Pas facile d'être gay ou lesbienne chez Mohammed VI
Par Marie Von Hafften
Au Maroc, au royaume de Mohammed VI, être homosexuel, gay, lesbienne, bisexuel ou trans, reste un tabou culturel et sociétal. De nombreux couples lesbiens et gays, parfois très pratiquants, doivent se cacher pour s'aimer.
Le Maroc, libéral mais pas trop...
Le Maroc est souvent considéré comme l’un des pays musulmans les plus libéraux. Les signes d’affection entre filles sont d’ailleurs choses communes. Certaines se promènent main dans la main, d’autres se font la bise entre copines. Mais quand cette affection devient romantique, et que les femmes veulent vivre ouvertement, en tant que lesbiennes, les Marocains font subitement preuve de bien moins de tolérance.
« Le lesbianisme n’est pas une bonne chose. Notre Dieu nous l’interdit, c’est haram » explique Hasnae Krimi, 22 ans, étudiant en linguistique à l’université Mohammed V de Rabat. Ce dernier croit d’ailleurs que l’augmentation des catastrophes naturelles et des maladies sont autant d'avertissements appelant à rejeter l’homosexualité. La plupart des gens vivant dans les pays musulmans répondent de la même façon : l’homosexualité est haram, prohibée par Dieu.
Une loi stricte mais pas complètement appliquée
Même après le printemps arabe, alors que les demandes pour la démocratie et les droits de l’homme se propagent à travers l’Afrique du Nord, la question de l’homosexualité est encore trop taboue pour être discutée ouvertement. Abdellah Taia, un auteur marocain qui a écrit un nouveau livre sur la culture gay en place dans le monde arabe, vit à Paris de peur de représailles dans son pays natal.
Selon la loi marocaine, « commettre des actes obscènes ou contre nature avec un individu de même sexe est passible de six mois à trois ans de prison, ainsi que d’une amende allant de 120 à 1000 dirhams (de 14 à 117 dollars) ». L’Algérie et la Tunisie ont des interdictions similaires. Il n’y a cependant pas eu d’arrestations de femmes au Maroc. Peut-être parce c’est vraiment rare pour une lesbienne de parler ouvertement de son orientation sexuelle, disent les experts.
Sarah et Maria, un amour difficile
Sarah et Maria sont deux marocaines de vingt ans, en couple depuis plus d’un an. Les deux ont demandé que leurs noms de famille ne soient pas utilisés en raison de la stigmatisation et des conséquences juridiques de leur orientation sexuelle. Bien que Sarah étudie dans une université française et que Maria assiste aux cours des Beaux-Arts de Casablanca, elles tentent de se voir le plus souvent possible.
Maria dit qu’elle a su qu’elle était lesbienne à partir de l’âge de douze ans, mais Sarah a lutté lorsqu’elle a commencé à avoir des sentiments pour Maria : « Je n’étais pas encore prête à comprendre comment on pouvait aimer quelqu’un du même sexe ». Maintenant Sarah se prononce en toute confiance : « Je suis lesbienne »
Les deux filles se sont rencontrées en ligne. Un ami commun s’est étonné qu’elle ne se connaisse pas puisqu’elles avaient de nombreux amis à Casablanca. Sarah a donc ajouté Maria sur Facebook, en se disant qu’elle la supprimerait plus tard. Au lieu de ça, les deux femmes ont commencé à échanger pendant de nombreuses heures. Pour rencontrer Maria en personne, Sarah a organisé un vol secret en Tunisie, en disant à ses parents qu’elle allait passer un week-end à étudier.
Homosexualité, un sujet tabou en famille
Dans la famille de la jeune femme, personne n’est au courant, mais le couple a déjà avoué son homosexualité à quelques amis et d’autres lesbiennes. Elles en ont également perdu. Sarah déclare que son ex petit copain l’a attaqué à trois reprises dans la rue, parce qu’il avait honte qu’elle ait choisi d’aimer une femme après lui.
« On ne peut pas compter sur la police » explique Sarah. « Si j’avais signalé les attaques, mon ancien copain aurait pu dire à la police que nous sommes lesbiennes ».
« Derrière cette loi contre l’homosexualité, il y a surtout le poids de la religion » souligne le Dr Abdessamad Dialmy, professeur des études de genre à l’Université Mohammed V de Rabat, et l’un des principaux chercheurs sur la sexualité au Maroc. « Pour la majorité des marocains, l’homosexualité est un péché parce qu’il est rejeté par l’islam. Avoir des relations sexuelles hors mariage est moins condamnable que faire l’amour avec une personne du même sexe. Le premier est simplement un pêché, pas anormal alors que le second est considéré comme une déviance ».
Des idées arrêtées sur l’homosexualité
Les jeunes marocains grandissent avec des idées très arrêtées sur les genres et les rôles de chaque sexe. La pression de la société concernant le mariage est très forte. Ce dernier est d’ailleurs vécu comme l’événement central de la vie pour l’homme et la femme. « Ce n’est pas un choix » dit-il, en expliquant que les femmes homosexuelles finissent souvent par se marier avec un homme. Parfois même des hommes gays. Elles sont nombreuses à garder leurs sentiments secrets.
Sarah raconte qu’elle a rencontré des femmes sur le forum Maroc LGBT (Lesbien, Gay, Bi, Trans) qui demandaient des conseils sur la façon de devenir hétérosexuelle. Elle en connaît d’autres qui ont renoncé à la religion car « tant de gens disent qu’on ne peut-être à la fois gay et musulman, » dit-elle tristement
Sarah et Maria pensent qu’être musulmanes et lesbiennes n’est pas incompatible : « Je pense que c’est une question d’interprétation. Pour nous, l’amour n’a pas de sexe. Il n’y a aucune limite à l’amour dans notre religion » explique t-elle.
L’avis du Coran
Rien dans le Coran n’offre d’ailleurs d’explications précises. « Certains versets condamnent l’homosexualité masculine, la fornication et l’adultère, mais rien dans l’islam n’évoque la question du lesbianisme » dit Dr Dialmy. Il y a un hadith (paroles orales du prophète Mahomet) qui condamne les actes sexuels entre femmes, bien qu’il y ait un débat pour savoir si le prophète a vraiment dit ça.
« Nous sommes l’exemple concret que nous pouvons être lesbiennes et musulmanes en même temps, » écrit Sarah dans un mail, suivi de « Nous prions, nous jeûnons pendant le mois de Ramadan et ainsi de suite. Nous n’avons pas de convictions différentes des autres musulmans. Nous respectons les croyances que tout musulman doit avoir : ce qu’on lit dans le Coran et pas ce que nous imaginons ».
Des signes d’espoir
Malgré les pressions exercées sur les lesbiennes au Maroc, des signes montrent que la situation pourrait s’arranger. Sarah a d’ailleurs vu se former une communauté croissante de soutien à sa cause. Certes, la majorité se fait en ligne mais les forums comme LGBT Maroc peuvent aider les individus concernés à ne plus se sentir seuls.
D’une manière plus significative, le gouvernement tolère officieusement Kif-Kif, la seule organisation défendant les droits des LGBT au Maroc. Le bureau principal de Kif-Kif est situé à Madrid mais sa visibilité est limitée à quelques conférences et à Mithly, une nouvelle publication distribuée assez régulièrement qui porte les voix des LGBT. Fondée il y a six ans, Kif-Kif tente en vain de devenir une association légale au Maroc.
Une acceptation de la haute société
Cependant, la considération des droits des homosexuels et l’augmentation de personnage lesbiens dans les médias peuvent être source d’une certaine acceptation par la société marocaine, en particulier chez les jeunes les plus favorisés.
« Le lesbianisme ne me dérange pas. Cela s’appelle la liberté, ca fait partie de l’être humain de choisir ce que l’on veut » explique Abdelaziz Liasse, 24 ans, étudiant en psychologie à l’université Mohammed V de Rabat. Il préconise une « lesbianisation en douceur », c’est à dire être discret sur son orientation sexuelle. « C’est un fait existant, mais nous ne pouvons pas admettre l’existence du lesbianisme (dans la société islamique du Maroc) » ajoute t-il. « L’ouverture créerait une « explosion » de chaos dans cette société qui n’accepte pas l’homosexualité. »
Un politique du « pas vu, pas pris » semble se propager. Meryem, 28 ans, qui a également demandé que l’on n’utilise pas son nom, est sortie avec une femme pendant deux ans. Elle n’en a jamais parlé avec ses parents, mais ils ont l’air d’être au courant. « Ils sont plus ou moins ouvert d’esprit, donc je leur parlais de mes petits copains. A un certain moment, j’ai cessé de parler des hommes. Il ne m’ont pas demandé la raison et je pense qu’ils ont compris ». Les parents de Meryem ne lui ont jamais parlé d’orientation sexuelle. « Ils préfèrent se voiler la face » affirme t-elle. Le vieil adage « Pour vivre heureux, vivons caché » prend donc tout son sens.
Encore un long chemin à faire
Zineb, 22 ans - et qui ne donne pas son nom non plus - est une étudiante en linguistique. Elle a déjà embrassé une fille quand elle avait 16 ans. Elle sait que d’autres filles l’ont fait aussi, par attraction ou curiosité. « J’ai quelques amis bisexuels. En tout cas des amis qui s’embrassent entre elles. Elles sont curieuses de découvrir quelque chose de nouveaux, mais certaines sont vraiment attirées, et ce n’est plus de la simple expérimentation. »
Zineb est convaincue que la plupart des lesbiennes et femmes bisexuelles se marient avec des hommes. « C’est plus facile et on peut être acceptée par la société » dit-elle. « Si tu veux sortir de la maison familiale, tu dois te marier ». Elles ne croient pas que le mariage gay sera un jour légal dans le pays.
Une réalité que Sarah et Maria vivent chaque jour. « Parfois, nous devons oublier nos rêves professionnels et personnels, » explique Sarah. « Nous voudrions monter une agence de communication au Maroc. Si nous voulons vivre ensemble, se sentir en sécurité, se marier, avoir des enfants, nous ne pouvons pas vivre ici. Nous ne savons pas ce que nous pourrions y faire »
« Nous regardons les films et les séries américaines, comme « The L Word », et nous rêvons de cette vie, mais c’est impossible, » continue Sarah. « Nous voulons juste être libre et en toute sécurité. Peut-être qu’un jour nous vivrons dans un pays où on pourra tous être ensemble. Je veux vivre ici, mais je ne suis pas en sécurité. Je suis marocaine, mais je ne peux pas vivre au Maroc. »
GlobalPost - Adaptation Henri Lahera pour JOL PRESS