jamais ouvrir un livre et qui connaissait des passages entiers de la torah par cœur, prenait toujours soin de ne jamais le faire en public.

C’était un homme humble et avait horreur des frimeurs.

J'en étais un. Et comédien, en plus. Je faisais tout pour impressionner ou amuser galerie

C’était comme un besoin chez moi. J'en suis guéri aujourd’hui. En tout cas je l'espère.

Après la bar Mitsvah j'avais insisté pour aller a une yeshiva. Mon père, bien qu'il fut observant, n’était pas fou de l’idée et pensait que je ferai mieux de continuer mes études au Lycée comme tout le monde.

La Yeshiva du Marshan a Tanger offrait les deux possibilités; Etudes laïques plus études de la Torah. Donc, un peu contre son gré, je me suis retrouvé a Tanger pendant quelques années.

Quelques mois avant de passer mon brevet, en passant devant le bureau ouvert du directeur de la yeshiva, Mr Poultorak, j'avais eu la mauvaise idée d'y entrer et de fouiner dedans, sans vraiment savoir pourquoi.

J'avais aperçu la griffe  (le sceau de sa signature) du directeur et je l'avais promptement mis dans ma poche avant de rejoindre ma classe.

Ce soir la, dans le dortoir, j'avais fièrement montré la griffe aux copains; J'avais sorti mon carnet scolaire; Chacun d'eux avait affixé une mention favorable sur tous les sujets (geo, math, arabe, français etc) et j'avais tamponné le tout avec la griffe du directeur. Le Rabbin Poultorak.

J'allais complètement oublié cette petite épisode quand une inspection surprise et générale fut appelée.

Il fallait quitter la classe immédiatement et se rendre au dortoir en file indienne, se mettre devant son lit en entrouvrant nos valises respectives.

Inutile de vous faire un exposé sur la suite.

La griffe fut découverte et je fus renvoyé sur le champ de la Yeshiva du Marshan.

Le lendemain je prenais le train pour Casablanca, la tête basse, sachant que mon père n'allait pas du tout apprécié la tournure de ces événements.

 Quelques jours après mon arrivée a Casablanca, ma grande sœur fêtait le premier anniversaire de sa fille et il y avait un monde fou chez elle.

Des coups assez forts et saccadés sur la porte avaient eu un effet glacial sur tous les invités.

Ma sœur s'était empressée d'ouvrir et se retrouva nez a nez devant deux policiers marocains en civil avec mon père juste derrière eux .

Il faut dire que la visite de la police chez les juifs marocains était un événement très rare, sinon quasiment nul.

-“Victor Assouline?.  l'un deux avait dit d'une voix autoritaire.

 A ça, ma mère s’évanouit sur le champ et s’était affalé sur un petit sofa qui se trouvait a l'entrée.

Sans comprendre, j'avançais vers eux. Un des deux policiers m'avait alors passé une menotte au poignet et avait enfilé l'autre menotte a son propre poignet.

Ils s’excusèrent auprès des invités et m’emmenèrent avec eux.

En descendant les escaliers, j'entendais les pleurs hystériques de ma mère et la voix de mon père qui essayait de la calmer.

Le commissariat de police se trouvait pas loin du lycée Ibn Toumert et quelques élèves m’avaient vu y entrer. Bêtement, je relevais la manche de ma chemise pour qu'ils voient bien la menotte.

J'avais 15 ans et, n’étant pas coupable, je ne voyais aucun mal a frimer un peu..Comme d'habitude.

J'ai passé la nuit dans une cellule avec trois autres prisonniers. Mon père avait amené du chocolat et des bananes. Ils avaient tout mangé.

Le lendemain, les deux flics, mes parents, et moi toujours en menotte, montaient sur un bus de la CTM (compagnie de transport marocains) qui devait nous amener a Tanger.

 Entre temps j'avais appris les détails de mon arrestation.

Le lycée du marshan avait rédigé un mandat d’arrêt contre moi pour «Faux et usage de Faux»

 Je sais que c'est dur a croire mais c'est exactement ce qui arrivé.

La griffe du directeur  et le sceau de la yeshiva ayant disparus le jour de mon départ. Ils avaient déduit, évidemment, que c’était encore moi cette fois aussi. Puisque je l'avais fait quelques semaines plus tôt.

Pendant le trajet qui nous amenait a Tanger, ma mère, qui était assise devant, n’arrêtait pas de faire le va et viens jusqu'au fond de l'autobus ou les deux flics et moi avions pris place, et nous amenait toutes sortes de friandises. Moi, inconscient de la gravité de la situation, je rigolais, je fumais et je racontais mes blagues au deux flics qui étaient finalement assez sympa.

Ils  m'avaient conduit directement en prison dans un vieux quartier de Tanger. Mes parents s’étaient arrangés pour trouver un hôtel pas loin de la.

On me dit toujours que j'ai une mémoire sélective et je crois que c'est absolument vrai.

  Certaines situations restent a jamais gravées dans ma mémoire, et dans un détail étonnant.

C’était une cellule médiévale avec deux blocs en pierres recouverts chacun d'un petit tapis en paille.

Pas de couverture que je me souvienne. Un homme d'une trentaine d'années partageait ma cellule.

C’était un juif de la zone espagnole qui s’était enfui en Argentine pendant des années et était revenu au Maroc pour revoir sa mère mourante. Il s’était fait coincer a son retour.

Si son histoire était vraie ou non(il se disait non coupable) je ne pourrai pas le dire .

En tout cas, il avait soudoyé les gardes et on a eu droit a un thé a la menthe et des “sfinj“ tout chauds.

Vers 10 heures du matin je fut conduis a la yeshiva. Mes parents attendait sur le parvis des escaliers et nous sommes rentrés dans le bureau du directeur Poultorak.

Le sous directeur, un ashkenase, dont le nom m’échappe (Sic. Sic.), mais dont je me rappellerai le visage jusqu'à la fin des temps; Un homme très mince et de petite taille, la barbe courte et blonde, se lançait vers moi et me giflait en s'exclamant “- Petit voyou! tu vas nous les rendre, oui ou non?!

 Mon père, qui ne levait jamais, ni la voix ni la main, avait saisi le gros téléphone noir sur le bureau et d'un ton sec avait dit.

-Si vous touchez encore une fois mon fils , je vous casse ce téléphone sur la tête.

L'amour et le respect que j'avais pour lui avaient grandis ,encore plus, a cet instant.

Je démentis leurs accusations en jurant que je n'avais absolument rien avoir avec la disparition des griffes et que je n’étais quand même pas assez con pour refaire la même bêtise.

Mon train avait quitté Tanger a deux heures de l’après midi et le méfait, d’après le sous directeur avait été commis entre midi et deux heures.

 Pour moi, cette histoire n'avait aucun sens. Comment était ce possible que quelqu'un d'autre ait pu faire la même bêtise que moi, au moment même ou je quittais la yeshiva.

Le Sous directeur annonça alors que je resterai a la yeshiva, en garde a vue, le temps qu'il faudra,  jusqu'à ce que j'avoue mon crime et que je restitue les deux sceaux.

Rabbin Poultorak, un homme juste, pour qui j'avais beaucoup de respect était visiblement mal a l'aise. 

Il parla longuement a mon père en privé,  sûrement pour le rassurer que je serai bien traité.

Mes parents ne pouvaient rien faire, et, peut être même, qu'il doutaient un peu ma version des choses.

Ils repartirent le lendemain bredouilles vers Casablanca.

On m'avait installé dans un ancien bureau au deuxième étage de l'école. Un bureau dont les murs étaient en verre a partir de la mi hauteur, ce qui permettait aux élèves de venir m'observer et de ricaner. Comme on observe un animal au Zoo.

Cela durera plus de deux semaines. On m'amenait mes repas et les surveillants m'accompagnaient a chaque fois que je voulais utiliser la salle de bain.

Un Matin, on m'avait ramené au bureau du directeur . D'autre policiers en civil était la.

Sur le bureau était posé un petit paquet.

Un policier en avait sortit les deux sceaux et le petit mot attaché avec .

Ce petit mot qui disait tout simplement. “Assouline est innocent“ !

Je me rappelle ce que j'avais ressenti  quand j'ai lu ce petit mot.

J'avais eu l'impression d’être devenu une victime accablée par le destin, et qui, par ces simples mots devenait un personnage tragique, que ma vie, elle même, était devenu l'enjeu.

Assouline est innocent?...Merde, je le savais déjà, mais, là, on me le confirme. J'avais envie de pleurer.

J'aurai tellement voulu remercier l'auteur du petit mot, dont l'identité reste encore inconnue aujourd’hui malgré mes recherches.

Je n'ai lu le “Procès“ de Kafka que plus tard dans ma vie, mais si je l'avais lu a l’époque de mon incarcération, je me serai peut être identifié au caractère principal.

Mon soulagement n'allait pas durer longtemps.

Le petit adjoint a la barbe blonde se levait déjà vers moi, menaçant.

-“ c'est toi qui a demandé a quelqu'un de les envoyer. N'est ce pas?.

J'ai eu beau démentir, jurer, et essayer de raisonner avec mon bourreau a la barbe blonde , rien n'y faisait et je voyais qu'il avait réussi a faire douter les autres.

- Alors tu restera dans ta petite cage jusqu'à que tu avoue, petit voyou!

A chaque fois qu'il prononçait “petit voyou“, je voulais bondir de ma chaise et lui rentrer dedans.

J’étais bien de choses mais, voyou  je ne l’étais pas encore.

Au fil des jours j'ai reçu plusieurs visites d'un conseiller psychologique de la police de Tanger.

Il me parlait et m'amenait quelques livres a lire. Il se comportait avec moi, et je le comprends bien aujourd’hui, comme avec un enfant délinquant qu'on essaie de réhabiliter.

-“Tu as fait une erreur, c'est pas grave ; je suis sur que tu a appris ta leçon.

-“Si tu avoues, tu peux rentrer chez toi et mettre toute cette épisode derrière toi, et tu pourra rentrer des demain a Casablanca.

 Je réalisais qu'il fallait en finir. Que j'avais trop souffert, que je n'allais pas m'en sortir tant que je ne prononcerai pas les mots qu'ils voulaient entendre,  et je me suis entendu dire ces simples mots.

 Oui !..C’était moi..( ces mots que je regrette jusqu'à ce jour )

 Je venais d'avouer un crime que je n'avais pas commis mais je me sentais bizarrement soulagé.

 A ce stade, je pense que tout le monde l’était. Cette histoire était allée  peut être un peu trop loin.

Dans le bureau du directeur Poultorak, devant deux policiers, j'avais signé quelques papiers .

 Ils ne m'avaient même pas demandé de détails, ils s'en foutaient. Ils avaient obtenu ce qu'ils voulaient.

Une confession de ma part.

 Barbe blonde était le plus fier de tous. Je crois qu'il se prenait pour Sherlock Holmes.

Je me souviens très bien. Son regard méprisant, marqué a jamais dans ma mémoire.

 Sept ans plus tard, a Paris, j’eus ma revanche, ou plutôt , Dieu servit sa punition.

Un  petit monsieur en chapeau et barbe blonde eu la mauvaise idée de s’égarer dans un magasin que je tenais temporairement, dans le quartier chaud de Pigalle, histoire de rendre service a un ami et aussi me faire un peu d'argent de poche. J’étais déserteur de l'armée U.S..sans papiers, je me cachais un peu.

Je l'avais reconnu IMMEDIATEMENT, mais je n'en avais rien fait .

Je ne peux pas vous dire si ses oreilles “Rouge vif “ étaient dues au matériel qu'il venait de feuilleter pendant une bonne demi heure, ou a la phrase que je lui avais jeté au moment ou il s’apprêtait a sortir.

Est ce que vous vous rappelez de moi ? Victor Assouline ?

La honte et l'effroi, évidents sur son visage, ont fait plus qu'assouvir mon désir de vengeance et de justice.

Il y avait une dizaine de petits magasins spécialisés des deux cotés du Bld de Clichy, a Pigalle.

Mais le destin a voulu qu'il rentre dans le mien.

C’était son Tikkun (réparation spirituelle). Involontaire peut être, mais tikkun quand même.

(J'ai beaucoup réfléchi a savoir si je devrait insérer le paragraphe précèdent dans mon récit et j'ai conclu que celui ci faisait partie intégrale de mon histoire, donc important.)

Apres mon épisode a la yeshiva, j’étais rentré a Casablanca,

Les copains me traitaient en hero. les tantes me regardaient de travers.

Moi, j’étais mal a l'aise. Après tout j'avais fait de la prison. De la prison a l'age de 15 ans !.

Je n'avais qu'une idée en tête maintenant, et c’était de partir loin, très loin.

Je voulais mettre cette expérience a Tanger aussi loin de moi que possible.

Mon frère Félix me trouva la solution. 

-“Si tu veux aller en Israël dans un Kibboutz,  je peux t'aider.

Tu a entendu parler du “Hashomer Hatsair ?.

 

A suivre...

 

Victor ihyia Assouline

victorassouline48@gmail.com

Commentaires

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Cher Victor,
J'aime beaucoup ton texte et apprécie la sincérité qui y transparait. Je suis impatient de lire la suite.
Moi aussi j'ai écrit quelques souvenirs de mon enfance passée à Casablanca. Les trois premiers volets ont été publiés sur dafina. J'écrit sous mon nom, Henri Levy. Si cela t'interesse de les lire, tu les trouveras facilement.
Moi aussi j'ai fait ma Bar Mitzvah bien après l'âge requis afin de la célébrer avec mon frère cadet. Je dois te dire que jusqu'a ce jour j'ai le sentiment d'avoir été volé, privé d'un évènement important de ma vie. Je dirais peut être un jour ce qui me reste de cette frustration.
Préviens moi quand la suite de ton histoire sera en ligne. Merci.
A bientôt
Henrilevy.77@gmail.com

Bonjour.

Votre temoignage sur Tanger m'a rappelle aussi des souvenirs.
J'ai beaucoup soufert a l'internat et aussi de me trouver dans cette ecole dirigee par des Rabbins Ashkenaze et ils avaient aussi la direction de la Yeshiva avec le Rav Solomon et autre...
Le directeur en 1963-64 ou j'etais en 6e etait donc Mr Poultorac et son second etait Monsieur Blumhof.
Les deux ne sont plus de ce monde.
Il y avait la villa Dradeb et la villa Estoril . Internat separe pour les 6-5-4-3 et l'autres pour 2e 1e et terminale. Pour les classes nous avions tous le meme batiment.
Otsar Hathora etait la fondation et nous avons meme eu droit a la visite du philanthrope qui soutenait la fondation et originaire de Syrie.
Monsieur Isaac Shalom etait appelle aux USA : le roi du mouchoir. Un petit monsieur qui etait bien sympathique.
Ce dont j'ai le plus soufert c'etait la salete a l'internat. Je n'arrivait pas a etudier.
Comme le general Gamal Abdel Nasser etait venu au Maroc pour le faire rentrer dans la ligue Arabe,Il avait aussi monte les populations contre les juifs..
J'allais tous les jours a l'ecole en passant par cette grande place ou il y avait le stade ou les juifs qui y jouaient etaient toujours insulte. Il y avait aussi le canon pour signaler la fin du Ramadan. Quand on l'entendait on criait : HARRIRA. Cette fameuse soupe delicieuse que nous aussi mangions aussi a la maison.
Passer de l'internat a l'ecole etait toujours terrible. Nous etions lapide et frappe. Ou un coup a la base du crane pour nous faire baisser la tete ( un juif n'a pas le droit de marcher la tete haute ) ou ce que les copains appelaient un " gaaya ". Un mauvais coup , violant avec l'index , sur le crane. ( Gaaya c'est le trait des accents de la parasha ). Heureusement que mes parents m'ont rammene a Casa au milieur de la seconde annee , je redoublais ma 6e .

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