UN TOURNANT DANS LE RAPPORT À L’ANTISÉMITISME ?
Shmuel Trigano
Deux événements se sont produits récemment qui pourraient constituer un tournant dans le rapport à l’antisémitisme, que les Juifs ont vécu depuis 12 ans dans la solitude et l’incompréhension de l’opinion parce qu’il n’était pas reconnu comme tel.
L’arrestation récente de la cellule islamiste constitue sur ce plan-là un événement majeur. Elle contredit de façon magistrale l’allégation selon laquelle les actes antijuifs sont le fait de jeunes de banlieue inorganisés et « exclus » qui expriment leur scandale devant les exactions israéliennes envers les « enfants de Gaza », comme nous l’avons entendu après le massacre de Toulouse (une telle « explication » est elle même inacceptable).
Nous sommes au contraire face à des mouvements djihadistes très organisés, motivés par une idéologie et une haine doctrinale des Juifs. La source religieuse est confirmée et remonte jusqu’à un imam saoudien qui a appelé à tuer des Français. Le fait que, à l’exception d’un seul, les terroristes déférés au Parquet sont des convertis accroît encore plus la causalité strictement religieuse car ils ne sont ni des ex-colonisés, ni des immigrés, ni d’ascendance arabe pour se sentir des liens avec la cause palestinienne. Tous les membres de cette cellule sont donc bien français et nés en France, ce qui autorise parfaitement à reconnaître l’existence d’un antisémitisme français, violent et meurtrier.
Ces quelques faits jetés en pâture à l’opinion publique devraient ruiner une fois pour toutes l’équilibrisme idéologique de certains sociologues et journalistes qui nous ont expliqué, pendant 12 ans, d’abord qu’il n’y avait pas d’antisémitisme et ensuite que la France était coupable des actes des « jeunes » des « « banlieues » souffrant de chômage et de relégation sociale, un discours occultant la motivation islamiste et l’intention terroriste djihadiste. Cet argument s’est vu à nouveau avancé avec un aplomb incroyable récemment quand nous avons entendu que ces développements témoigneraient de « l’échec de la République ».
Le deuxième événement concerne l’emploi par Copé de l’expression de « racisme anti-blanc », expression baroque s’il en est mais qui recouvre une réalité évidente (dont l’antisémitisme est la première preuve). Le racisme est la chose du monde la mieux partagée. Ce discours dans la bouche d’un des leaders de l’UMP pulvérise objectivement le « politiquement correct » qui règne depuis 22 ans dans ce pays. Sous son couperet, en effet, les mots ont pris un sens unidimensionnel. « Racisme » voulait toujours dire que seuls les immigrés en souffraient. « Antisémitisme » voulait toujours dire « extrême droite » et rien d’autre. En fonction de ces présupposés, il n’y a pas d’antisémitisme islamique et seuls les immigrés souffrent de racisme et d’exclusion. Pendant 12 ans, l’opinion politiquement correcte a ainsi pratiqué un déni de la réalité en vertu de l’idée selon laquelle il n’est pas possible que parmi ceux qui sont sensés souffrir de racisme il y ait aussi des milieux racistes et antisémites. C’est cela qui a interdit de se confronter à l’antisémitisme de façon sérieuse durant toutes ces années. Pis que cela : le concept d’islamophobie a été forgé expressément pour interdire de penser les faits et désamorcer l’application de la catégorie antisémite à ces milieux.
« Pas d’amalgame »
Toute acte d’antisémitisme s’est ainsi vu censuré et gelé pour éviter l’amalgame et l’islamophobie. Au lieu d’une condamnation forte, nous avons eu à chaque occasion grave une apologie systématique de l’islam comme « religion de paix », alors même que c’est l’islam qui motivait formellement l’acte.
Je fais référence ici non pas à une jugement de valeur mais à un état de faits qu’illustrent les déclarations innombrables d’imams institués de tout le monde arabe appelant à tuer les Juifs. Les preuves peuvent en être consultées auprès des sites des instituts de recherche Memri et Palestinian Media Watch. Que l’islamisme fasse violence à une partie de l’opinion musulmane, nul ne le nie mais les musulmans ne peuvent revendiquer une irresponsabilité absolue sur ce qui émane massivement de leur monde aujourd’hui, notamment l’antijudaisme et l’antisémitisme. Eux seuls doivent séparer le bon grain de l’ivraie.
Il reste que l’empaquetage des événements récents, tant au sommet que dans les médias, n’est pas encourageant. La rhétorique du « pas d’amalgame » s’est vue à nouveau réactivée. Pourquoi, quand il a reçu les représentants de la communauté juive, le président de la République s’est-il senti obligé d’appeler le président du CFCM pour lui dire qu’il ne faisait pas d’amalgame? Il aurait du lui demander de condamner ces actes et cet imam saoudien qui a appelé à tuer des Français (mais ce pays finance des mosquées et est l’allié de la France ?).
Nous avons eu une caricature grinçante du syndrome que je décris dans la dernière émission de « Mots croisés » (« Terrorisme made in France », en date du 8 octobre 2012). J’en retiens avant tout le cri d’alarme courageux lancé par l’éducateur Aziz Sahiri sur la gravité de la situation et les dangers du futur proche pour les Juifs, une alerte que le socialiste Rebsamen n’a pas voulu entendre comme il n’a pas voulu accepter l’idée que les Juifs étaient avant tout et d’abord menacés, ce qui nous donne une idée de l’état de l’opinion au Parti socialiste. C’est François Rebsamen aussi qui a retourné le débat en faisant remonter ses causes au conflit israélo-palestinien. Yves Calvi s’est alors demandé si il y avait eu des agressions contre l’Afrique du sud à Paris au moment de l’apartheid, comme si le passage symbolique d’Israël à l’apartheid était évident ou possible…
Nous touchons ici au deuxième élément du dispositif idéologique de« l’islam religion de paix ». Si telle est sa réalité en effet, il faut bien trouver une cause qui lui soit externe… La défense et illustration de l’islam aboutit toujours à la mise en accusation d’Israël, tenu pour responsable de la fureur islamique. C’est à ce niveau justement que se rencontrent l’antisémitisme ambiant, produit de l’image négative d’Israël forgée par les médias pendant des années (1), et un antisémitisme déjà et antérieurement présent dans l’islam. Le biais idéologique anti-israélien, si ancien, est devenu structurel. Il est rentré dans l’ordre des « évidences » au point que le récit idéologique passe désormais pour un récit historique, et jusqu’au Collège de France.
La réalité de l’antisémitisme se voit ainsi doublement occultée: dans sa motivation idéologico-religieuse et dans sa cible, car si Israël est « coupable » de cet antisémitisme, ce sont des Juifs de France en France qui sont frappés si bien que leur plainte spécifique est enfouie, voire même retournée contre eux (ils sont « sionistes » !), tandis que les apprentis djihadistes se retrouvent subrepticement justifiés. Elle est aussi occultée dans un véritable parti antisémite qui est à l’œuvre sur le terrain et qui va jusqu’à prôner le boycott des Juifs. Des officines activistes (Europalestine, CAPJPO, etc) incitent en effet sans cesse à la haine les milieux les plus divers (2). Cette conjonction ouvre, depuis 2001, un boulevard à la montée sur la scène de l’islam politique.
L’antisionisme est le cheval de Troie de l’islam politique et l’opium d’une société qui a démissionné face au réel.
Nous pouvons donc penser que nous ne sommes pas encore sortis de la quadrature du cercle même si les événements se rapprochent du moment où la réalité apparaîtra dans sa nudité cruelle. Aux dépens de tous les Français.
Notes
1 - Et au même moment, le lendemain, France 5 programmait en prime time un film palestinien « Cinq cameras brisées » de pure propagande de guerre qui est une véritable incitation à la haine contre un Israël monstrueux. Combien de projets d’attentats vont-ils naître de cette programmation irresponsable et que la loi devrait punir ?
2 - Jusques et y compris les clubs de sport comme le montre la brochure que la CAPJPO distribue…