Elie Abecassis, un artiste coulé dans le bronze
Sculpteur, designer et architecte, Elie Abecassis combine mysticisme et création. Artiste prolifique, Elie Abecassis est aussi connu pour son engagement dans les causes juives et communautaires auxquelles il participe. Dernièrement, il s’emploie à concrétiser un projet qui lui tient à cœur : un espace créatif ouvert, au-delà de tout clivage.
Bio express - Enfance d'un artiste
Elie Abecassis est né à Casablanca, au Maroc, dans une famille traditionaliste de 4 enfants. Enfant, il montre déjà des aptitudes manuelles et un intérêt pour la sculpture. A l’âge de 5 ans, il confectionne des moulages, fabrique de petits objets en plâtre qu’il offre comme cadeaux. Cela lui donne une vision en négatif. Il est capable de concevoir les choses à l’envers.
Jeune, Elie Abecassis se sent intéressé par tout, a envie de tout découvrir. Ce qui lui importe c’est d’apprendre. Cela reste vrai tout au long de sa carrière et de sa vie.
La famille émigre au Québec lorsqu’ Elie a 15 ans. A Montréal, l’adolescent étudie le design de mode au Collège LaSalle.
En 1984, Elie Abecassis vient pour la première fois en Israël. Le pays l’enchante. Il y entreprend des études de Sciences politiques à l’Université de Tel Aviv. Mais au bout d’un an, il rentre au Canada.
De nature très curieuse, motivé par une soif insatiable de savoir, Elie Abecassis combine développement de ses dons artistiques avec une multitude d’études variées et diverses. En 1990, il reprend des cours d’art à l’Université anglophone de Concordia. Finalement, il comprend que c’est dans cette voie qu’il s’accomplit le mieux pour exprimer son intériorité, après être passé par les Sciences humaines, la médecine et le droit commercial.
Son parcours professionnel le mène ensuite au Kenya, en Italie, en Amérique du Sud et en Finlande où il expérimente l’art et la culture locaux et s’en inspire pour marquer ses propres oeuvres. Ces séjours enrichissent sa personnalité créative.
Mais c’est au Canada qu’Elie Abecassis rencontre pour la première fois la reconnaissance artistique. L’Etat du Québec le subventionne pour le projet d’une galerie-restaurant kasher à Montréal, le « Krok Art » dédiée à la sculpture du verre : chaises, tables, comptoir, escalier. Le résultat est un travail imposant faisant appel aux 5 sens : la vue (lumière, design), l’ouie (musique), le toucher, l’odorat et le goût (cuisine). Ce sera le début de sa carrière en tant qu’artiste à part entière. Il crée et enchaîne expositions et projets. D’abord à la bibliothèque de l’université de Montréal en 1992, le centre Hillel présente dans le cadre de l’exposition universitaire « De l’exil à aujourd’hui » relatif au 500e anniversaire de l’expulsion des Juifs d’Espagne, une ouvre symbolisant la tolérance et la coexistence entre judaïsme et âge d’or espagnol. Il s’agit d’une sphère en bronze de 1,5 mètre de haut représentant le déchirement des nations et des religions mais aussi l’espoir.
La même année, dans le cadre de la Semaine de l’Environnement, Elie Abecassis expose à la galerie de l’Ecole Polytechnique de Montréal, une sculpture intitulée « Espoir ». Le message universel est simple : si l’homme souhaite que la Terre le porte, il doit à son tour prendre soin de la planète. La symbolique de l’œuvre tourne autour du chiffre 4 : 4 personnages incarnant les 4 éléments, 4 niveaux de compréhension (pardes).
En 1995, Elie Abecassis immigre en Israël, s’installe et travaille à Bat-Ayn, près d’Efrata dans le Goush Etsion. Il enseigne la sculpture et le travail du bronze au collège religieux Emuna de Jérusalem. Un jour, il reçoit une commande de l’Institut du Temple de Jérusalem pour préparer la conception d’objets cultuels prévus au service du Troisième Temple : une menora, une table des pains de propitiation, un brûle encens. En dehors de cette commande, Elie Abecassis conçoit aussi du judaica : hanoukiot, rouleaux de Tora, pointeurs.
En 1996, dans le cadre d’une exposition internationale au Palais des Congrès de Jérusalem, le Centre Etsion pour l’Art Juif présente une ces des Hanoukia en bronze et bois.
En 2000, alliant étude et architecture, Elie Abecassis mène un projet de construction de yéshiva dans le quartier du Rova en Vielle Ville. Il y travaille les volumes, redéfinit l’espace en utilisant la profondeur des murs pour créer des bibliothèques en creux et gagne ainsi 50 m2 de superficie. Une belle performance lorsque l’on connaît le prix du mètre carré en Vielle Ville.
De 2001 à 2004, Elie Abecassis s’installe à Kiriat Shmona. Il bâtit des maisons, une yéshiva. Il ouvre son propre atelier où il confectionne des pièces d’art et des habillages de Tora en argent et or sculptés.
Pourtant, ces dernières années, Elie Abecassis a vécu une coupure émotionnelle et physique d’avec son art. Il revient actuellement de cette parenthèse avec le désir de tout retrouver. Ce temps lui a permit de mûrir. Il se questionne, se repositionne, reprend peu à peu ses marques artistiques.
La Téchouva
Jeune, Elie Abecassis ressent la religion comme un frein. Mais pas très longtemps. Dans sa recherche de la vérité, l’artiste n’est pas satisfait. Il lui manque un je-ne-sais-quoi. Dans sa soif de connaissance, il se tourne vers la Tora comme une des voies possibles. Il entreprend alors d’explorer le judaïsme comme il le fait des autres disciplines. Mais là, il se sent interpellé. C’est la révélation. Il comprend que le judaïsme répond à son questionnement. Il fait téchouva. Désormais il sait qu’il doit mettre son don au service du divin. L’homme juif et l’artiste ne font plus qu’un. Très vite, il se rapproche du courant Breslev. Ponctuellement, il étudie avec le fils du Rabbin Posen afin de mieux connaître la loi juive concernant la sculpture selon les règles de la halacha. Il apprend en fait qu’il y a plus de permis que d’interdits.
Aujourd’hui, l’art d’Elie Abecassis est façonné par la vie. Le judaïsme lui a permis de se retrouver. Le fait de travailler en Israël correspond à une recherche personnelle par rapport au patrimoine, au judaïsme, au pays. Il s’agit d’un jeu entre art et judaïsme et en même temps, le rapport entre eux semble naturel. « Tout influence tout » précise l’artiste.
La sculpture comme langage
Elie Abecassis a une vision large de par sa volonté de tout découvrir. Pour lui, sculpture et architecture ne sont pas séparées. Elles relèvent du même processus : travailler l’idée, la matière en intérieur ou en extérieur. Prendre l’élément, l’espace, en donner une vision. Dans la construction, l’artiste sculpte l’espace, surtout les espaces ouverts, les courbes, les pierres, la lumière, comme une pièce d’art.
Sa matière préférée reste le bronze, une matière noble et belle à travailler selon le sculpteur. Elle permet des patines qui donnent différentes couleurs et des finitions très fines. Elie Abecassis aime maîtriser ce matériau.
Le message des œuvres dépend de l’inspiration. Dans chaque pièce résonne un « moi qui parle », la traduction personnelle d’une direction précise. Son style plutôt figuratif en silhouette est une recherche singulière pour évoluer, s’améliorer soi et sa famille. Cependant, Elie Abecassis a du mal à décrire son propre style, son travail d’artiste. En pleine mutation intérieure, il effectue un retour à la source. Ce qui le différencie des autres artistes juifs ? Il ne saurait le dire si ce n’est une rencontre avec lui-même à travers les yeux des autres.
Projet d’un village d’artiste dans le Goush Etsion
Inspiré d’un projet canadien, Elie Abecassis a le souhait de créer à Efrat dans le Goush Etsion, un village d’artistes comprenant une école dédiée à l’art du bronze, son travail, son moulage, palliant ainsi le manque d’interaction entre le sculpteur et son modèle. Du point de vue artistique, Elie Abecassis voit dans ce projet la possibilité pour l’artiste de découvrir le travail physique de la fonderie, afin de se sentir au plus près du processus de réalisation de l’œuvre et en maîtriser toutes les étapes. En effet, à l’heure actuelle dans les écoles d’art israéliennes, seule la moitié des 14 étapes nécessaires à la création d’un bronze sont enseignées. Les autres sont laissées à la fonderie chargée de mouler la sculpture. Ainsi, des écoles comme Betsalel ou Emouna pourraient proposer à leurs élèves au niveau académique, des travaux pratiques hors du commun. Ceci permettrait d’inclure l’artiste dans son processus de création et donc une évolution artistique grâce à la maîtrise de la technique. Cette expérience représente un atout considérable pour l’artiste. Elle lui permet de se surpasser dans sa créativité sans se sentir limité ou tributaire d’un tiers.
Bien que le Goush Etsion compte déjà un grand nombre d’artistes qui y vivent, travaillent, créent, le projet d’Elie Abecassis ne conçoit pas d’ateliers privés où chaque artiste oeuvre individuellement mais plutôt d’une mise en commun, d’un partage du lieu au service de tous. Contrairement à d’autres villages d’artistes (comme Ein Hod), ici chacun pourrait venir y louer à court ou long terme, un espace pour créer. Le village serait en lien entres artistes de tous horizons, générant une interaction spontanée entre eux. Elie Abecassis rêve ce lieu ouvert à tous (peintres, sculpteurs, écrivains, musiciens) pour éduquer à l’autre. Pour se faire, Elie Abecassis a pensé également s’associer avec la fédération des écoles agricoles (Batei Sefer Sadé) de la région.
L’endroit n’a pas été choisi par hasard. Il correspond également à une recherche spirituelle. Du point de vue judaïsme, la localité possède déjà une structure, le ‘’Etsion Judaic Center’’ ainsi que le Forum des Artistes. Le Goush Etsion est également un lieu de retour aux origines, sur le chemin des patriarches. Sa proximité d’avec Jérusalem en fait un centre de renforcement spirituel au niveau des valeurs juives et de la terre d’Israël. Elie Abecassis veut faire de ce projet un espace alternatif de rencontre, de rapprochement entre monde laïc et monde religieux afin de pouvoir communiquer et mieux se connaître, apprendre à recevoir, à découvrir, à échanger.
Enfin, l’aspect touristique du projet n’a pas été oublié. En effet, la région compte de nombreux sites historiques, des vestiges de cités antiques qui apportent un attrait supplémentaire. La nature y est belle et donne un cadre agréable pour l’inspiration, le travail ou les promenades. La région accueille déjà en tourisme local 300.000 visiteurs par an. La découverte de cette contrée permettrait aux touristes de percevoir par eux-mêmes la réalité du lieu, son histoire, sa beauté. Si le projet s’ouvre à l’international, cela augmenterait considérablement le potentiel touristique et donc économique régional. Un atout non négligeable. L’idée d’Elie Abecassis allie donc art, judaïsme, tourisme et éducation. Quatre bonnes raisons pour soutenir cette initiative intéressante et originale. Une passerelle entre laïcs et religieux, juifs et non juifs, Israéliens et étrangers.
Le conseil régional du Goush Etsion se dit intéressé par le projet d’Elie Abecassis. En effet, il voit dans cette initiative une façon de promouvoir son potentiel, au-delà des problèmes politiques ou religieux, à travers l’art qui transcende les différences. Grâce aux infrastructures existantes, le projet est viable aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas auparavant. En effet, la région du Goush Etsion cherche à se développer. Le conseil régional se dit déjà prêt à allouer un terrain pour construire le village. Il s’agit maintenant de monter le dossier financier, de rechercher des partenaires et des fonds pour concrétiser ce rêve.
Pour Elie Abecassis, cette étape n’est pas une conclusion. Au contraire, il s’agit d’un début, d’une reprise, d’un démarrage, d’un commencement pour se retrouver, se poser les vraies questions et trouver les réponses.
Noémie Grynberg