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Maroc en musiques, par Izza Génini

 

 

Maroc en musiques, Réalisation : Izza Génini. Un coffret de trois DVDs, Ohra éditions EDV 642, 2011.
Volume 1 : Vibrations en Haut Atlas. Nuptiales en Moyen Atlas. Gnaouas. Rythmes de Marrakech
Volume 2 : Louanges. Des luths et délices. Cantiques brodés. Chants pour un chabbat
Volume 3 : Aïta. Malhoune. Tambours battant

 

Izza Génini est une réalisatrice d’origine marocaine qui a filmé pendant des années la plupart des expressions musicales de son pays natal, qu’il s’agisse de musique berbère ou gnaoua, de musique arabe savante ou populaire ou de musique juive. L’un des intérêts principaux de ces films est l’empathie que l’on perçoit entre la réalisatrice et les interprètes. Même lorsqu’il s’agit de musiques collectives, par exemple celle des Aït Bouguemez du Haut Atlas, la présence de l’individu est évidente, comme ici celle du regretté Raïs Ahmed Ben Aïssa, maître de la flûte et de la clarinette double, et ordonnateur des fêtes liées au calendrier agricole et imprégnées de connotations préislamiques. Le second documentaire consacré aux Berbères nous permet d’assister à un mariage dans le Moyen Atlas. Ici, la musique essentiellement vocale, accompagnée de percussions, est également vouée à la nature, mais sert encore de lien social entre les communautés dans ces sociétés exogames. Asli et Taslit, le Fiancé et la Fiancée mythiques, sont les symboles du Ciel et de la Terre. Le film traitant des Gnaoua présente l’avantage d’avoir été tourné au cours d’une lila, loin de l’atmosphère world qui règne depuis quelques années à Essaouira. Filmé sobrement, il nous permet d’assister, sans donner dans le voyeurisme, à quelques moments privilégiés de ces cérémonies de possession pour les mlouk, les génies protecteurs. « Rythmes de Marrakech » nous entraîne dans les ruelles et quelques maisons de la médina, au cours de la deqqa, où les femmes percussionnistes entraînent une foule compacte au son des membranophones et des tambours de frein percutés, que ponctue le son des longues trompes neffar. À la fin, est offert un aperçu de l’art des chanteuses professionnelles, les cheikhat, auxquelles est dédié le film « Aïta ».

Le volume 2 est consacré aux musiques religieuses arabes et juives, ainsi qu’à la musique arabo-andalouse. Pour cette dernière, l’accent est mis sur la relation avec l’Espagne musulmane grâce à un maître de Tétouan, Abdelsadek Chekara, qui nous a quittés il y a quelques temps. Ce documentaire peut d’ailleurs être très utilement complété par un DVD plus récent d’Izza Génini « Nûba d’or et de lumières » qui, en une heure vingt, nous présente des aspects divers de cette musique, depuis les grands festivals, jusqu’à sa pratique populaire dans un café de Tanger.

Le premier documentaire présente le moussem (pèlerinage) de Moulay Idriss, entre Meknès et Volubilis. Il permet de participer aux rituels à l’intérieur des mosquées, qu’il s’agisse du sama, l’audition mystique, ou de la hadra (littéralement : « présence »), nom utilisé pour désigner le dhikr, au cours duquel les fidèles répètent le nom de Dieu en accélérant afin, pour certains, de parvenir à la transe. Les confréries du soufisme populaire défilent dans les rues de la ville au son des zourna, les hautbois coniques joués par des musiciens juchés sur des mules. Le film suivant est consacré aux matruz, les « cantiques brodés » qui alternent paroles en hébreu et en arabe. Après une brève introduction à Marrakech, nous assistons à un concert à Paris, dédié au rabbin David Bouzaglo qui a notamment eu un rôle important dans l’enseignement de la musique arabo-andalouse lorsque la communauté juive était encore fortement implantée au Maroc. Nous retrouvons Abdelsadek Chekara qui est venu avec ses musiciens accompagner le rabbin Haïm Louk. Celui-ci est également présent dans le documentaire suivant, au cours duquel il interprète avec d’autres hazanim marocains de Paris des chants en hébreu entonnés sur un modèle musical arabe. Il en est de même pour les chants traditionnels filmés dans une famille pour le repas du shabbat.

Le volume 3 présente d’abord l’art des cheikhate, qui interprètent l’aïta, forme pratiquée dans la région de l’Ouest atlantique. Ces chanteuses professionnelles sont ici filmées au cours du moussem de Moulay Abdallah. On les voit sous la grande tente, uniquement occupée par des hommes, interpréter un riche répertoire où les cinq chanteuses se succèdent, dirigées par la grande Fatna Bent el Hocine, et accompagnées par un violon, un ‘ûd, une derbouka et un bendir. Les thèmes peuvent être aussi bien l’éloge des diverses tribus de cavaliers qui participent à la fantasia que les blessures de l’amour. Un passage particulièrement émouvant nous montre Fatna et ses chanteuses dans leur chambre d’hôtel qui expliquent les fondements de leur art à la réalisatrice, avec une évidente complicité, et en donnent des exemples en s’accompagnant de simples bouteilles en plastique percutées.

Le coffret se termine par un film plus long que les autres (52’, au lieu de 26’ environ par documentaire). Izza Génini y adopte un ton beaucoup plus personnel, en expliquant qu’après un rejet de la culture marocaine, dû à une passion pour les musiques dans la mouvance du rock, elle a redécouvert la musique de ses origines, notamment au cours des grandes fêtes comme celle de l’achoura, considérée au Maroc comme celle de la jeunesse et de la famille. Nous allons d’abord à Marrakech où toute la ville résonne au son des percussions, que ce soit sur la place Djema el Fnaa, qui, pour être un haut lieu touristique, n’en est pas moins une sorte de conservatoire des musiques populaires, dans les ruelles de la médina ou dans des maisons particulières. Nous assistons à divers aspects de la deqqa, comme la fabrication des tarija, ces petits tambours en gobelet, que chaque habitant de Marrakech, quel que soit son âge ou son sexe, se doit d’acquérir à cette occasion. C’est aussi l’occasion de confronter les deux grandes traditions, celle de Marrakech et celle de Taroudant, où les percussions accompagnent les chanteurs qui célèbrent Dieu, son prophète et le roi. Nous allons ensuite à Essaouira, où un musicien gnaoua joue du guembri, accompagné par le fond sonore de l’appel à la prière. Dans la même ville, la confrérie soufi des Hmadcha célèbre un rituel où les hautbois ghaïta, les tambours en gobelet guellal et un tambour en tonneau joué avec une baguette accompagnent les danses sacrées des hommes. Ce film se termine de manière personnelle, comme il a débuté, avec une fête organisée par Izza Génini à Casablanca, sa ville natale, et qui rassemble plusieurs orchestres connus à l’époque (il y a une vingtaine d’années), comme le groupe Tagada, qui réjouit les invités en improvisant des chants accompagnés par des percussions traditionnelles auxquelles se mêlent une paire de congas, ce qui nous montre que les musiques « traditionnelles » sont des musiques vivantes qui ont toujours évolué. Tous les genres ne sont évidemment pas représentés dans les cinq heures que durent ces dix documentaires ; mais ceux-ci constituent une excellente introduction à l’art musical marocain, que l’on pourra compléter, par exemple, en lisant les ouvrages de Mahmoud Guettat (1980) ou d’Ahmed Aydoun (1992).

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