Charles de Foucauld, le savant bienheureux
Prêtre et mystique, le bienheureux Charles de Foucauld était aussi un scientifique. Ses observations firent considérablement progresser la connaissance géographique et ethnologique de l’Afrique du Nord. L’historienne Bénédicte Durand dévoile l’homme de science caché derrière le religieux.
À 27 ans, le 24 avril 1885, Charles de Foucauld reçoit la grande médaille d’or de la Société de géographie de Paris pour sa Reconnaissance au Maroc (1883-1884). Pendant près d’un an, le jeune homme a parcouru à pied clandestinement ce territoire fermé et méconnu. Le travail scientifique qu’il publie est une somme de découvertes : il a tracé le réseau hydrographique des régions parcourues, noté tous les villages et compté le nombre des fusils, identifié les cultures, les routes, pris toutes sortes de mesures. Il a aussi mis en évidence la structure de la chaîne montagneuse de l’Atlas dont l’orientation sur les anciennes cartes était erronée.
Par quel miracle, ce jeune officier, oisif et médiocre, s’est-il transformé en explorateur reconnu ? Avant son expédition marocaine, Foucauld s’est fermement ennuyé. Aucune discipline n’éveillait son intérêt à l’exception d’une seule dans laquelle il montre des dispositions naturelles à défaut d’y faire preuve de travail : la géographie. Fin observateur, doué pour le dessin, il est capable de décrire avec précision n’importe quel paysage. En 1881, il participe avec son régiment, le 4e chasseurs d’Afrique, à une bataille dans le Sud-Oranais. Là-bas, « ce lettré fêtard, écrit son camarade Laperrine, se révèle être un soldat et un chef ». Surtout, cette aventure inocule en lui le virus du Grand Sud et le goût de l’inconnu.
Déguisé en juif, il pénètre dans un pays interdit aux chrétiens. Là, avec un luxe de précautions inouï, il observe : « Tout mon itinéraire a été relevé à la boussole et au baromètre. En marche, j’avais sans cesse un cahier de cinq centimètres carrés caché dans le creux de la main gauche ; d’un crayon long de deux centimètres, qui ne quittait pas l’autre main, je consignais ce que le chemin présentait de remarquable, ce qu’on voyait à droite et à gauche […], les accidents de terrain, […], l’heure et la minute de chaque observation, les arrêts, les degrés de vitesse de la marche, etc. ». Au retour, il compile ses notes et compose Reconnaissance au Maroc dont les indications, notamment les cartes au 1/250 000 €, resteront longtemps la référence pour les voyageurs, les militaires et les géographes.
Sa mission achevée, Foucauld poursuit sa recherche de l’absolu. Il ne sondera plus la profondeur des oueds, mais celle des âmes. Sa carrière d’explorateur s’achève-t-elle pour autant ? Moins que jamais ! « Sa passion de jeune homme s’est peu à peu imposée comme un auxiliaire indispensable à sa mission », explique Bénédicte Durand. Seul l’objectif a changé. Le Père de Foucauld brûle d’apporter Jésus aux Touaregs, peuple qu’il estime. Mais pour évangéliser, il faut connaître.
Infatigable, il parcourt le Hoggar puis le Sahara, acceptant, quand il le peut, d’accompagner des colonnes militaires, notant au passage tout ce qu’il voit. Il visite, rencontre les nomades, les soigne… et les observe en ethnologue passionné. Parallèlement, il travaille à comprendre leur langue, rédige plusieurs dictionnaires et traduit des poèmes recueillis au cours de ses missions. Partout, le même souci du détail, de la précision.
Ermite contrarié, il ne cesse de recevoir des hôtes de passage : savants, explorateurs, militaires avec lesquels il entretient une correspondance riche en informations et en conseils. Lorsque ces travaux seront publiés, Foucauld exigera que « nulle part son nom ne soit prononcé ». Dans son beau livre, abondamment illustré de photos, cartes et croquis réalisés par le Père Charles de Jésus, Bénédicte Durand rend justice à l’humilité scientifique d’un saint des temps modernes.
Bénédicte de Saint-Germain
• On peut compléter en lisant : L’Appel du Sahara, par Judith Brouste et Pierre Brullé, éd. Place des Victoires, 160 p., 100 illustrations, 19,95 € : un demi-siècle de présence française au Sahara à travers trois destins : Ernest Psichari (1883-1914), Hubert Lyautey (1854-1934) et Charles de Foucauld (1858-1916).
Laperrine et l'appel du Sahara
« C’est Henri Laperrine, alors commandant supérieur des oasis sahariennes, qui réoriente progressivement les aspirations évangéliques du Père de Foucauld vers le sud et l’est […] et manifeste rapidement le désir d’emmener le Père de Foucauld dans le sillage des compagnies sahariennes qu’il a créées. Il écrit à Mgr Guérin : “Je désire simplement et nettement aller – en attendant que le Maroc s’ouvre, s’il s’ouvre – chez les Touaregs […]. Aller préparer, commencer l’évangélisation des Touaregs, en m’établissant chez eux, apprenant leur langue ; traduisant le Saint Évangile, me mettant en rapports aussi amicaux que possible avec eux.” Dès 1903, Laperrine propose à Foucauld de le suivre dans une “tournée d’apprivoisement”. Ce dernier est retenu à Beni Abbès, pour cause de troubles dans la région du Taghit qui l’obligent à porter secours aux soldats blessés.
Extrait
Charles de Foucauld, le savant bienheureux
de Bénédicte Durand, Glénat/La Société de géographie , 192 pages