Le pouvoir marocain tente de promouvoir un islam tolérant et pragmatique. Mais les salafistes tentent d’infiltrer eux aussi cet enseignement
À Mohammedia, dans la grande banlieue de Casablanca, les rotatives de l’imprimerie de la Fondation Mohammed-VI ne s’arrêtent guère de fonctionner. En 2012, 830 000 exemplaires d’un Coran standardisé selon la narration dite « warch de Narfii » ont été imprimés. Pour les autorités religieuses du Maroc, l’objectif est de sortir un million d’exemplaires par an dès cette année pour répondre aux besoins grandissant des mosquées. Mais pas seulement. « Les Marocains résidant en Italie, en France, en Allemagne, en Belgique ne cessent de nous réclamer des copies. L’année dernière, nous avons expédié 25 000 Corans en France. Nous fournissons aussi les mosquées des pays d’Afrique de l’Ouest », indique Hamid Hammani, directeur de la Fondation.
Il s’agit de promouvoir un islam marocain, tolérant, pragmatique, basé sur le rite malékite (l’une des quatre écoles du droit musulman sunnite), afin d’éviter les interprétations fondamentalistes du wahhabisme. Pour autant, sur le terrain, l’enseignement de l’islam au Maroc reste sujet à controverses. Dans le royaume, tenants d’une lecture moderniste de l’islam, conservateurs proches du Conseil supérieur des oulémas, et salafistes s’affrontent.
Ahmed Assid, intellectuel et chercheur à l’Institut royal de la culture amazighe (berbère), en a fait les frais dernièrement. Après avoir critiqué le contenu de certains manuels religieux utilisés dans les écoles, il a été vilipendé et menacé de mort. « Le système éducatif marocain est dual, à l’image de l’État. Dans les manuels, on y trouve à la fois des valeurs modernes, universelles et des valeurs traditionalistes », constate-t-il. À ses yeux, « il fallait travailler les textes pour véhiculer un islam moderne, mais ce travail n’a pas été fait ».
« C’est pourquoi on trouve des textes qui appellent à l’application de la charia, alors que l’État du Maroc n’applique pas la charia ! On apprend aux enfants qu’il faut couper la main des voleurs, que la lapidation est autorisée, qu’il faut couper les têtes… Des choses qui ne sont pas pratiquées aujourd’hui, mais c’est dangereux », s’alarme-t-il.
Dans son appartement de Tanger, le cheikh salafiste Mohamed Fizazi reçoit en compagnie de sa troisième épouse, vêtue d’un niqab. Le lieu est sobre, dépouillé. Pour ce salafiste emprisonné pendant huit ans après les attentats de Casablanca en 2003, il faut renforcer l’enseignement de l’islam dans toutes les écoles. « La charia ne s’applique pas dans une société qui n’est pas tout à fait persuadée que c’est la bonne solution. Elle ne s’applique pas de force. Il faut consolider les valeurs de l’islam, élargir leur enseignement. Dans les écoles publiques marocaines, l’enseignement islamique c’est trois-quatre heures par semaine. C’est très peu. »
Dans une kouteb (école coranique) d’un quartier populaire de Casablanca, une quarantaine de garçons récitent par cœur et recopient à la main sur de larges planches de bois des versets du Coran. L’école accueille près de 250 enfants, garçons et filles de 4 à 15 ans. Environ 20 % ne suivent que l’enseignement coranique. « De plus en plus, les familles envoient leurs enfants à la kouteb pour apprendre le Coran. Les enfants viennent ici pour apprendre les principes de l’islam et le mode de vie enseigné par l’éthique du prophète », explique Miloud Azzazi, imam et directeur de l’établissement. Au Maroc, cet enseignement est délivré principalement par des associations religieuses ultra-conservatrices.
Les modernistes y voient un danger, renforcé par la normalisation du jeu politique avec le courant wahhabite traditionnel, depuis 2011. « En tant qu’institution, la monarchie cherche à gérer les équilibres, les contradictions. Mais en instrumentalisant le wahhabisme, nous sommes en train de reproduire les mêmes erreurs que par le passé sous Hassan II »,estime Mohamed Darif, politologue et islamologue.
Christelle Marot, à Rabat