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L’Oukaïmeden – par Randolph Benzaquen

 

 

 

Alors que certains espèrent voir l’été se prolonger le plus possible, d’autres sont déjà nostalgiques de l’hiver. Randolph semble en faire partie, puisqu’il nous raconte ici les moments privilégiés qu’il a vécu à l’Oukaïmeden, la célèbre station de ski marocaine. Avec force détails, il nous embarque dans le récit d’une randonnée unique et palpitante dans les hauteurs de l’Atlas, aux côtés de son chien-loup, dont l’instinct lui sera d’un grand secours. Une lecture rafraichissante! 

 

A Casablanca, mes amis européens me parlaient souvent de l’Oukaïmeden avec tellement de ferveur, que cela m’a donné envie d’y aller. L’Oukaïmeden est la principale station de ski du Maroc et se situe à 75 kilomètres de Marrakech, sur un haut plateau. Elle fait partie de la chaîne montagneuse du Haut Atlas et culmine à 3200 mètres d’altitude. De Marrakech, on peut voir la masse imposante de l’Atlas. La route est splendide surtout lorsqu’elle quitte la vallée de l’Ourika. On aperçoit de nombreux villages construits à flanc de montagne, dans des champs de pierres ocre. En été, le climat est très agréable. Les azibs sont tous occupés par le bétail en transhumance. On peut faire de l’escalade,  partir à la découverte de peintures rupestres ou s’en aller en randonnée à dos de mulet. 

Dans les années soixante, la route pour s’y rendre était dangereuse, étroite, bordée de précipices vertigineux et souvent obstruée par des chutes de pierres qui avaient occasionnées à maintes reprises, des accidents mortels. Mais c’est ce qui rendait ce coin unique : la difficulté pour y accéder. A l’entrée de la station, on trouvait un petit lac à la surface duquel se reflétaient les montagnes. Sur place, nous étions hors du temps. Le paysage était assez austère, car à cette altitude la végétation était pauvre. Arrivés sur le plateau, il nous fallait un temps d’acclimatation pour être en pleine forme car nous étions à 2500 mètres d’altitude. L’Oukaïmeden était une station de ski originale, avec ses moniteurs de ski, berbères en djellabas qui ne se débrouillaient pas mal du tout et qui transportaient notre matériel à dos de mulet jusqu’au téléphérique qui se trouvait un peu loin. Hammadi, le fils du cheikh de Tachedirt a même représenté le Maroc aux jeux olympiques d’hiver.

Il m’est arrivé une fois, début mai, de surfer tôt le matin dans les environs de Casablanca et de skier le jour même en fin d’après-midi à l’Oukaïmeden. Cela fait partie des trésors que le Maroc nous offre. Entre camarades, nous allions dormir la plupart du temps chez ‘’Juju’’, une auberge rustique tenue par monsieur et madame Juvien où l’on nous traitait comme à la maison. Parfois à l’hôtel Imlil, mais l’ambiance était plus impersonnelle, moins montagnarde. A l’occasion chez des amis qui avaient des petits chalets ou des appartements. Qu’est ce que l’on riait dans le dortoir chez ‘’Juju’’ ! Comme les filles et les garçons étaient ensemble, on ne souffrait pas du tout du froid extérieur, l’environnement était parfois bien chaud.
Au dancing, ‘’Les Deux Corbacks’’, la salle était pleine de gens détendus après une journée de ski et de plein air. Les ingrédients étaient réunis pour passer une bonne soirée animée par Pierrot Armand, le responsable, qui savait mettre tout le monde à l’aise. Le domaine skiable situé entre 2500 et 3200 mètres d’altitude était le mieux équipé et enneigé du Maroc.

Nous faisions la queue au remonte-pente en compagnie de filles : Marie-Pierre Roccard, Marianne Pereira et j’en passe, les unes plus belles que les autres dans leurs combinaisons de ski colorées. Pour faire le malin, il y avait toujours un original qui dévalait la pente trop vite sur ses skis, pour épater la galerie et qui souvent s’étalait les quatre fers en l’air, au pied des jolies demoiselles. Du haut du téléphérique, la vue était grandiose sur l’Atlas et le Toubkal. Sur les pentes, il y avait toujours des skieurs qui voulaient transmettre leur savoir. Un jour, assis sur le téléphérique, en compagnie de mon ami Marcello, je pensais que personne ne me reconnaîtrait de si haut. Je me moquais donc en toute impunité, du ton de monsieur Fougerolles qui donnait un cours de ski. Sa voix résonnait dans la vallée avec un accent très ‘’vieille France’’ « Plantez bâtons ! Flexions, extensions ! ». Je répétais à voix haute ces mots en appuyant sur les syllabes : « Plantez bâtoons ! Flexioons, extensioons ! »

Le soir, au restaurant chez ‘’Juju’’, en bavardant avec exubérance autour de la table avec Marcello, je prononçais le mot : «  à mort », avec un accent pied-noir ; monsieur Fougerolles s’est approché de moi et à mon insu, par derrière  m’a chuchoté avec élégance à l’oreille « à mort ». Le ton avec lequel il avait prononcé ces mots m’a touché plus qu’une remarque désobligeante. Je n’ai pas oublié la leçon. Parfois, nous empruntions la petite route qui mène à la table d’orientation. D’en haut, nous admirions le panorama qui s’offrait à nous. Tous les pics alentours et Marrakech qui se devinait au loin par beau temps. Une plaque sculptée nous donnait le nom de chaque montagne. Malheureusement, cette plaque, qui faisait partie du patrimoine de l’Oukaïmeden a été volée quelques années plus tard, par des inconscients sans scrupules. Au nouvel an, un peu avant minuit, nous descendions en sinuant par dizaines, les pentes de ski, les uns derrière les autres, en tenant une torche à la main. Vu de loin, cette descente au flambeau était splendide. La montagne s’illuminait comme un serpent de feu.

Mais l’Ouka parfois, pouvait sortir ses griffes acérées, lorsque la neige était instable et provoquait des avalanches qui entrainaient la mort des malchanceux qui se trouvaient sur leurs passages. Comme Philippe Thiallon, un sympathique jeune homme qui n’a pu être secouru à temps et y a laissé sa vie. C’est la raison pout laquelle  une descente de ski s’appelle : ‘’La combe du mort’’. Le dimanche, l’Ouka prenait des allures populaires. Des dizaines de cars venant de Marrakech et des villes avoisinantes envahissaient le plateau. Les hommes mal équipés pour la montagne, les femmes en talons-aiguilles, se jetaient sur les champs de neige pour faire de la luge. Ce qui me gênait le plus était le klaxon des bus qui rompait la quiétude des lieux.

Au fil du temps, je me suis lassé de l’excitation des pistes de ski et du bruit que cela entraînait. J’ai voulu faire comme Jacques Chantelauze que je voyais partir seul en pleine montagne, avec des skis de randonnée, loin de la foule bruyante. Les skis de randonnée sont longs, étroits et sont fixés uniquement à l’avant du pied. On avance chaque pied alternativement. On se déplace facilement d’un point à un autre. Il a permis de faire de grandes découvertes dans les contrées inaccessibles comme le Groënland. On équipe les skis de peaux de phoques dont les poils tournés vers l’arrière s’accrochent dans la neige, ce qui permet d’éviter de partir à reculons. Mais ce sport qui s’effectue sans remontée mécanique, amène à évoluer en haute montagne et nécessite une très bonne connaissance du terrain. Les risques de glisser sur la glace ou de provoquer des avalanches sont vite arrivés.

Afin que mon compagnon, Husk, un chien de race Husky, se sente à l’aise, je décidais de l’emmener dans son élément. Une nature vierge que nous allions découvrir ensemble. Je m’équipais donc de skis de randonnée et partais sur les traces de monsieur Chantelauze. Pas à pas, j’avançais laborieusement. Le chien, lui, s’exprimait comme s’il était né à l’Ouka ; alors que c’était la première fois qu’il foulait la neige. Le bruit de la foule des skieurs s’estompait peu à peu et au bout de quelques kilomètres, le silence s’est emparé des lieux. Enfin libre avec un ‘’loup’’ dans les champs de neige vierge. Les choucas (corbeaux) volaient haut dans le ciel. Je m’attardais pour contempler un androman (genévrier thurifère). Je savais que cette espèce robuste, était capable de supporter des conditions climatiques extrêmes : hivers froids, étés très chauds et secs et ce pendant des siècles. A la longue, cette marche était beaucoup plus fatigante que je ne le croyais. Monsieur Chantelauze était plus âgé que moi, je pensais au moins faire aussi bien que lui. Loin de là, je devais à chaque fois m’arrêter pour reprendre mon souffle, particulièrement pour grimper.

Arrivé presqu’au sommet de la montagne, les jambes fatiguées, le souffle court, sans trop réfléchir, je m’engageais sur une plaque de glace exposée au nord. Je glissais assez souvent et soudain je me figeais car ce n’est pas moi qui glissais mais la plaque de glace qui commençait à bouger sournoisement vers un précipice de plus de mille mètres. Ce vide m’a glacé le sang. J’étais paralysé. Pris de vertiges, je me voyais disparaître dans ce gouffre. Je ne pouvais plus faire un pas sans risquer la chute. Je m’en voulais de ne pas avoir été assez attentif. Effrayé, j’ai appelé Husk à grands cris persuasifs et je lui ai fait comprendre qu’il devait me sortir de ce piège mortel.  Instantanément, l’Husky a saisi la situation. Il a changé d’attitude, son instinct a pris le dessus. Il s’est placé à un mètre devant moi, la truffe collée à la glace, puis il s’est mis lentement à avancer en zigzag. Je le suivais comme un toutou et je calquais, sans faire de gestes brusques, ses moindres mouvements.

Le chien a flairé et s’est arrêté au dessus de petits buissons épineux. Je me suis allongé pour saisir ces pousses solides et lentement, je me suis hissé à la force des bras. J’ai pu enfin caler mes skis sur ce bout de ‘’terre’’. Husk furetait de droite à gauche et s’arrêtait toujours sur un terrain plus stable. Mètre par mètre, en dix minutes, il m’a sorti de cette situation terriblement inconfortable et dangereuse.  Je le prenais à plein bras et le serrais tout contre moi en lui répétant avec amour : « Tu m’as sauvé la vie ! ». Pour me remettre de ces émotions, je décidais de m’installer pour déjeuner en admirant le paysage qui était sublime. Je déchaussais mes skis, Husk était à mes côtés et son maintien montrait bien qu’il était fier de son exploit. Pour entamer la descente, j’ai marché un moment sur la crête rocheuse puis je suis descendu les skis sur les épaules, le long d’une faille, pour rejoindre la neige.

J’ai ôté les peaux de phoques, je me suis rechaussé et j’ai commencé à glisser vers la station. Husk, surpris de me voir m’éloigner aussi vite, est resté sans bouger sur le promontoire. Il devait sauter pour me rejoindre et restait sourd à mes appels. J’ai dû remonter le chemin parcouru, les skis en V pour ne pas glisser et à force de cris et de mots doux, Husk a fini par s’élancer d’un bond de plusieurs mètres dans le vide. Malheureusement ses  pattes avant se sont enfoncées dans la poudreuse et son corps a basculé vers l’avant, lui occasionnant une torsion de l’épaule gauche. Sans rechigner, il a continué à trotter en claudiquant. Nous avons fini par rejoindre le plateau bien fatigués tous les deux. Quelle aventure nous venions de vivre ! Je n’avais même pas la force de me déchausser. La montagne aujourd’hui m’avait montré sa puissance et je peux vous dire que j’avais compris son message. Je m’étais un peu trop aventuré à la légère. Sans Husk, je ne veux même pas imaginé ce qui aurait pu arriver.

Il y a tant à raconter sur les merveilleux moments que nous avons passés à l’Ouka et qui font partie de mes plus beaux souvenirs de jeunesse.

Randolph Benzaquen 

 

http://www.lnt.ma/buzz-du-jour/loukaimeden-par-randolph-benzaquen-51799.html

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