PETIT DEJEUNER AVEC MIREILLE
Le petit-déjeuner a toujours été pour moi un moment privilégié de ma journée. Pour le préparer convenablement je parcours littéralement des dizaines de kilomètres pour avoir tous les éléments et tous les ingrédients nécessaires.
La confiture d’abricots parfaite, à la combinaison de sucre et de fruits équilibrés, à la consistance juste, ni trop épaisse ni trop liquide, à la concentration adéquate. La meilleure pour moi étant une confiture du Maroc, Aïcha, difficilement accessible mais que je finis par trouver chez un marchand d’origine marocaine du marché Jean Talon à Montréal.
Le beurre doit être français, of course, Normand de préférence, non-salé, L’« Echiré » servi dans les palaces parisiens, étant ma marque préférée.
Un seul marchand la vend à Montréal comme à Los Angeles. J’en fais provision mais pas trop car il risque de tourner même si je le mets dans le congélateur avant de le consommer.
Un beurre doux, rond, savoureux, à consommer dur et pur pour en apprécier toutes les nuances. On croirait voir un pré en Normandie avec des vaches blanches et noires bien nourries lorsqu’on le déguste.
Les bagels ah ! Les bagels de Montréal, uniques au monde. Pas n’importe lesquels, ceux de “chez Fairmount” sur la rue St Viateur coin avenue du Parc.
Lorsqu’ils sortent tout chauds du four, couverts de grains de sésame, fleurant bon la vanille ou je ne sais quel secret ingrédient, ils mettent l’eau à la bouche et enivrent littéralement. Avec du cream cheese et du saumon ou avec du beurre et de la confiture comme je le prépare, c’est délicieux!
Ils mettent dans la voiture où j’installe confortablement ma petite douzaine, un air de fête, une chaleur calme, parfumée et maternelle qui me rappelle le pain chaud et doré de mon enfance.
Le thé, c’est du Gunpowder spécial dans sa petite boîte vert foncé. Les grains ressemblent en effet à des petites balles de plomb, mais plongés dans l’eau bouillante et frémissante elles s’épanouissent telles des fleurs et s’ouvrent largement dégageant un parfum lui aussi enivrant. Accompagnée de menthe fraîche achetée chez une Chinoise de la rue Van Horne qui ne parle ni français ni anglais, mais semble tout comprendre, j’ai maintenant toute ma panoplie.
Le matin, je me lève avec excitation car toute cette préparation m’exalte et donne un sens positif à ma journée. Ce qui explique sans doute grâce à ce cérémonial, ma bonne humeur perpétuelle.
Bientôt tout est prêt, les bagels toastés à point, le beurre qui fond doucement dessus, la confiture à la gelée tremblante et frémissante avec ses beaux morceaux d’abricots, le thé chaud, brûlant au parfum de menthe grisant. Tout est prêt. Je vais entamer mon rituel !
C’est à ce moment précis que ma sœur Mireille m’appelle !
Mireille est ma grande sœur que j’aime. Un personnage lunaire! Entre fée et sorcière ! Elle prédit l’avenir de tous sauf le sien parce que parait-il, d’après elle, ça ne marche pas pour soi-même.
Dans sa boutique, bric à brac et bazaar insensé ou s’amoncellent toutes les inepties de la terre, se retrouvent en vrac poupées russes, ceintures militaires, robes de soirées, lampes de chevet, petits navires, bijoux fantaisie, talismans fournis par son copain africain, un boubou très bien parait-il qui fait des miracles et vous délivre, c’est sûr et certain, du mauvais œil sauf pour elle parce que ça ne marche pas entre sorciers.
Elle adore accumuler!
À l’entrée de sa boutique, elle passe quotidiennement au bas de la porte, de l’ail pour éloigner le mauvais sort et faire entrer les clients qui entrent et qui sortent aussitôt agressés justement par cette odeur bizarre faite d’épices diverses et d’humidité pour économiser sur le chauffage vu que ça ne marche pas trop en ce moment.
Elle a des mains porte-bonheur, des yeux qui vous suivent partout, des gris-gris, mais ça ne marche pas quand même. On lui a jeté un sort !
Elle a toujours un problème ou un autre qu’elle essaie de régler en pleurnichant.
Elle qui ne se lève régulièrement que vers midi a cause d’une ou autre de ses nombreuses et fâcheuses maladies, dont la fièvre méditerranéenne, le diabète. Elle a découvert paraît-il un moyen de faire baisser le taux de son cholestérol grâce a l’absorption massive de chou blanc, l’une de ses inventions. La voilà réveillée aux aurores c'est à dire 9 h du matin pour me souhaiter la bienvenue à Montréal où je viens justement d’arriver après une longue absence.
Attention ! C’est une femme adorable, serviable, au cœur d’or. Championne du monde de salades exceptionnelles qu’elle invente ou qu’elle accommode à sa manière savante.
Bref une fille formidable, excentrique et à la personnalité attachante.
Cependant, je l’ai dit, elle aime se plaindre et c’est la le moindre de ses défauts.
Malgré son appel intempestif, je n’ose pas lui dire que je suis justement en train de prendre mon petit-déjeuner sacré, elle ne le comprendrait pas et prendrait pour une rebuffade ce contretemps.
Alors je l’écoute.
- Bob?
- Oui!
- Ça va?
- Oui très bien !
Si je parle par monosyllabes cela pourrait écourter la conversation et je pourrais revenir peinard, à mon petit-déjeuner. Qui sait?
Je ne pense qu’à mon thé qui refroidit doucement et le beurre qui fond trop rapidement dans ce maudit bagel décidemment trop chaud.
- Tu sais que mes finances, dit-elle en entrant directement dans le vif du sujet, sont un peu minces en ce moment ?
J’eusse souhaité qu’elle suive le régime de ses finances plutôt que ses régimes aux bananes et au pain de blé qu’elle ingurgite sans succès au même titre que tant d’autres diètes qu’elle s’applique à suivre quelquefois simultanément
- Oui oui ! Mireille je sais, la crise !
- Quelle crise ? c’est toujours la crise ! Voilà la crise !
- Oui ! oui ! je comprends !
Ce n’est pas vrai, je ne comprends pas ! Je ne pense qu’à mes bagels qui sont en train de devenir comme deux bouts d’élastique sans goût et de mon beurre qui fond comme se fend mon cœur et de la confiture qui dégouline pitoyablement.
Elle n’en a cure et couper la conversation brusquement la chagrinerait vu qu’elle est d’une nature sensible et qu’elle se vexe facilement.
Comme je vis en général à Los Angeles et elle à Montréal nous ne nous voyons pas souvent et nos conversations sont rares, mais quand elles se passent, elles tournent généralement autour de la minceur effrayante de ses finances et de ses aléas.
- Oui je sais Mireille, on va essayer d’arranger ça !
- Et Laura, c’est sa fille, elle n’a pas de quoi donner à bouffer à ses enfants ! (Elle exagère !)
Ça y est mon thé est mort et enterré ! Si on parle de Laura et de ses enfants je n’ai plus aucun recours !
- J’ai lu ton roman c’est pas mal, mais j’aime mieux tes poèmes. Pourquoi tu n’écris pas plus de poèmes ? J’ai bien aimé tes poèmes !
La voilà devenue critique littéraire ! Je suis perdu !
- Mireille je suis en train de prendre mon thé est ce que je peux te rappeler plus tard ?
- Ah ! je le savais. Personne ne veut me parler ! Personne ne veut se soucier de moi !
Mon thé n’est plus qu’un lointain souvenir d’autant plus que j’ai rendez-vous dans quelques minutes à l’hôtel Sofitel.
Je sais de façon certaine que dans le pire des cas un plan d’attaque est nécessaire et doit être mis en œuvre rapidement. Je me contenterai d’un latte et de 2 biscotti avalés à la hâte pendant que je tournerai ma clef de contact.
En attendant je sais que je vais devoir la couper et raccrocher sans autre forme de procès. Elle sera vexée, je serai obligé de venir la voir pour implorer son pardon, je lui préparerai alors un énorme petit déjeuner avec bananes et pain complet (son dernier régime !) et une tonne de choux fleurs blancs pour traiter de façon radicale et définitive son diabète.
Bob Oré Abitbol
Commentaires
Mon cher Bob,
J'ai adoré ton texte, on s'y croirait.
Si tu passes un jour en France, fais-moi signe. J'aurai vraiment plaisir à te voir.
Abrazo fuerte.
Alain
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