RETOUR A MONTREAL
Je viens de passer un mois à Montréal. J’y ai vécu plus de 20 ans. Je me suis exilé ensuite au Mexique et aujourd’hui, sans trop savoir ni pourquoi ni comment, je me suis retrouvé en Californie entre palmiers et autoroutes.
Montréal est une ville que j’aime et qui m’aime ! Il y a entre nous des affinités que ni le temps ni la distance n’ont pu conjurer ou atténuer !
J’aime les Québécois, mélange de candeur et de bonté, j’aime mes amis juifs, d’origine marocaine et ma famille qui s’y trouvent et j’aime la facilité que j’éprouve dans tout, pour tout!
Trente mille et plus de mes compatriotes vivent ici à présent!
Avec le soleil et le beau temps, Montréal retrouve sa joie de vivre et son besoin d’exister ! Son besoin de rire et de se libérer!
En hiver, c’est autre chose, elle hiberne !
Elle s’enroule sur elle même et les voyageurs de l’éternité, ceux de la « Dolce Vita » et du « farniente » s’exilent, s’évaporent, se confondent avec le soleil de Miami ou de Cancun et d’ailleurs puis disparaissent le temps de la froidure, de la neige, de la gadoue, des températures qui frisent le gel total des cœurs, des corps ….et des esprits aussi !
Que sommes-nous venus faire dans cette galére ?
Mais là, c’est le printemps! Les fleurs s’ouvrent, explosent et la nature toute entière exulte dans une symphonie de couleurs et de parfums. Les arbres reverdissent et c’est chaque fois comme un miracle mille fois multiplié, mille fois recommencé !
Des tulipes de toutes les couleurs apparaissent entre des fragments de neige têtus, encore présents. Partout, dans le jardin des maisons cossues, apparaissent comme par miracle des lilas, des jonquilles, des pivoines !
La vie qui se bat avec la mort et la vie qui gagne le combat ! A chaque fois !
Et à chaque fois on s’étonne et à chaque fois on s’émerveille et à chaque fois on se réveille du cauchemar de l’hiver impitoyable, brutal, inhumain pour un clin d’œil de vie qui nous absorbe, nous donne l’espoir, encore une fois alors qu’on n’y croyait plus, d’un printemps éternel!
Moi, je suis comme un oiseau, je ne viens qu’au printemps ou qu’en été
Quoique l’automne soit sublime avec ses couleurs presqu’irréelles qui vont du vert le plus vert a l’orange le plus flamboyant en une symphonie de couleurs unique.
Au Printemps, dés que les premiers rayons du soleil apparaissent la ville bouge, danse, chante ! J’aime voir le sourire sur le visage des filles qui déambulent légères et court-vêtues sur la rue Ste Catherine ou sur la rue Crescent à la recherche de garçons ou d’une soirée sympathique pourvu que le rire et la douceur de vivre soient au bout du chemin!
Je rencontre régulièrement mon cousin le dentiste chanteur. En voilà un qui veut être heureux et qui ne perd aucune occasion de le démontrer!
Il cherche dans chaque parcelle, dans chaque « particule » si j’ose dire, le moyen de l’être, le moyen d’être et d’exister!
Voici mes cousins artistes avec qui nous rions pour un oui pour un non en compagnie desquels, je passe des jours et des soirées joyeuses! Ils sont là pour présenter leurs œuvres de peintre pour lui et de sculpteur pour elle, dans une belle galerie dans le vieux Montréal, la galerie 203.
Je retrouve tous mes amis avec joie et avec émotion Lise, Serge, Gigi, Claudia, Monique Kathy, avec lesquels je passe des moments privilégiés ! Chaque fois ! Toujours !
Avec eux c’est la fête tous les jours, tous les soirs !
Au fond serait-ce là le bonheur ? Celui de vivre de minuscules et éphémères moments de joie avec les êtres que l’on aime ?
Voilà le marché Jean Talon avec sa tapisserie de fruits et de légumes du monde entier, ses homards de l’Atlantique, de la Nouvelle Ecosse ou du Labrador et son prosciutto « San Daniele » directement d ‘Italie !
J’aime marcher à Montréal. Je veux sentir la ville. Je veux voir la tête des gens, je cherche partout des visages familiers !
Je veux revoir mes amis. Je cherche à boire comme à une source vive ma ville, mon passé, mes souvenirs, moi !!!!!
Tous ces cris, toute cette fureur, cette palpitation de et dans la ville sont comme le bruit des vagues qui nous rappellent consciemment ou inconsciemment qui sait, une vie antérieure !
J’ai vécu ici quelques unes des plus belles années de ma vie après tout ! J’ai été heureux ! J’ai rencontré ma femme, une femme aimée, procréé mes enfants, fais mes affaires. Comment oublier et me sevrer de tout cela à la fois !
Ai-je bien fait de partir ? De tout abandonner pour suivre un autre chemin ? Une autre vie ? Quitter une ville où j’avais toute ma famille, tous mes amis, tous mes amours !?
Tout divorce, tout départ sont douloureux. C’est une blessure, un déchirement indélébile qui nous accompagne notre vie durant et dont nous ne parvenons pas, quels que soient nos efforts, quelle que soit notre faculté à oublier, à nous débarrasser.
De pays en pays, de ville en ville, nous devenons, à nos corps défendant, des juifs errants !
Me voici au Mont Royal, où la ville de Montréal est née il y a plusieurs siècles. Ma mère est enterrée là ! Dans un cimetière qui surplombe la ville!
A-t-elle froid l’hiver? Est-elle heureuse en été ? Je me le demande !!
En tous cas nous venons mes frères, ma sœur et moi lui chanter autour de sa tombe les airs qu’elle aimait !
« Amapola »
« Assez de comédie »
Des chansons de Tino Rossi qu’elle connaissait par cœur et qu’elle fredonnait encore à la veille de son décès!
Nous venons pour la fête des mères, pour l’anniversaire de sa naissance, celui de sa mort, poser des fleurs, des roses, puisqu’elle aime ça, sur sa tombe! Comme si elle était encore vivante, comme si elle nous attendait quand elle nous attendait !
- Alors où étais tu ? Vous m’avez oubliée ? disait-elle vexée.
Même si je lui téléphonais quotidiennement, parfois trois fois par jour !!!
Nous venons lui demander conseils, prières, bénédictions !
Nous entend-elle encore ?
Nous attend-elle encore !?
On ne se remet jamais de la perte de sa mère, de son père peut être, de sa mère jamais !!!
Elle fait partie de notre vie, morte ou vivante, tout le temps de notre vie !
Tout le temps de notre vie !
A Montréal je ris de bon cœur ! Entre Cote Des neiges et Cote St Luc se trouve le siége de la communauté juive de Montréal.
La communauté ici est bien organisée, autant Sépharade qu’Ashkénaze. Tout est pris en compte aussi bien les besoins des vieux que ceux des jeunes, des déshérités, des chercheurs d’emploi, des sans abri, des sans famille ! C’est une communauté remarquable !
Des écoles juives, des synagogues partout, des activités culturelles de façon quasi permanente, un festival sépharade unique au monde qui réunit tout ce qui se fait de mieux dans le genre. Tout cela chapeauté par un président décontracté et sympathique mais néanmoins terriblement efficace et performant : Marc Kakon qui a toujours la dernière blague sur le bout des lèvres à vous raconter !
A Hampstead où elle vit avec sa grande et belle famille mon amie Liliane nous reçoit.
Elle prépare le Shabbat avec une ferveur et un amour inégalés.
Sa table est royale, festive. Toutes les saveurs et les parfums de notre enfance se retrouvent là, réunis par elle dans un élan et un geste de foi, d’amour, de convivialité et de tendresse.
La salade cuite, celle d’aubergines sous toutes ses formes, sept sortes de piments : Des doux, des forts, des piquants, des rouges, des verts, des à l’ail, des à l’huile d’argan, des longs, des courts, des vertes et des pas mûres !
Du poisson, de la viande et puis des poulets avec leur sauce respective et leur accompagnement de mille légumes du marché !!!!!
- Tant qu’on ne sert pas les poulets ce n’est pas terminé disait toujours ma mère en riant !
Et il faut goûter à tout !!!
= Allez ajoute un peu ! Tu n’as rien pris !!!
De fêtes en fêtes, de réceptions en réceptions, d’un shabbat illuminé à un shabbat éducatif qui jalonnent nos vies juives, nous cherchons à donner un sens à nos existences.
Nous créons des balises qui nous donnent encore et chaque fois des raisons de vivre et d’espérer !!!
Et ça marche !!!Ça fonctionne !!!!! La preuve, Shabbat on rit ! On vit ! On chante ! On oublie nos soucis ! C’est réellement une trêve où bien vivre, bien manger est la règle et le bonheur le mot d’ordre !
Miracle ? Foi ? Amour ? Folie ? Qui sait ? Peut être tout cela à la fois!
Sur la Rue St Denis sur le Plateau, une rue commerciale et animée je retrouve des copains. Nous parlons fort, nous nous embrassons !
- Tu ne changes pas !!! Tu es toujours le même !!!Alors toujours en Californie !?
Puis soudain au milieu de tout ce fatras, au milieu de ce fourmillement de sensations et de bruits voilà qu’une jeune femme apparaît ! Sublime et belle, elle n’a pas trop changée! Un peu plus ronde qu’autrefois peut-être mais c’est elle ! C’est bien elle! L’ai-je donc aimée à ce point ?
J’ai souffert, mais le souvenir de cette souffrance ne m’est pas désagréable, Il est même doux à ma mémoire!
Elle me regarde avec tendresse! Elle ne me hait donc pas ! Nous nous sommes quittés il y a si longtemps ! M’aime-t-elle encore un peu? M’as=t-elle oublié complètement ou se souvient-elle toujours de nos baisers ? De notre passion ? Elle est mariée à présent, des enfants, une famille ! Allons ! Tout ça, c’est du passé !
Je sais une chose : J’aime les filles que j’ai aimées longtemps après les avoir aimées ! Je ne les oublie jamais ! Je les garde comme des pierres précieuses, comme un collier de perles rares autour de mon cœur.
Quand je les revois, longtemps après, j’ai encore un pincement de regret mais d’amour aussi !
Nous sommes toujours de notre enfance, de notre pays quel que soit l’endroit où l’on vit. Comme en voyage mais jamais très loin ! Quelquefois un air oublié, enfoui au plus profond de nous, nous revient spontanément. Un air qui, comme un premier amour, ne s’oublie jamais !
Je continue ma promenade !
Voici la rue St-Laurent « La Main » comme on l’appelle ici. Ici tout change et rien ne bouge !
Schwartz et ses fameux smocked meats, Moshe’s le roi du Steak, les boites branchées, les restaurants à la mode, la Petite Italie. « Les cafés tapageurs aux lustres éclatants » dirait Rimbaud, les nouvelles boutiques ! Sur Park Avenue c’est Milo’s qui règne avec son menu grec et ses poissons vivants !
Bientôt les grandes fêtes annuelles Montréalaises se mettent en place: Le Grand Prix du Canada de Formule 1, les Francofolies, le Festival de Jazz, le Festival Juste pour Rire pour ne citer que les plus célèbres et les plus populaires !
« Tu vois
La vie est là
Simple et tranquille
Cette paisible rumeur là
Vient de la ville
Qu’as tu fait toi que voilà
Pleurant sans cesse ?
Qu’as tu fait
Toi que voilà…
De ta jeunesse ? »
Parfois loin des êtres que l’on aime on ferme un moment les yeux, on se souvient, on efface tout et on recommence. Nous sommes encore ensemble ! Rien n’a changé ! La vie continue comme elle devait être, comme elle aurait dû être, comme elle aurait pu être : Sans soucis, sans regret, sans problème, sans déracinement, sans exil !
Au Maroc ou à Montréal avec nos parents encore vivants, nos amis toujours présents, nos amours intacts !
Comme si le temps s’était immobilisé en même temps que nous, sous le soleil exactement !
Complètement insouciants !
Complètement heureux !
Comme si nous n’étions jamais partis
Comme si on ne s’était jamais quitté !
Sans même se retourner !
Sans même nous retourner !
Sans même me retourner !
©Bob Oré Abitbol
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